Tous les gens qui ont regardé le Battery Day de Tesla, en 2020, ont été agréablement surpris d’entendre Elon Musk annoncer qu’ils avaient découvert un nouveau procédé d’extraction du lithium à partir des argiles, un procédé simple, peu coûteux et bien meilleur pour l’environnement (voir la vidéo YouTube de Tesla «Tesla Battery Day» à 1h15m20s du début). Les seuls produits requis sont du sel de table (NaCl) et de l’eau!
Capture d’écran de la présentation du Battery Day 2020 de Tesla, montrant une diapo sur leur nouvelle technologie d’extraction du lithium à partir de l’argile. Source : Tesla.
Tesla a d’ailleurs déposé une demande de brevet sur cette découverte, en juillet 2021, avec comme titre « Selective Extraction of Lithium from Clay Minerals » (Extraction sélective du lithium à partir des minéraux argileux).
Un autre élément positif ressorti du Battery Day de Tesla est qu’il y aurait suffisamment d’argile au Nevada pour fournir tout le lithium nécessaire à la fabrication des batteries de la flotte entière de véhicules des États-Unis s’ils étaient tous 100% électriques.
Dans le présent article, nous présenterons le nouveau procédé d’extraction de Tesla en nous basant sur leur demande de brevet, tout en soulignant les avantages par rapport aux technologies plus traditionnelles d’extraction du lithium des roches sédimentaires (argiles), dont nous parlerons brièvement en premier.
L’extraction «traditionnelle» du lithium des argiles
Le fait que les argiles aient un contenu plusieurs fois plus faible en lithium que les minerais de roches dures, comme le spodumène, explique pourquoi on n’a pas cherché à extraire le lithium des argiles avant il y a quelques années. Toutefois, l’augmentation rapide de la demande en lithium et de son prix, ainsi que l’emprise mondiale énorme de la Chine sur la chaine d’approvisionnement des batteries a changé la donne. Il n’y a pas encore, à proprement parler, de production commerciale de lithium à partir des argiles, mais les projets de développement de cette filière se multiplient. Mentionnons le projet Thacker Pass de Lithium Americas, au Nevada, qui a été approuvé et dont la construction a commencé en 2021.
Les technologies d’extraction du lithium des argiles de ces projets utilisent les méthodes chimiques et thermiques usuelles d’extraction. Mais, ces méthodes ont l’inconvénient de coûter cher en produits chimiques, principalement des acides pour désagréger les structures cristallines qui renferment le lithium, et coûtent également cher en énergie pour chauffer les argiles à haute température. De plus, il faut neutraliser les acides avant de les retourner dans l’environnement, ce qui augmente encore le coût. Par ailleurs, ces méthodes usuelles d’extraction ne sont pas sélectives pour le lithium. La matrice cristalline désagrégée ne libère pas uniquement le lithium mais les autres éléments chimiques qu’elle contient, qu’il faut séparer pour obtenir uniquement le lithium. Encore là, augmentation des coûts et des produits chimiques au raffinage.
La nouvelle méthode d’extraction du lithium des argiles de Tesla
Description de la méthode
Au lieu de se rabattre sur les énergies chimiques ou thermiques pour extraire le lithium des argiles, Tesla a recours à la mécanochimie qui traite de la modification du comportement chimique des solides par action mécanique sur leurs surfaces. Mentionnons que plus on réduit le solide en fine poudre plus la surface augmente pour un poids donné du solide, et plus les réactions mécanochimiques augmentent. C’est la raison pour laquelle Tesla utilise un moulin à billes de haute énergie pour moudre très finement l’argile et introduire des forces mécaniques de percussion et de cisaillement grâce aux billes d’acier qui frappent les morceaux d’argile.
Schéma d’un moulin à billes standard pour réduire les matières solides en poudres fines. Source : Energosteel.
La découverte principale des chercheurs de Tesla est que sous l’influence de forces mécaniques fournies par un moulin à billes, entre autres, ils peuvent opérer un échange d’ions (atomes chargés électriquement) entre les ions lithium de la matrice cristalline de l’argile et une source extérieure d’autres ions apportés par un sel, comme le chlorure de sodium (NaCl) ou le chlorure de magnésium (MgCl2). Le sodium Na ou le magnésium Mg échangent leur place avec le lithium qui se retrouve alors à l’extérieur de l’argile et peut être récupéré sélectivement en le dissolvant dans de l’eau et en filtrant les matières solides non dissoutes. Voici un extrait de la demande de brevet qui parle d’un exemple de fonctionnement:
« One embodiment is a method of extracting lithium from clay materials based on the discovery that an effective ion-exchange occurs between appropriate cations (ions chargés positivement) and lithium contained within clay minerals. This ion-exchange was discovered to induce selective Li extraction from the clay materials.»
La note entre parenthèses est de l’auteur du présent article. Pour extraire sélectivement le lithium des argiles, Tesla a utilisé un mélange de 3% de chlorure de sodium (NaCl) avec l’argile dans une série d’expériences, et 5% de chlorure de magnésium (MgCl2) dans une autre série d’expériences. Les chercheurs ont broyé ces mélanges secs dans un moulin à billes à haute énergie qui opérait à 500 tours par minute, pour des temps variant de 30 minutes à 3 heures. Ils ont aussi incorporé, pour certaines de leurs expériences, une étape de lessivage, en ajoutant de l’eau à 31 g du mélange NaCl/argile ou du mélange MgCl2/argile pour obtenir 150 g de boue, dans un réacteur chauffé à 90°C et brassé à 1000 tours par minute pour une période allant jusqu’à 20 minutes. Ils ont ensuite filtré la boue avec des filtres en papier de 5 µm pour récupérer l’eau avec les sels dissouts et analyser les éléments récupérés.
La figure 4 de la demande de brevet de Tesla compare l’efficacité de leurs deux méthodes d’extraction sélective (avec et sans l’étape de lessivage à l’eau) à celle usuelle d’un lessivage non sélectif traditionnel à l’acide sulfurique. Dans les deux versions de la méthode sélective de Tesla pour l’extraction du lithium, on ne retrouve pas de fer ni d’aluminium, alors qu’il y en a beaucoup avec la méthode traditionnelle non sélective à l’acide. Par ailleurs, la présence de magnésium est réduite énormément avec les méthodes sélectives de Tesla, comparativement à la méthode traditionnelle non sélective. Dans ces expériences relatées dans la demande de brevet, l’extraction du lithium atteint une efficacité de 70% et les résidus des autres éléments sont soit éliminés ou réduits de beaucoup.
Avantages de la méthode
Le fait que le procédé d’extraction Tesla n’utilise que du sel de table (NaCl) et de l’eau réduit de beaucoup les coûts et l’impact sur l’environnement.
Puisqu’on utilise de l’énergie mécanique pour l’extraction, il suffira d’employer de l’énergie renouvelable pour actionner les moulins à billes et autres machineries d’extraction, et un condenseur pour récupérer l’eau évaporée. L’eau sera donc recyclée. Par ailleurs, le procédé Tesla n’utilise pas de carburants fossiles pour chauffer à haute température l’argile, comme certaines méthodes usuelles d’extraction thermochimiques du lithium à partir des argiles.
Enfin, puisque seule une petite quantité de sel de table (3%) sera utilisée avec de l’eau, on n’a pas besoin de traiter l’argile dépouillée de son lithium avant de la retourner d’où elle vient. La remise en état des lieux, après la vie utile de la mine, est donc tout à fait faisable, au lieu d’avoir des montagnes de résidus.
CONCLUSION
Comme nous venons de le voir, la méthode d’extraction sélective du lithium à partir des argiles, développée par Tesla, a beaucoup d’avantages : moins cher, plus respectueux de l’environnement (pas de produits chimiques corrosifs ou toxiques, eau recyclée), pas de carburants fossiles si on utilise de l’énergie renouvelable, et remise en état des lieux facile après la vie utile de la mine. C’est une avancée majeure du côté du développement durable!
Maintenant, il reste bien sûr à reproduire ce procédé à grande échelle, car il n’a été démontré, pour le moment, qu’en laboratoire. Reste à voir également si Tesla va se lancer concrètement dans l’extraction commerciale du lithium à partir des argiles. Il y a de bonnes chances, compte tenu de leur ambition de vendre 20 millions de véhicules électriques par année en 2030. Elon Musk a même dit au Battery Day 2020 que Tesla avait acquis les droits d’exploitation d’argiles du Nevada sur 10 000 acres (40 km2). De plus, Tesla a les moyens financiers de le faire, ils ont plus de 20 milliards $ US à la banque, en liquidité.
Une chose est certaine, une nouvelle technologie d’extraction propre du lithium vient d’être démontrée, qui pourrait fournir suffisamment de lithium pour électrifier toute la flotte états-unienne de véhicules, à partir seulement des argiles du Nevada. Parions que cette nouvelle technologie verra le jour sous peu, d’une façon ou d’une autre, car les consommateurs et les gouvernements sont de plus en plus conscients de l’importance d’une économie respectueuse de l’environnement.