Dans mon dernier article j’ai en fait parlé d’une batterie hybride, constituée d’une batterie principale plus lourde et d’une petite partie amovible deux fois plus légère. Cette combinaison permet de pallier le problème des conducteurs qui n’ont pas accès à une prise extérieure pour recharger leur voiture électrique. C’est une des applications des batteries hybrides, mais, il y en a d’autres. Chacune des différentes applications offre un avantage particulier pratiquement impossible à obtenir avec une seule chimie de batterie, du moins dans l’état actuel des choses. C’est difficile d’obtenir une batterie parfaite pour toutes les caractéristiques requises.
Aujourd’hui, je vais vous parler de deux autres applications des batteries hybrides, celle de la compagnie ONE (Our Next Energy) et celle de CATL.
La batterie Gemini TM de la compagnie ONE
Mujeeb Ijaz a fondé la compagnie étatsunienne ONE en 2020. Auparavant, il avait été Directeur de l’ingénierie électrique et des piles à combustible chez Ford puis Directeur sénior du stockage d’énergie chez Apple. Sa vision en démarrant l’entreprise était de prolonger l’autonomie des véhicules électriques pour qu’en hiver il n’y ait pas de problèmes en toutes circonstances et d’assurer une chaine d’approvisionnement nord-américaine sans cobalt et très peu de nickel pour ses batteries. Selon Inside EV, ONE a obtenu un investissement de 65 millions $ de BMW en 2022 et complété une ronde de financement additionnelle de 300 millions $ en 2023, pour une valeur en bourse de plus de 1 milliard $ présentement.
Ijaz était bien conscient des préoccupations reliées aux batteries Li-ion dites ternaires (NCA = Nickel-Cobalt-Aluminium, et NMC = Nickel-Manganese-Cobalt), majoritairement utilisées par les fabricants automobiles occidentaux présentement, en raison de leur plus grande légèreté. Ces préoccupations sont :
- La disponibilité limitée du nickel et du cobalt, et l’extraction controversée du cobalt en Afrique (conditions sanitaires et travail des enfants)
- Il est difficile de diminuer davantage le prix de ces batteries
- Ces chimies sont, de façon inhérente, moins sécuritaires pour les incendies
- Le nombre de cycles de recharge est limité à la fourchette 800 à 1200
C’est pour cela que la majorité des fabricants automobiles chinois et Tesla maintenant utilisent majoritairement les batteries Li-ion au phosphate de fer (chimie LFP = Lithium-Fer-Phosphate), qui remédient à toutes ces préoccupations. Toutefois, leur poids supérieur limite leur utilisation à des autonomies inférieure à 450 km environ. ONE a développé sa batterie LFP qu’elle a nommé Aries TM. La deuxième génération de cette batterie, la Aries II a une densité d’énergie de 150 Wh/kg et peut être rechargée 2 000 fois jusqu’à 100% de capacité. Les batteries Aries TM sont produites à petite échelle présentement, en attendant l’ouverture de leur giga-usine ONE Circle de 1,6 milliard $ au Michigan en 2024 et qui devrait fonctionner à plein régime en 2027, capable de produire pour 20 GWh de batteries par année, en utilisant des matériaux recyclés grâce à des partenaires recycleurs.
Giga-usine ONE qui ouvrira en 2024 au Michigan, avec une capacité de 20 GWh de batteries. Source : ONE.
Pour atteindre de plus grandes autonomies qu’avec une batterie LFP pure, ONE a conçu une batterie hybride qu’elle appelle Gemini TM. La partie LFP de cette batterie peut donner 240 km d’autonomie, amplement suffisant pour les besoins journaliers de travail, de loisirs et d’emplettes. Pour les longs trajets, c’est une batterie au manganèse sans anode (AF = Anode Free) qui prend le relais, en rechargeant la batterie LFP, un peu comme le ferait un prolongateur d’autonomie à essence, pour ajouter 720 km de plus!
ONE a testé cette batterie Gemini en l’intégrant à une Tesla Model S. Le 17 décembre 2021 ils ont parcouru 1 203 km sur autoroute avec une seule charge! Cette batterie sera également produite à leur future giga-usine au Michigan.
Leur batterie AF n’a pas de graphite à l’anode comme c’est le cas usuellement, ce qui réduit les coûts de fabrication autant des matériaux que des équipements requis. Ils utilisent en fait une couche très mince de lithium à la place, qui se dépose sur le mince feuillet de cuivre (collecteur de courant) lors de la «formation» de la batterie (premiers cycles de charge-décharge faits en usine). Cela diminue considérablement son poids. Et puisqu’il n’y a pas de nickel ni de cobalt dans la cathode mais plutôt du manganèse peu cher et très abondant, ONE estime que le coût de production de ces batteries AF pourrait descendre jusqu’à 50 $/kWh en production de masse, un prix environ 30% moins cher que les batteries LFP, déjà les moins chères sur le marché.
Mais alors, me direz-vous, si cette batterie AF est si peu chère et a une densité d’énergie supérieure aux batteries NMC (selon ONE), pourquoi ne l’a-t-on pas encore utilisée? Et bien c’est simple, elle ne peut être rechargée que quelques centaines de fois, et sa puissance est limitée. Elle ne peut donc être rechargée rapidement ni fournir de bonnes accélérations ou récupérer beaucoup d’énergie au freinage. C’est pour cela qu’elle agit comme prolongateur d’autonomie et que c’est toujours la batterie LFP qui gère les appels de puissances.
N’oublions pas que la puissance moyenne requise pour déplacer une voiture intermédiaire à 100 km/h sur un terrain plat, n’est que de 15 kW environ. Les appels de puissance pour accélérer au démarrage, dépasser un véhicule ou monter une côte ne durent généralement pas plus de 30 secondes et peuvent demander une puissance de 80 kW à 120 kW pendant ce court laps de temps. Et puisque la batterie AF est très grosse, le courant par cellule n’a pas besoin d’être bien élevé pour recharger constamment la batterie LFP à disons 35 kW en régime constant. C’est un convertisseur DC-DC qui effectue le travail.
Pour ce qui est du nombre limité de recharges de la batterie AF, il faut garder à l’esprit que la grande majorité des gens ne font pas des voyages de 500 km ou 600 km souvent. Probablement que 99% des gens en font moins de 10 fois par année, auquel cas ils n’auraient besoin d’utiliser la partie AF de leur batterie hybride que 100 fois en 10 ans. Bien sûr, il y a un petit pourcentage de gens qui sont constamment sur la route en raison de leur travail, les voyageurs de commerce par exemple. Et bien, la batterie Gemini TM n’est pas pour eux tout simplement. Les graphiques radar ci-dessous (tirés du site Internet de ONE et que j’ai traduit en français) montrent comment les deux types de batteries ensembles peuvent se compléter. Lorsqu’une propriété atteint l’hexagone extérieur c’est la meilleure performance. Si c’est le coût ça veut dire qu’il est bas, si c’est l’énergie cela implique que l’autonomie est grande etc.. Ce genre de graphique présente des performances relatives et est idéal pour comparer les propriétés importantes de deux ou plusieurs produits.
Graphiques radar des propriétés des batteries LFP et AF de ONE ainsi que leur combinaison. Les faiblesses de l’une sont comblées par les forces de l’autre. Traduit de l’anglais par l’auteur. Source : ONE.
La batterie hybride AB lithium-sodium de CATL
En juillet 2021, le plus gros fabricant de batteries Li-ion au monde, CATL, annonçait qu’ils avaient développé une batterie Sodium-ion, n’utilisant pas de lithium, avec une densité d’énergie de 160 Wh/kg, capable d’être rechargée jusqu’à 80% en 15 minutes et très performante aux basses températures, ne perdant que 10% de sa capacité à moins 20°C. De plus, les batteries sodium-ion devraient être moins chères que les batteries Li-ion LFP, les moins chères du marché, du fait que le sodium est bien moins dispendieux que le lithium.
Lors de leur présentation, CATL annonçait également qu’ils avaient développé le bloc batterie AB hybride lithium-sodium qui incluait deux types de batteries, Li-ion (lithium-ion LFP) et Na-ion (sodium-ion), pour se renforcer l’une l’autre. Leur batterie Li-ion LFP offre l’avantage d’une densité d’énergie plus élevée, autour de 175 Wh/kg mais performe moins bien aux basses températures. La batterie Na-ion de son côté performe très bien aux basses température, se recharge plus rapidement et offre l’avantage de réduire le besoin en lithium, dont l’approvisionnement devient de plus en plus critique. Idéal pour les pays nordiques. CATL a illustré la complémentarité entre les deux types de batteries à l’aide d’un graphique radar dévoilé lors de la présentation (voir ci-dessous).
Graphique radar des propriétés des batteries Li-ion LFP et Na-ion dévoilé par CATL lors de la présentation de leur batterie sodium-ion en 2021. Source CATL.
La production de masse de la batterie Na-ion par CATL devrait être lancée d’ici la fin de l’année 2023, selon la présentation de 2021.
Conclusion
Comme nous l’avons vu dans cet article, il est difficile d’avoir une batterie miracle qui excelle sous tous les critères importants : bas coût, sécurité, légèreté, recharge rapide, performance aux basses températures, longévité et ressources minérales suffisantes non toxiques. Mais en mettant ensemble deux batteries différentes qui se complètent pour l’application qu’on désire, cette batterie hybride offre plus de marges de manœuvre.
N’oublions pas que la technologie évolue rapidement et que les couples de batteries qu’on unit peuvent se défaire et se refaire en version plus performante encore. Je pense, entre autres, à la batterie hybride Gemini TM de ONE qui offre plus de 1 100 kilomètres d’autonomie. On peut se dire qu’une si grande autonomie n’est pas réellement nécessaire et que 700 km voire 600 km serait tout à fait suffisant. Mais, possiblement que leur batterie AF sans anode n’est pas suffisamment puissante pour être plus petite. Si c’est le cas, une deuxième génération pourrait régler ce problème d’ici 2 ou 3 ans. Ce que je veux dire c’est qu’il ne faut pas focaliser sur ce qui est présenté aujourd’hui pour juger de l’avenir d’un produit. L’idée de l’hybridation des batteries est excellente. Elle nous permet plus de performances et de possibilités.
Pensons également à la batterie hybride que j’ai proposée dans mon dernier article pour permettre à un citadin sans prise extérieure de pouvoir recharger sa voiture électrique à l’intérieur, grâce à une petite batterie-mallette amovible rechargée à la maison et au travail. Cette dernière doit être suffisamment légère pour être fonctionnelle, d’où ma suggestion d’utiliser la nouvelle batterie condensée de CATL deux fois plus légère (500 Wh/kg) que celles qu’on retrouve sur le marché des véhicules électriques (~250 Wh/kg). Cette batterie condensée devrait être significativement plus chère que les autres, mais comme seulement 10% de la batterie serait amovible cela ne cause pas de problème, mais offre une solution à une préoccupation réelle.
Je suis convaincu que l’avenir proche et à moyen terme est aux batteries hybrides, en attendant de trouver la batterie idéale à prix compétitif.