Électrification des TransportsPolitique

Un grand méconnu : Raymond Deshaies

Le bagage de connaissances de Daniel sur l’électrification des transports est tel qu’il est incommensurable!  Daniel se consacre désormais aux «3E» : Énergie, Environnement et Électrification des transports!  Bienvenue dans la communauté de Roulez Électrique, Daniel! 
L’actuel article me touche particulièrement.  Si M. Deshaies avait réussi au Québec, probablement que je ne serais pas en Californie pour vénérer ce visionnaire qu’est Elon Musk, peut-être que je serais au Québec pour admirer Raymond Deshaies!  Je crois que la communauté VÉ pourrait ÉPAULER et accompagner ces entrepreneurs bien de chez nous dans le domaine des transports. Nous sommes très bien placés pour comprendre le potentiel de leurs inventions!
Sylvain Juteau
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Je voudrais profiter de cette tribune sur le site de roulezelectrique.com pour faire connaître et reconnaître un homme que j’ai côtoyé pendant des années et qui a donné SA VIE à l’électrification des transports collectifs. J’ai nommé Raymond Deshaies.
Fils de l’entrepreneur et inventeur Alphonse Deshaies qui a créé l’entreprise « Autobus Deshaies », Raymond fera ses études à l’école Polytechnique où il obtiendra un diplôme en génie électrique. Plus tard, il obtiendra un MBA des HEC, se mariera et aura deux enfants, Jean-Raymond et Patricia.
Un premier prototype en 1966!
Dès le début des années 60, Raymond Deshaies sera préoccupé par les impacts de la pollution atmosphérique et de ses effets sur la santé des gens. C’est ainsi qu’il commencera à travailler sur ce projet qui allait devenir celui de toute une vie : l’hybridation et l’électrification des autobus.

Raymond Deshaies
Raymond Deshaies
Ayant grandi dans un environnement où les autobus n’avaient aucun secret pour lui grâce à son père, il assemblera son premier prototype fonctionnel d’autobus diesel-électrique… en 1966! Le but était simple : il s’agissait de rendre l’autobus plus économique en diesel et moins polluant.
Il ira présenter ce prototype aux autorités de la ville de Montréal… qui ne comprendront pas l’intérêt d’une telle technologie. Montréal venait tout juste de se débarrasser de ses 500 kilomètres de lignes de tramway pour les remplacer par des autobus diesel ainsi que ses premières lignes de métro. Donc, pourquoi donc aller vers les autobus hybrides?
Étonné du peu d’intérêt de la part des autorités municipales et de ses contemporains, il ne se découragera cependant pas. Têtu comme pas deux, il prendra la relève de son père à la tête de l’entreprise, mais continuera à cogiter sur son prochain prototype d’autobus.
Durant les années d’Autobus Deshaies, il a acheté ses autobus de Prévost Car parce que ceux-ci étaient faits au Québec et que cela contribuait à créer de la richesse au Québec. Il a collaboré avec eux afin que ceux-ci s’améliorent et progressent. D’ailleurs, le slogan sur leurs cartes postales en 1976 était : « Nos autobus luxueux, avec air climatisé, sont fabriqués au Québec par des Québécois pour les Québécois. »
Les années 80
En 1982, Raymond Deshaies présente un nouveau prototype d’autobus hybride diesel-électrique au gouvernement de René Lévesque. Il est important de rappeler qu’en 1982 nous sommes en pleine crise économique. Les taux d’intérêts frisent les 20% et le prix du pétrole s’est enflammé suite à la guerre Iran-Irak.
C’est dans ce contexte, me confiera M. Deshaies, que le  gouvernement de René Lévesque signera officiellement une commande pour 2000 de ses autobus hybrides.
M. Deshaies m’apprit alors que peu après cette signature, GM alla cogner à la porte du gouvernement en les menaçant de fermer leur usine d’assemblage de Ste-Thérèse si le gouvernement se tournait vers les autobus de M. Deshaies plutôt que d’acheter les leurs. (On découvrira plus tard qu’elle finira par être fermée de toute façon.)
Le contrat sera alors déchiré. M. Deshaies aura perdu une autre manche.
Les années 90
Dans les années 90, M. Deshaies s’y remet. Il présente une 3e génération d’autobus hybride aux élus municipaux, à Québec, à des fonctionnaires et à des gens d’affaire. Quelle fut alors la réponse du ministre Gérald Tremblay? Que le gouvernement ne pouvait appuyer un tel projet car M. Deshaies n’avait pas les infrastructures nécessaires pour les construire et que si par ailleurs il y arrivait, cela nuirait à Novabus, tout récemment sortie du pétrin grâce à l’aide du gouvernement. Donc, une fois de plus, M. Deshaies se cogna le nez sur une porte fermée.
Mais le ministre Tremblay s’assura quand même d’obtenir tous les plans et devis des prototypes de Raymond Deshaies AINSI que de son  système de biberonnage (eh oui…) afin de recharger les autobus lors de leurs arrêts aux lumières et arrêts d’autobus.
Les années 2000
En 2005, un ami me parle de M. Deshaies et me demande de le rencontrer. Je découvre un homme bourru, en colère contre la bêtise humaine, aigri par tous les obstacles, coups bas et autres bassesses dont il a fait l’objet. Il a fort mauvais caractère et à quelques reprises je me vois dans l’obligation de lui demander de se calmer tellement il bouille de colère.
Plus je passe de temps à ses côtés, plus je comprends sa frustration et sa révolte. J’en viens à me demander comment un homme a pu endurer tant de médiocrité, de petitesse, de myopie, de lâcheté et d’hypocrisie de la part de nombres de ses contemporains dans le dossier qui a animé toute sa vie.
Malgré cela, il travaillera sur une 4e génération d’autobus hybride. Maintenant presque ruiné, il aura englouti temps et argent dans ce projet qui est en train de le tuer à petit feu. Son 4e prototype sera construit à partir d’un vieil autobus dont il changera la motorisation.
Vu son caractère intempestif, ses détracteurs et ses ennemis auront beau jeu de le traiter de vieux fou afin de le discréditer… et à bien des égards, ça fonctionnera.
M. Deshaies ne sera plus pris au sérieux.
Par un matin d’automne…
… je me suis rendu au garage de Marcel Chartrand, son partenaire qui a acheté l’entreprise Autobus Deshaies. J’y découvre alors les deux hommes en train de finir de préparer l’autobus pour les essais routiers. Après plus de 3 ans de dur labeur pour fignoler ce nouveau prototype, je le regardai sortir du garage, tranquillement.
Nous sommes fébriles. Le soleil luit, il fait environ 8 degrés Celsius, les feuilles commencent à jaunir.
C’est là que M. Deshaies prend le volant et commence à accélérer. Il accélère, puis ralentit. Il freine, puis repart. Il revient. Il repart. Et après quelques minutes d’hésitation, il pousse le vieil autobus dans lequel a été greffé un nouveau cœur.
Et ça marche.
Je suis abasourdi. Bouleversé.
Cet homme de 70 ans, qu’on essaie de faire passer pour un fou est au volant de ce prototype que lui et son partenaire ont rafistolé avec les moyens du bord… et ça marche!
À la fin des tests, le résultat est renversant : moins de 30 litres/100 km. Alors que les autobus flambant neufs consomment 50 litres/100 km et plus, son vieux bus en fait presque la moitié moins!
Encore une fois, il se cognera le nez sur des portes closes. Personne ne l’écoutera au gouvernement ou dans les sociétés de transport. Pour une quatrième fois en 40 ans, cet homme génial et irascible se verra refuser de voir son rêve se concrétiser.
2012 : La lueur d’espoir.
Le 4 septembre 2012, le PQ prend le pouvoir. Quelques mois plus tard, je me vois confier la responsabilité de la stratégie d’électrification des transports du gouvernement du Québec. Le jour de ma nomination, j’appelle M. Deshaies pour lui dire qu’enfin il aura l’écoute de quelqu’un au gouvernement qui comprend les enjeux et saura accorder à son projet le respect qui lui est dû.
Afin de ne pas causer d’impair, je lui demanderai de venir présenter son projet de façon officielle aux gens de l’équipe. M. Deshaies est très heureux de finalement voir la lumière au bout de cet interminable tunnel.
Quelques jours plus tard, j’arrive à mon bureau. Ma secrétaire me dit : « Un certain Jean-Raymond Deshaies vient d’appeler et il voudrait que tu le rappelles. » Je lui réponds alors : « tu veux dire Raymond Deshaies? ». Elle me répond : « Non. Il m’a bel et bien dit s’appeler Jean-Raymond Deshaies ».
Un très mauvais pressentiment m’envahit alors. J’appelle au numéro que m’a laissé ma secrétaire et mes pires craintes se confirment. M. Deshaies est mourant. Je m’en vais de ce pas le voir à l’hôpital et je suis dévasté par la vitesse à laquelle sa condition s’est dégradée.
Il n’en a que pour quelques jours.
C’est à ce moment qu’il me dira de ne pas faire la même erreur que lui en investissant tout ma vie dans un projet ou une cause au point d’en perdre ma santé, ma vie, ma famille, mes amis. J’entends bien son message… et je suis éberlué par la cruauté de la situation.
Alors que pour la première fois de sa vie, il sentait qu’enfin son projet, sa vision pour l’avenir du Québec en transport collectif électrifié pourrait se concrétiser, il est là, couché dans son lit d’hôpital, glissant vers la mort.
Je n’oublierai jamais cet homme. Il a été un pionnier.
La raison pour laquelle j’ai écrit ce texte sur la vie de M. Raymond Deshaies, c’est :
-pour lui rendre hommage afin que les gens sachent tout l’amour qu’il avait pour l’avenir du Québec et de l’environnement;
-pour ne pas que par manque de vision, lâcheté, bêtise, lobbying ou convoitise, un Raymond Deshaies du 21e siècle se fasse tasser du revers de la main pour toutes les mauvaises raisons imaginables.
Le Québec ne peut pas se permettre un autre rendez-vous manqué en électrification des transports. C’est maintenant ou jamais, comme disait Jean Lesage.
C’est pourquoi je souhaite que les citoyens, notre gouvernement et nos gens d’affaires appuient résolument cet extraordinaire projet de société que représente l’électrification des transports individuels et collectifs ainsi que les futurs Raymond Deshaies du Québec.
Merci, M. Deshaies.
 

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