Un peu avant Noël, nous apprenions cette nouvelle… qui fait les manchettes du Journal de Montréal1 de ce matin :
« Le groupe français Peugeot-Citroën (PSA) abandonne son projet de construire une usine d’assemblage de voitures électriques en sol québécois. Investissement Québec et Hydro-Québec ont perdu dans l’aventure plus de 14 millions de dollars…
La coentreprise Arion Technologies Automobiles, créée en mars 2016 pour mener une étude de faisabilité sur la construction d’une usine d’assemblage de voitures électriques haute performance au Québec, n’existe déjà plus. Arion Technologies a été dissoute avant les Fêtes.
Le gouvernement du Québec, par l’entremise d’Investissement Québec, a englouti 10 M$ dans le projet. Hydro-Québec, par l’intermédiaire de sa filiale IndusTech (TM4), a de son côté misé et perdu 4 M$.
Annoncé en grande pompe lors du Forum économique mondial de Davos le 20 janvier 2016, le projet devait pourtant mener le Québec à devenir un leader au sein de l’industrie mondiale de la voiture électrique.
Le gouvernement fédéral, pourtant présent lors de l’annonce à Davos avec son ministre de l’Innovation, Navdeep Singh Bains, n’a toutefois jamais injecté d’argent dans le projet. Or, une enveloppe de 2 M$ avait été réservée pour ce projet. »
Dans cet article, il est écrit que le constructeur PSA « aurait indiqué à ses partenaires qu’il ne souhaitait pas poursuivre le projet, en raison «d’un coût de revient unitaire jugé trop élevé» et de «la conjoncture du marché chinois».
En mai 2016, le groupe Peugeot-Citroën avait pourtant annoncé sa décision de produire dans ses usines en France les principaux composants de la nouvelle chaîne de traction électrique de ses voitures. »
Ainsi, 2 mois à peine après la création de la coentreprise Arion Technologies en mars 2016, PSA annonçait sa décision de produire ses composantes en France. À peine quelques mois plus tard, elle annonçait son retrait du projet en se servant comme justification de la conjoncture du marché chinois.
Cela m’amène à poser les questions suivantes :
- Qu’a-t-il bien pu se passer entre mars et mai 2016 pour que PSA change ainsi son fusil d’épaule ?
- En quoi est-ce que la justification du marché chinois est-elle valable, considérant que tout le monde savait que la Chine était devenue le premier marché mondial de l’automobile depuis 20092 et le premier marché mondial de l’automobile électrique depuis 20143 ?
- Est-ce que le gouvernement du Québec était au courant de ce que PSA tramait ?
- Pourquoi le gouvernement ne s’est-il pas assuré d’avoir des assurances du sérieux de la démarche de PSA avant de se lancer dans cette aventure ?
- Qu’est-il arrivé de l’argent investi ? Peut-on avoir accès aux livres ? Après tout, il s’agit d’argent public !
« No comment ! »
Si lors de l’annonce à Davos le premier ministre Philippe Couillard, le ministre fédéral de l’Innovation Navdeep Singh Bains, feu le ministre québécois de l’Économie Jacques Daoust, le PDG d’Investissement Québec Pierre-Gabriel Côté, le PDG d’Hydro-Québec Éric Martel et des représentants de Peugeot et d’Exagon étaient tous présents et souriants pour faire cette annonce, ces même acteurs se font aujourd’hui beaucoup plus « furtifs ».
En effet, selon l’article de M. Couture, personne du gouvernement du Québec, d’Investissement Québec ou de PSA n’était apparemment disponible pour commenter.
Bigger is better?
La réflexion qui m’est venue en tête en lisant cette nouvelle est la suivante : Il semble que certains soient encore aujourd’hui obnubilés par les grosses entreprises, croyant que ce sont elles qui sont les principales créatrices d’emplois et d’innovation.
Or, c’est faux.
Selon les données de l’Institut de la statistique du Québec, Innovation, Sciences et Développement économique Canada et de Statistique Canada4 :
- On dénombrait 239 376 PME au Québec VS 590 grandes entreprises en 2015 ;
- Avec un total de 2 437 700 emplois, les PME représentaient 92% des emplois au Québec VS 8% pour les grandes entreprises la même année ;
- En 2011, la contribution des PME au PIB du Québec était de 50% ;
- Entre 2010 et 2016, 42% des nouveaux emplois créés au Canada l’ont été dans des PME5 ;
Pourtant, lorsque j’étais responsable de la stratégie d’électrification des transports du Québec, j’ai entendu des hauts fonctionnaires faire des affirmations telles que :
- « On ne va appuyer ces gens là ! C’est juste du monde dans un garage qui ont bricolé leur truc »
Ce à quoi j’ai répondu à plus d’une reprise :
- « Où croyez-vous que Joseph Armand Bombardier et Steve Jobs ont commencé ? »
Je les ai aussi entendu affirmer ceci :
- « Leur produit ne représente pas une innovation. Il y a ailleurs dans le monde d’autres produits qui sont une variante qui peut ressembler à ce produit »
Ce à quoi je répondais :
- « L’innovation ne passe pas que par le produit en tant que tel. Elle passe aussi par l’utilisation qu’on peut faire de ce produit, les variantes qui peuvent en découler et l’intérêt pour les emplois ici. Le constructeur Tesla n’a pas inventé la voiture électrique. Il l’a reformaté à partir d’éléments existants pour en faire une utilisation et une mise en marché novatrices»
Appuyons les PME du Québec d’abord.
Je vois depuis des années des multinationales recevoir des appuis financiers à coups de millions de $ pendant que des PME innovantes du Québec en électrification des transports ont toutes les misères du monde à trouver du financement.
Rencontres après rencontres, documents après documents, délais après délais, ces PME en viennent souvent à se décourager d’avoir un appui concret du gouvernement du Québec qui multiplie les annonces « spectacle » du genre de celle faite avec PSA ou Toyota avec l’hydrogène. Certaines de ces PME en sont maintenant rendues à ne plus rien vouloir savoir du gouvernement qui les a trop souvent déçus après avoir créé des attentes… et s’être servi d’elles dans leurs relations publiques.
Au fédéral, on gâte les multinationales
Pendant ce temps, le gouvernement fédéral a « investi » depuis des années dans des projets automobiles « innovants » via des programmes tels que le Fonds d’Innovation du Secteur Automobile6 qui « appuie des travaux de recherche et de développement stratégiques de grande envergure axés sur le développement de véhicules innovateurs, plus écologiques et à plus faible consommation de carburant. »
Or, lorsqu’on jette un coup d’œil sur les entreprises qui ont reçu un appui du gouvernement fédéral depuis les débuts du programme, on découvre que plus de $570 millions ont été octroyés et que ces fonds sont tous allés vers des multinationales telles que Ford, Toyota, Magna, Honda, etc.
Croyez-le ou non, un représentant d’une de ces entreprises m’a même déjà dit que leur entreprise n’avait pas besoin de cet argent, mais qu’il le prenait volontiers car ça leur donnait de meilleur rapports avec le gouvernement du Canada.
Je suis certain qu’en lisant ceci certains patrons de PME québécoises en électrification des transports grincent des dents. C’est pourtant la réalité.
Par ailleurs, il est important de savoir que 100% de ce montant a été octroyé pour des entreprises basées en Ontario.
Ainsi, pendant que la majorité de nos PME québécoises en électrification des transports en arrachent pour trouver du financement, on soutient grassement des multinationales qu’on ne peut pas nécessairement considérer comme des leaders dans le développement des véhicules innovateurs, plus écologiques et à plus faible consommation de carburant.
En 2016, le premier ministre du Québec affirmait à Davos pour souligner l’annonce de l’entente avec PSA: « Mon gouvernement entend faire du Québec un chef de file en matière d’électrification des transports. Notre engagement dans le projet annoncé aujourd’hui et le Plan d’action en électrification des transports 2015-2020 constituent un pas de plus dans le développement du secteur de l’auto électrique et permettront d’étendre la culture d’innovation au Québec »7
Le Québec est une terre d’innovateurs, d’inventeurs, de créateurs et de patenteux. Ces hommes et ces femmes qui ont lancé leurs PME innovantes prennent des risques personnels et professionnels infiniment plus grands que tous les patrons qu’on retrouve aujourd’hui chez Bombardier, NovaBus ou GM.
Ils méritent donc notre respect ET notre appui.
C’est pourquoi je suggère qu’on les appuie AVANT d’offrir notre argent public à des multinationales.
Parce que lorsqu’il s’agit d’entreprise ou de véhicules « Think big, sti ! »…
ça fait tellement 20e siècle.
1 : http://www.journaldemontreal.com/2018/02/07/quebec-perd-14m-dans-un-projet-dusine-dassemblage-de-voitures-electriques
2 : http://www.melchior.fr/actualite/la-chine-1er-marche-automobile-mondial
3 : https://qz.com/972897/china-is-selling-more-electric-vehicles-than-the-us-and-its-not-even-close/
4 : http://plus.lapresse.ca/screens/85c5be58-68c9-4613-bd67-f9e1fe6dc161__7C___0.html
5 : http://www.conseiller.ca/pme/nouvelles/les-pme-championnes-de-la-creation-demploi-29075
6 : https://www.ic.gc.ca/eic/site/auto-auto.nsf/fra/am02257.html
7 : http://nouvelles.hydroquebec.com/fr/communiques-de-presse/961/le-quebec-roule-vers-une-expertise-de-pointe-en-voiture-electrique/