C’est bien connu que la Chine domine largement la fabrication mondiale des batteries Li-ion. Selon le site Statista, en 2021 la Chine fabriquait 79% de ces batteries! Compte tenu de l’énorme importance des batteries pour la transition énergétique (véhicules électriques et énergies renouvelables), l’Europe et l’Amérique du Nord se doivent de changer cette situation de quasi-monopole pour avoir accès aux retombées économiques colossales qui vont découler de cette transition, surtout que la croissance de la demande pour ces nouvelles technologies est exponentielle!
C’est dans cette optique que le gouvernement étatsunien a mis en place le «Inflation Reduction Act» (IRA), une loi qui est devenue effective en août 2022. Selon cette loi, les incitatifs financiers importants à l’achat d’un véhicule électrique (VÉ) aux États-Unis ne seront octroyés qu’aux VÉ qui auront une partie importante de contenu étatsunien pour les matériaux et la fabrication de leurs batteries, ou en provenance de pays qui ont une entente de libre-échange, comme le Canada. C’est en bonne partie grâce à cette législation qu’on a vu se multiplier depuis un peu plus d’un an des annonces de mise en place d’usines de batteries aux États-Unis et au Canada. À tel point qu’on peut parler d’un boom dans la construction d’usines de batteries en Amérique du Nord.
Un boom d’usines de batteries aux États-Unis
Un document du gouvernement étatsunien, mis en ligne sur le Site Internet de l’«Energy Efficiency & Renewable Energy» le 2 janvier 2023, permet de réaliser l’ampleur de ce boom. Le titre de ce document parle de lui-même :
«Electric Vehicle Battery Manufacturing Capacity in North America in 2030 is Projected to be Nearly 20 Times Greater than in 2021»
« La capacité de production de batteries pour véhicules électriques en Amérique du Nord en 2030 devrait être près de 20 fois supérieure à celle de 2021» Traduction par DeepL.
Plus précisément, on y lit que la capacité annuelle de production des batteries Li-ion était de 55 GWh (1 GWh = 1 million kWh) en Amérique du Nord en 2021 et qu’on prévoit une capacité de près de 1 000 GWh en 2030, pouvant supporter grossièrement la production de 10 à 13 millions de VÉ légers par année. Notons qu’il s’est vendu aux États-Unis 13 734 200 véhicules légers neufs en 2022 et 1 479 450 au Canada pour la même année. Et, c’est sans compter d’autres usines qui peuvent s’ajouter d’ici 2030.
Les capacités de production devraient donc être au rendez-vous en 2030 en tenant compte que la part de marché des VÉ ne sera pas de 100% en 2030 mais possiblement 50% à 60%.
La très grande majorité de ces nouvelles usines de batteries vont être construites assez près des usines d’automobiles existantes et vont se retrouver dans ce qu’on appelle désormais le «Battery Belt», une région qui s’étend du Nord au Sud du Michigan à l’Alabama, les autres nouvelles usines se retrouvant près des usines de Tesla au Nevada et au Texas.
Un article récent de Canary Media du 8 juin 2023 fait le point sur cette révolution qui s’annonce. L’article intitulé «The south is building the most vibrant EV and battery hub in the US» est signé par Julian Spector. On y retrouve, entre autres, une carte interactive très bien faite sur les projets d’usines, qui mentionne pour chacune d’elles, au clic de la souris, le montant de l’investissement, le nombre d’employés et la date prévue pour l’ouverture. La voici, ci-dessous, en version non-interactive. Cliquez sur le lien de l’article pour voir la version interactive.
Carte de Canary Media sur les projets d’usines de batteries (en rouge) et de véhicules électriques (en turquoise) depuis l’entrée en vigueur de l’Inflation Reduction Act (août 2022) aux États-Unis. Source : Canary Media.
Avec la carte interactive j’ai compté pour 47 milliard$ d’investissements. Et cela ne comporte pas l’usine de SK Innovation d’une valeur de 2,6 milliard $ qui a ouvert au début 2022 en Georgie, ni les projets d’usines canadiennes de batteries dont je parle ci-dessous.
Un gros Boom au Canada pour les batteries
Au Canada, plusieurs projets concernant les batteries de véhicules électriques ont été annoncés. L’un d’eux, l’usine de fabrication de blocs batterie de Lion a été inauguré en avril 2023 au Québec, à Mirabel. Lorsqu’à plein régime cette installation produira pour 5 GWh de blocs batteries qui seront utilisés dans les autobus et camions électriques Lion. La compagnie estime que ces batteries pourront équiper 14 000 de leurs véhicules lourds par année. Marc Bédard, le président, précise qu’ils achètent les cellules de divers fournisseurs et les assemblent à leur usine dans un bloc batterie en les intégrant avec un système de gestion de la batterie (battery management system, BMS), un système de refroidissement/réchauffement approprié et des harnais de connexion. Le fait d’acheter les cellules leur permet de changer éventuellement de fournisseur au gré de l’évolution de la technologie. Cela leur évite de faire de gros investissements pour les fabriquer eux-mêmes alors que la technologie serait potentiellement désuète après quelques années, ce qui entrainerait des coûts importants impossibles à récupérer avec le petit nombre de batteries qu’ils utilisent.
Du côté de l’Ontario, où est concentré l’industrie automobile canadienne, deux projets d’usines de construction de cellules de batteries ont été annoncés.
Le premier projet, celui de Volkswagen à St-Thomas vise à produire pour 90 GWh de cellules, au coût de 20 milliard $ CAN (14,9 milliard $ US, la devise utilisée dans les autres projets décrits dans cet article). Le projet devrait créer 3 000 emplois directs et pourrait créer 30 000 emplois indirects, en coûtant 13,2 milliards $ CAN (9,8 milliards $ US) sur 10 ans aux contribuables canadiens. C’est une aide financière considérable que les fonctionnaires justifient en disant qu’il y avait beaucoup de concurrence pour s’arracher cette usine. L’usine Volkswagen devrait ouvrir ses portes en 2027 et augmenter sa production jusqu’en 2030 pour atteindre 90 GWh.
Le deuxième projet d’usine de batteries est celui de LG Energy Solution et Stellantis à Windsor. L’usine qui devrait ouvrir ses portes en 2024 et serait pleinement opérationnelle en 2025, pourra fabriquer pour 45 GWh de batteries afin d’approvisionner les usines d’automobiles de Stellantis en Amérique du Nord. L’usine, qui emploiera 2 500 personnes, représente un investissement de 5 milliards $ CAN (4,1 milliards $ US).
De retour au Québec, des projets d’usines de fabrication de matériaux de batteries devraient voir le jour. Déjà, Lithion termine la construction d’une usine de recyclage primaire de batteries à St-Bruno-de-Montarville sur la rive Sud de Montréal. La compagnie prévoit une deuxième usine, Lithion Hydromet, pour 2026 afin de transformer le concentré de minéraux critiques produit par leur première usine en matériaux de batteries, prêts à être réutilisés par les fabricants de batteries proprement dits. Voir mon article du 23 juillet 2023 à ce sujet.
Toujours au Québec, GM pilote un projet d’usine de fabrication de matériaux de batteries de 600 millions $ CAN (446 millions $ US) qui devrait ouvrir ses portes à Bécancour en 2025 et créer 200 emplois de qualité. Les matériaux de cathode produits serviront à la fabrication des batteries Li-ion des véhicules électriques de GM.
Le gros producteur allemand de produits chimiques, BASF, prévoit également installer à Bécancour une usine de matériaux de batteries ainsi que de recyclage de ces dernières. Si le financement et les permis vont bien, l’usine devrait ouvrir en 2025 avec l’objectif de produire 100 000 tonnes de matériaux de cathode pour les batteries Li-ion.
Par ailleurs, des négociations sérieuses sont en cours entre le gouvernement du Québec et la firme suédoise Northvolt. On parle d’un projet de 7 milliards $ CAN (5,3 milliards $ US) qui comporterait une usine de production de cellules, une usine de recyclage de batteries et une unité de fabrication de matériaux de cathode. Le complexe verrait le jour dans la ville de Saint-Basile-le Grand au sud de Montréal. En plus des incitatifs financiers usuels des divers paliers de gouvernement, le prix compétitif de l’électricité québécoise et surtout sa propreté (énergies renouvelables à 99%) seraient des points bien appréciés de Northvolt, qui veut produire les batteries les plus propres au monde. Une annonce est attendue en septembre 2023.
Alors, comme on voit, la filière batterie au Québec a le vent dans les voiles de même que celle de l’Ontario. Et c’est en plus des mines de lithium et de d’autres minéraux critiques pour les batteries Li-ion.
Conclusion
C’est très encourageant de voir que ça bouge autant du côté de la fabrication des batteries pour VÉ en Amérique du Nord. Les montants investis et annoncés depuis le début 2022 aux États-Unis avoisinent 50 milliards $ US et ceux au Canada environ 20 milliards $ US, et 25 milliards $ US si le projet Northvolt se concrétise. C’est un total de 70 à 75 milliards $ US pour les deux pays.
C’est particulièrement impressionnant que le Canada puisse récolter près du tiers des investissements alors qu’il est presque 9 fois moins peuplé que les États-Unis (38 millions vs 332 millions)!
Nous avons vu que de tels investissements garantissent qu’on ait en Amérique du Nord une capacité de production de batteries en 2030 qui permette facilement d’atteindre pour les VÉ une part de marché de 60% des véhicules neufs avec des batteries d’ici. Pour être réalistes toutefois, il faut mentionner que ce scénario optimiste prévoit que les gros manufacturiers traditionnels d’automobiles maintiennent une bonne santé financière pour mener à bien leurs projets, et que les approvisionnements en matériaux de batteries seront au rendez-vous pour alimenter toutes ces giga-usines. Qu’en sera-t-il en réalité? Difficile de prévoir, compte tenu de la situation économique mondiale précaire actuelle. Mais, si c’est difficile pour les VÉ ce le sera autant sinon plus pour les véhicules à essence ou au diesel. Qu’en pensez-vous?
