Il est bien connu que la Chine a une énorme emprise sur les minéraux critiques de batteries Li-ion. Elle contrôle les chaines d’approvisionnement et le traitement de ces minéraux dans une très grande proportion, y compris pour le lithium.
Afin de stimuler la mise en place de filières nord-américaines, l’administration Biden a imposé l’équivalent d’une « tarification douanière » importante sur les batteries et les matériaux de batteries en provenance de la Chine. Celle-ci se traduit par une inéligibilité au rabais de 7 500 $ US à l’achat d’un véhicule électrique, si ce véhicule contient un pourcentage significatif de produits chinois dans la batterie. Ces mesures commencent en 2024 pour les batteries et en 2025 pour les matériaux de batteries.
Nous avons vu dans mon dernier article que les ressources nord-américaines sont suffisantes pour le graphite et que le Québec agira comme plaque tournante pour ce minéral. Dans le présent article, nous verrons que les gisements nord-américains de lithium sont amplement suffisants également. Le problème n’est pas au niveau des ressources disponibles, mais du temps très court pour emmener ces ressources sur le marché.
Un gigantesque gisement dans des sédiments calcaires au Nevada
Dans mon article du 23 septembre 2023 sur l’extraction du lithium, je vous ai présenté le gigantesque gisement de lithium découvert au Nevada, dans les sédiments calcaires de la cuvette de l’ancien super-volcan McDermitt. Les estimés préliminaires de la richesse du gisement sont évalués entre 20 à 40 millions de tonnes de lithium, alors qu’en 2022 les réserves mondiales de lithium se chiffraient à 22 millions de tonnes! Pour plus de détails, je vous réfère à mon article.
Un énorme gisement en Californie dans des saumures géothermiques
Le 28 novembre 2023. Le U.S. Department of Energy (DOE) a annoncé les résultats d’une étude d’envergure pour quantifier les ressources en lithium de la région de la Salton Sea au sud de la Californie. La photo d’entête montre cette région où il y a plusieurs centrales géothermiques. Cette étude conduite par le Lawrence Berkeley National Laboratory (Berkely Lab) a trouvé qu’avec les nouvelles technologies d’extraction, les ressources totales dans la région pourraient contenir plus de 3,4 millions de tonnes de lithium dans les saumures géothermiques, soit suffisamment pour construire plus de 375 millions de véhicules électriques (VÉ), selon eux. C’est plus que le nombre total de véhicules actuellement sur les routes des États-Unis. Sachant qu’il se vend approximativement 15 millions de véhicules neufs par année dans ce pays, il y aurait suffisamment de lithium pour produire 15 millions de VÉs par année pendant 25 ans. Les nouvelles technologies d’extraction mentionnées sont celles dites d’extraction directe du lithium, présentées dans le 2e article de ma série sur l’extraction et le raffinage du lithium, daté du 19 mars 2023. Plus précisément la technologie d’extraction directe du lithium à partir des saumures géothermiques utilisées par les centrales électriques géothermiques, comme le projet de Vulcan Energy en Allemagne. Les procédés utilisés ont une efficacité d’extraction de 90% et ont une empreinte écologique très réduite comparativement aux méthodes traditionnelles d’extraction par évaporation dans de grands bassins extérieurs ou par mines de roches dures. Ces avantages environnementaux sont présentés dans le document «A growing wave of sustinable lithium supply : Adsorption-type direct lithium extraction (DLE)» disponible sur le site de Vulcan Energy, en particulier dans la diapo suivante du document.
Des gisements importants mais plus petits au Québec
La compagnie minière Sayona a débuté l’extraction de concentrés de minerais de lithium à sa mine de La Corne en Abitibi, en 2023. C’est une mine à ciel ouvert de roche dure qui contient du spodumène, le minerais de lithium. Sayona prévoit aussi une raffinerie pour produire de l’hydroxyde de lithium.
Selon l’étude de faisabilité définitive sur leur Complexe Lithium Amérique du Nord, en Abitibi, les ressources en lithium sont évaluées à quelques centaines de milliers de tonnes, donc beaucoup plus petites que celles de la Salton Sea en Californie et de la cuvette McDermitt au Nevada.
Il y a aussi la compagnie Nemaska Lithium qui prévoit opérer sa mine Whabouchi de minerais de lithium (spodumène) sur le territoire d’Eeyou Istchee à la Baie-James, au Québec. Cette mine devrait être fonctionnelle en 2026. Malheureusement, après avoir exploré le site Internet de la compagnie de façon intensive je n’ai trouvé aucune donnée quantitative sur le contenu (ressource) en lithium de cette mine.
Tout ce qu’on sait c’est que leur usine de production d’hydroxyde de lithium monohydraté (H3LiO2) de Bécancour, où seront acheminés les concentrés de spodumène de leur mine Whabouchi, produira annuellement 34 000 t de ce matériau de batterie. Sachant que les poids atomiques relatifs sont H = 1, O = 16 et Li = 6,94, on en déduit que le poids annuel de lithium qui sortira de la raffinerie de Nemaska sera de 5 625 t. En comptant une durée de vie de 30 ans pour la mine, on arriverait à un contenu (ressource) de 170 000 t pour la mine Whabouchi, sans compter les pertes dans les procédés d’extraction et de raffinage. C’est donc plutôt une ressource approximative de l’ordre de 250 000 t de lithium. Même si la mine durait 60 ans, on est dans les centaines de milliers de tonnes de lithium de ressource et non dans les millions de tonnes comme aux gisements du Nevada et de la Californie.
Conclusion
L’Amérique du Nord n’a donc aucun problème à devenir autonome pour son approvisionnement en lithium. On pourrait même fournir une bonne partie de la planète, à terme. Mais, il faut mettre en place des mines et usines d’extraction et de raffinage compatibles avec le développement durable, faire les études environnementales, tout planifier, trouver le financement etc. Ça pourrait prendre 10 à 15 ans.
Il va falloir, entre temps, que Washington assouplisse ses contraintes contre les batteries et matériaux de batteries en provenance de la Chine. À ce propos, il est intéressant de noter que l’usine de Gotion High Tech (compagnie chinoise) pour fabriquer des batteries au phosphate de fer avancées aux États-Unis vient d’avoir l’autorisation du gouvernement étatsunien. Ce n’est pas le cas toutefois pour les usines de batteries de CATL. Voir à ce sujet la vidéo YouTube de The Electric Viking intitulée «China’4th largest battery company begins LFP production near Tesla Fremont».