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Impacts de l’extraction et du raffinage du lithium sur l’environnement : 2 – Nouvelle technologie d’extraction directe du lithium dans les saumures

Nous avons vu dans notre dernier article que les impacts environnementaux et sociaux des technologies traditionnelles d’extraction du lithium sont préoccupantes. Et, ces préoccupations sont exacerbées par le fait que la demande explose pour les batteries Li‑ion et qu’on pourrait avoir à presque décupler la production d’ici 10 ans.

Soyons clairs, toutefois; l’empreinte écologique sur le cycle de vie des véhicules électriques et des véhicules thermiques est, malgré tout, nettement en faveur des véhicules électriques. Concernant les émissions de CO2, l’organisation Transport & Environment a publié en juin 2022 une mise à jour d’une étude montrant qu’une voiture électrique moyenne européenne émet trois fois moins de de CO2 qu’une voiture à essence, pour une durée de vie de 225 000 km. Et, cet avantage va être accentué dans les années qui viennent en raison de la décarbonisation des réseaux électriques. Par ailleurs, ce même organisme a également publié une étude en 2021 pour comparer la consommation de matières premières par les deux types de véhicules. En prenant en compte le recyclage des batteries des voitures électriques, ces dernières ne consomment, sur leur vie, que 30 kg de métaux (grosseur d’un ballon de soccer) pour la batterie, alors que les voitures thermiques utilisent environ 17 000 L de pétrole, soit l’équivalent de 90 m de hauteur de barils de pétroles empilés les uns sur les autres!

Mais, malgré la bien meilleure performance environnementale des véhicules électriques, ce n’est pas une raison pour ne pas chercher à réduire davantage l’empreinte écologique de ces derniers, dont celle du lithium requis pour leurs batteries.

Sous ce rapport, les nouvelles sont excellentes pour les nouveaux procédés d’extraction du lithium en développement présentement, en particulier pour ce qu’on appelle l’Extraction Directe du Lithium (EDL), dont l’acronyme anglophone est DLE dans la littérature. Cette filière s’adresse à l’extraction du lithium contenu dans les nappes d’eau très salée (saumures) souterraines, sans recourir à l’évaporation et en retournant les saumures, dont on a retiré le lithium en quelques heures, dans l’aquifère d’où elles proviennent, sans laisser de résidus. Plusieurs projets pilotes sont en cours présentement.

L’extraction directe du lithium (EDL) à partir des saumures

Près d’une vingtaine de projets pilotes d’EDL sont en cours présentement dans le monde, à différents degrés de réalisation. Le document de présentation de la compagnie européenne Vulcan Energy en mentionne 14 qui font appel à la sorption (adsorption ou absorption) sélective du lithium par des granules organiques ou solvants spécialement conçus. Voici plus de détails sur trois de ces projets.

Le projet européen de Vulcan Energy

La compagnie allemande Vulcan Energy met présentement en place un projet pilote d’envergure dans la vallée du Rhin. Ce projet consiste à greffer à une centrale géothermique existante un bâtiment d’extraction directe du lithium contenu dans l’eau très chaude et très salée (saumure) issue d’aquifères situées entre 2,5 km et 4,5 km de profondeur et qui fait fonctionner la centrale. Le lithium serait extrait en quelques heures par adsorption sélective à des granules qui remplissent de gros cylindres dans lesquels on fait circuler la saumure chaude qui sort de le centrale avant de la réinjecter sous terre, d’où elle provient. Une fois les granules saturées de lithium, on les lessive avec de l’eau douce propre pour récupérer le chlorure de lithium. L’eau pour cette extraction est constamment recyclée. La solution de chlorure de lithium obtenue est ensuite concentrée en utilisant la chaleur de la centrale géothermique, pour être ensuite transformée en hydroxyde de lithium via l’électrolyse utilisant l’énergie électrique renouvelable de la centrale. Le tout produisant du lithium qualité batterie sans émissions de gaz à effet de serre (carboneutre). Voir la vidéo promotionnelle YouTube «Vulcan Energy».

Schéma d’une centrale géothermique avec réinjection des saumures dans la nappe souterraine d’où elles proviennent. Source Vulcan Energy, texte traduit en français par l’auteur de cet article.

Schéma montrant le bâtiment d’extraction directe du lithium greffé à la centrale géothermique («geothermal plant» sur la figure). Le mot anglais «brine» signifie saumure en français. Source : Vulcan Energy.

Les détails les plus récents sur ce projet sont disponibles dans la dernière présentation Power-Point de la compagnie datée de 2023. Dans la phase 1, Vulcan Energy prévoit démarrer la production à la fin 2025, au rythme de 24 000 tonnes par année d’Hydroxyde de lithium monohydraté. L’objectif est de monter à 40 000 tonnes par année, ce qui serait suffisant pour un million de véhicules électriques par année, en évitant un million de tonnes de CO2 par année.

Il est bon de mentionner que le sous-sol de l’Allemagne est le plus riche des pays européens en potentiel géothermique. Selon l’article de Think Geoenergy, intitulé «Germany aims for 100 new geothermal projects by 2030», écrit par Carlo Cariaga (11 novembre 2022), il y avait 42 projets opérationnels de géothermie profonde en Allemagne en février 2022, et le gouvernement veut en ajouter 100 autres pour produire de l’électricité et/ou de la chaleur d’ici 2030, dans le but de s’affranchir de leur dépendance au gaz naturel. L’accès aux saumures géothermiques profondes sera donc grandement accru.

Les avantages anticipés par cette nouvelle technologie d’extraction du lithium sont résumés dans une série de graphiques disponibles sur le site Internet de la compagnie et présentés ci-dessous.

Graphiques anticipés montrant les avantages du projet d’extraction directe de lithium de la compagnie allemande Vulcan Energy. Les valeurs des divers graphiques correspondent à la production d’une tonne d’hydroxyde de lithium. Source : Vulcan Energy.

Comme on peut le constater sur ces graphiques, en commençant par celui à gauche complètement et en allant vers la droite, Il n’y a pas de gaz à effet de serre, la consommation d’eau est minimale, la surface de terrain utilisée est infime, les produits chimiques utilisés sont minimes et il n’y a qu’une minuscule production de déchets, à comparé aux deux technologies traditionnelles d’extraction de lithium que nous avons passées en revue dans notre dernier article. De plus, le taux de récupération du lithium a été testé au laboratoire à plus de 90%, à comparer au 50% à 70% pour les technologies traditionnelles. Ça veut donc dire qu’avec leur technologie ils peuvent récupérer environ 50% plus de lithium d’un gisement de saumure. C’est MAJEUR!

Les deux autres projets d’extraction directe de lithium à partir de saumures, que nous allons décrire, ne sont pas reliés à des centrales géothermiques mais présentent également de nets avantages environnementaux.

Le projet étatsunien de Standard Lithium

Selon le site Internet de la compagnie Standard Lithium, leurs projets d’extraction directe de lithium en Arkansas constituent « l’opportunité la plus rapide et respectueuse de l’environnement pour la nouvelle production de lithium aux États-Unis». Le projet Lanxess de démonstration, exploite les saumures de la formation Smackover, un aquifère long de 1000 km et large de 100 km, à 2,3 km de profondeur, qui part du Texas et se rend en Floride.

Pour minimiser les coûts, Standard lithium a fait une entente avec la compagnie Lanxess qui exploite cet aquifère depuis plus de 50 ans, près de la ville d’El Dorado, pour extraire du brome à partir des saumures. Ces dernières sont pompées en surface pour effectuer l’extraction, avant d’être réinjectées, appauvries en brome, dans l’aquifère. Standard Lithium dévie les saumures chaudes (75°C) sortant de l’usine d’extraction du brome pour en extraire le lithium, avec une efficacité de 90%, avant de les retourner au puit de réinjection. Cette usine pilote fonctionne 7 jours sur 7, 24 heures par jour et produit annuellement 5 500 tonne de carbonate de lithium équivalent, depuis mai 2020. Après cette première phase, il est prévu de monter la production à 20 900 tonnes par année avec d’autres puits. Ils ont également un deuxième projet, le «South West Arkansas Project» qui devrait ajouter un autre 30 000 tonnes de carbonate de lithium équivalent par année, sans passer par l’usine de Lanxess, pour une production totale de plus de 50 000 tonnes annuelles de carbonate de lithium équivalent, suffisamment pour produire plus de 1 million de véhicules électriques.

La vidéo YouTube  «Visite vidéo complète de l’usine d’extraction directe de lithium LiSTR 4 0 1» décrit les installations et procédés de l’usine pilote du projet Lanxess de Standard Lithium, avec des sous-titres français. De l’information plus détaillée est disponible dans le Power-Point de la présentation corporative, sur le site de la compagnie.

Différents bâtiments de l’usine d’extraction directe de lithium du projet Lanxess de Standard Lithium en Arkansas, à partir des saumures d’un aquifère long de 1000 km et large de 100 km. Source : Standard Lithium.

Schéma du procédé d’extraction de l’usine de Lanxess. Source : Standard Lithium.

Les avantages environnementaux ne sont pas chiffrés, mais, ils devraient être similaires à ceux de Vulcan Energy que nous avons vu plus haut, s’ils utilisent de l’énergie renouvelable pour faire fonctionner leurs usines. Toutefois, de l’acide hydrochlorique diluée est employée pour récupérer le lithium (sous forme de chlorure de lithium) du sorbant sélectif qui l’a lui-même extrait des saumures, et le taux de recyclage de ce produit chimique n’est pas mentionné.

Le projet canadien Clearwater de E3 Lithium

Sur le site de la compagnie canadienne E3 Lithium en Alberta, on peut lire ce qui suit concernant la technologie d’EDL que la compagnie a développée. La traduction française a été effectuée grâce à www.DeepL.com/Translator .

«La technologie d’échange d’ions DLE d’E3 utilise un sorbant exclusif conçu pour être hautement sélectif vis-à-vis des ions lithium. Elle réduit rapidement et efficacement de grands volumes de saumure de faible qualité en un concentré de lithium de haute qualité en une seule étape, en éliminant simultanément presque toutes les impuretés. Il en résulte un produit très propre pour le développement de composés de lithium de grande pureté utilisés dans les batteries Li-ion…

L’eau de formation saline dans la zone de ressources de E3 contient du lithium, ainsi que des niveaux élevés de solides dissous. Pour extraire et concentrer efficacement le lithium de l’eau de formation saline, il faut des sorbants spéciaux qui ont une grande affinité pour le lithium, tout en rejetant simultanément les ions et les métaux indésirables.

Au cours des cinq dernières années, en travaillant en partenariat avec l’Université de l’Alberta, des laboratoires privés et maintenant dans nos installations de développement à Calgary, E3 a développé et optimisé un sorbant hautement sélectif pour le lithium, parfait pour l’extraction du lithium de nos saumures…

Les résultats de laboratoire démontrent

Plus de 90 % de récupération du lithium

Plus de 98 % d’élimination des impuretés (calcium, magnésium, sodium, etc.)

Facteur de concentration du lithium de 20x-100x »

E3 Lithium a acquis les droits d’exploitation des saumures de l’aquifère Leduc en Alberta (province canadienne), situé entre Edmonton et Calgary, qui constitue une ressource de lithium équivalent à 24,3 millions de tonnes de carbonate de lithium. Cet aquifère salin se situe à 2,5 km de profondeur, a 200 mètres d’épaisseur et couvre des centaines de km2. Selon leur présentation corporative, la compagnie a terminé l’évaluation économique préliminaire de leur projet Clearwater en 2020, ils mettent en place une usine pilote en 2023 et comptent débuter les opérations commerciales en 2026, à raison de 20 000 tonnes d’hydroxyde de lithium par année (500 000 voitures électriques). La durée de l’exploitation est estimée à 20 ans.

Schéma montrant l’aménagement du projet Clearwater de E3 Lithium en Alberta. Source : E3 Lithium.

C’est l’augmentation fulgurante du prix du lithium en 2021 et 2022 qui rend ce genre de projet possible, puisque la rentabilité est désormais au rendez-vous. De plus, la compagnie a reçu un investissement de 27 millions $ du gouvernement du Canada.

Par ailleurs, E3 Lithium fait valoir qu’en Alberta un bassin de main d’œuvre qualifiée et de savoir-faire est à la portée de la main, en raison des infrastructures et expertises disponibles de l’industrie du pétrole et du gaz qui y est très développée depuis une centaine d’année, pour, par exemple, creuser des puits et les exploiter.

Les avantages environnementaux sont les mêmes que les deux projets précédents : rapidité de mise en place, pas de résidus en surface (réinjection des saumures dans l’aquifère), utilisation réduite de l’eau, très petite surface de terrain  monopolisée par les installations, peu de consommation d’énergie et grande efficacité d’extraction (90% vs 50% à 70% pour les technologies traditionnelles d’extraction).

CONCLUSION

L’augmentation importante du prix du lithium, due à la demande en croissance exponentielle pour les véhicules électriques, rend possible de nouvelles technologies d’extraction dites directes du lithium en allant exploiter des aquifères salins dans la zone de 2 km à 4 km de profondeur, qui en contiennent beaucoup. Une vingtaine de projets devraient être opérationnels dans le monde d’ici 3 à 5 ans.

L’extraction directe se fait en quelques heures au lieu de plus d’une année, comme la technique traditionnelle d’extraction par évaporation utilisée au Chili et en Argentine. La réinjection des saumures dans l’aquifère, après extraction, assure qu’il n’y a pas de de grandes quantités de résidus à gérer au sol. L’utilisation de peu d’eau, peu de surface de terrain et peu d’énergie contribuent encore plus à l’empreinte écologique très réduite de ce nouveau type d’extraction du lithium, surtout si on utilise de l’énergie renouvelable pour les usines.

Les exploitations commerciales devraient voir le jour à compter de 2025, et peuvent être mises en place rapidement par la suite, surtout si on utilise les puits déjà existants des centrales géothermiques ou ceux d’exploitations industrielles des saumures pour d’autres métaux.

Mais, le temps pour creuser des puits profonds pourrait être réduit d’un facteur 10 d’ici 5 ans, avec une nouvelle technologie de forage aux microondes (ondes millimétriques) en développement présentement par la compagnie Quaise (quaise.energy). La vidéo YouTube «Quaise | The Future of Clean Energy» explique la technologie et son potentiel, la suite d’une recherche de dix années conduite par le professeur Paul Woskov au Plasma Science and Fusion Center du MIT. Voir l’article du MIT News à ce sujet, intitulé «Tapping into the million-year energy source below our feet», rédigé par Zach Winn (28 juin 2022).

Le professeur Woskov a d’abord imaginé qu’on pourrait utiliser un puissant gyrotron (générateur de microondes millimétriques) pour vaporiser le rock. À noter qu’on utilise les gyrotrons dans les centres de recherche sur la fusion nucléaire (où il travaille) afin de chauffer le plasma dans les machines à fusion expérimentales. Il a ensuite validé son idée en perçant des trous dans toutes sortes de roches et granites, comme on peut le voir ci-dessous en 2016.

Par la suite, la compagnie Quaise a été fondée en 2018, et ils prévoient faire un premier puits pilote en 2026, pour éventuellement atteindre des profondeurs de 12 km où l’énergie géothermique est abondante partout sur Terre, pas seulement aux endroits limités où la chaleur intense monte plus près de la surface, à quelques kilomètres.

Il semble bien que l’avenir proche nous réserve de belles surprises! Dans notre prochain article, nous parlerons de la nouvelle technologie de Tesla, annoncée  à leur Battery Day 2020, pour extraire le lithium des argiles, sans utiliser de produits chimiques corrosifs ou toxiques, mais seulement avec des procédés physiques et du sel de table, NaCl (voir la vidéo YouTube de Tesla «Tesla Battery Day» à 1h15m20s du début). C’est, somme toute, un autre genre d’extraction directe, à sec, qui promet de réduire également considérablement les impacts de l’extraction du lithium sur l’environnement par rapport aux technologies traditionnelles d’extraction, et augmenter les ressources disponibles.

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