Essentiellement, le groupe de traction des véhicules électriques (VÉ), est constitué d’un ou plusieurs moteur(s) électrique(s), de la batterie, et de l’électronique de puissance, qui transforme le courant continu de la batterie en courant alternatif pour le(s) moteur(s), en plus du logiciel pour contrôler tout ça, bien sûr.
Jusqu’à présent, dans mes articles, je me suis concentré sur les batteries dans leurs différentes déclinaisons et les différentes façons de diminuer l’empreinte écologique des VÉs pour les rendre toujours plus propres. Que ce soit au niveau de l’extraction et du raffinage des matières premières requises, des nouvelles chimies de batteries qui durent plus longtemps et requièrent moins de matériaux (plus légères), ou des techniques de fabrication innovantes des VÉs moins énergivores, ainsi que de l’utilisation d’énergie renouvelable. Aujourd’hui, je vais aborder un autre aspect très important, l’électronique de puissance. On l’appelle comme ça parce de gros courants électriques et des hautes tensions, donc de hautes puissances sont en jeu, au niveau du chargeur, de l’onduleur («inverter» en anglais) et des convertisseurs CC-CC (DC-DC en anglais, pour «Direct Current»).
Le chargeur transforme le courant alternatif (CA) du réseau électrique en courant continu (CC) pour recharger la batterie. L’onduleur transforme le courant continu de la batterie en courant alternatif pour faire fonctionner le(s) moteur(s). Ce courant alternatif doit être triphasé et à intensité et fréquence variables, selon la vitesse du véhicule et la puissance requise sur le moment (accélérations, pentes…). L’onduleur est donc un convertisseur CC-CA (DC-AC, en anglais). Finalement, le convertisseur CC-CC sert à charger la batterie de basse tension (12 V, 48V pour le Cybertruck de Tesla) qui alimente les divers accessoires du véhicule, à partir de la batterie principale à haute tension (généralement de 400 V à 800 V). Le schéma ci-dessous synthétise ce que je viens d’expliquer. J’y ai ajouté les expressions en français ainsi que les flèches pour les raccorder aux dispositifs correspondants.
Schéma des divers équipements d’électronique de puissance pour assurer le bon fonctionnement d’un véhicule électrique. Le chargeur à induction sans contact est, pour le moment, une option qu’on peut ajouter après l’achat d’un VÉ. Source : Bufan Shi et al., A review of silicon carbide MOSFETs in electrified vehicles, journal IET Power Electronics / Volume 16, numéro 12 / mai 2023, pages 2103-2120.
Les dispositifs d’électronique de puissance que je viens de décrire n’opèrent pas avec une efficacité de 100 %, ils ont des pertes. Dans le présent article, je vais me concentrer sur l’onduleur qui fait fonctionner le moteur électrique, plus spécifiquement sur une façon d’en diminuer les pertes en utilisant un semi-conducteur autre que le silicium actuel, en l’occurrence le carbure de silicium (SiC). Vous comprendrez qu’en diminuant les pertes de l’onduleur, on peut aller plus loin avec la même batterie, ou avoir une plus petite batterie pour parcourir la même distance.
Le fonctionnement d’un onduleur
Pour transformer un courant continu (toujours dans le même sens) en courant alternatif (changeant de sens de façon périodique), il faut mettre en place un système de quatre interrupteurs commandés par un contrôleur qui vont aiguiller alternativement le courant dans un sens puis dans l’autre. La vidéo YouTube «What is an Inverter and What Does it Do?» de la chaine «The Engineering Mindset» explique cela de façon très simple, en anglais. Les mêmes explications en français sont reprises dans une vidéo YouTube plus longue, qui englobe les moteurs électriques et les onduleurs triphasés. Le titre de cette dernière vidéo est «L’onduleur expliqué» de la chaine «Mentalité Ingénieur». Pour restreindre cette vidéo à l’essentiel présenté dans la vidéo en anglais, commencer à 6 minutes du début jusqu’à 9 minutes 25 secondes.
Cette explication simplifiée produit ce qu’on appelle des ondes carrées. Pour obtenir des ondes sinusoïdales, similaires aux courant des réseaux électriques, on utilise ce qu’on appelle la technique de Modulation de largeur d’impulsion (temps d’ouvertures et fermetures des interrupteurs) suivie d’un lissage avec des éléments capacitifs (condensateurs). Cette technique est également expliquée dans les vidéos. Voici trois images tirées de la vidéo en français.
Pour alterner le sens du courant continu dans un onduleur il suffit de contrôler quatre interrupteurs (S1, S2, S3 et S4 sur la figure) dont 2 sont ouverts (S2 et S3) et 2 sont fermés (S1 et S4) pendant la moitié d’un cycle, puis on permute les états des interrupteurs pendant la seconde moitié du cycle (image ci-dessous). Source : vidéo YouTube «L’onduleur expliqué» de la chaine «Mentalité Ingénieur». Pour l’essentiel, commencer à 6 minutes du début jusqu’à 9 minutes 25 secondes.
Seconde moitié du cycle d’inversion du sens du courant dans un onduleur, faisant référence aux explications dans la légende de la figure précédente. Source : vidéo YouTube « L’onduleur expliqué » de la chaine «Mentalité Ingénieur». Pour l’essentiel, commencer à 6 minutes du début jusqu’à 9 minutes 25 secondes.
Explication de la technique de modulation de largeur d’impulsion pour obtenir une onde sinusoïdale avec un onduleur. Source : vidéo YouTube «L’onduleur expliqué» de la chaine «Mentalité Ingénieur». Pour l’essentiel, commencer à 6 minutes du début jusqu’à 9 minutes 25 secondes.
Les dispositifs électroniques qui font office d’interrupteurs sont des transistors. Deux types sont principalement utilisés : les IGBTs (Insulated-Gate Bipolar Transistors) et les MOSFETs (Metal Oxide Semiconductor Field Effect Transistors). Par ailleurs, ils peuvent être construits à partir de différents semiconducteurs. Le plus utilisé présentement est le silicium, dont la technologie est mature. Mais, un challengeur, le carbure de silicium (SiC), prend de plus en plus de part du marché, car plus performant. Les moduleurs avec MOSFETs de SiC sont présentement plus chers que ceux avec IGBTs en silicium, mais ils permettent des réductions de coût sur l’ensemble du groupe de traction électrique, comme nous le verrons.
La première compagnie automobile à utiliser des onduleurs au SiC, en production de masse, est Tesla pour sa Model 3, en 2018. Dans une étude de marché faite par IDTechEx intitulée «Power Electronics for Electric Vehicles 2023-2033» on retrouve le graphique suivant, également présenté sur le site Internet de IDTechEx, qui montre la pénétration anticipée du marché par les MOSFETs SiC pour les onduleurs de VÉ, d’ici 2028.
Résultat de l’étude de marché de IDTechEx sur les onduleurs de véhicules électriques, pour différents semiconducteurs. En 2023, le carbure de silicium (SiC) occupait environ le quart du marché, alors qu’il devrait compter pour plus de la moitié en 2028. Source : IDTechEx.
Les avantages du carbure de silicium (SiC) pour les onduleurs
Plusieurs articles présentent les avantages du SiC pour l’électronique de puissance (1, 2, 3, 4, 5). Très sommairement, ces avantages par rapport au silicium traditionnel pour les transistors sont :
- Résistance à de plus hautes tensions (> 1000 V)
- Résistance aux hautes températures (moins besoin de refroidissement)
- Meilleure conductivité thermique (plus facile à refroidir)
- Peuvent fonctionner aux hautes fréquences (plus de précision)
- Moins de pertes d’énergie (plus efficaces)
Ces avantages se combinent pour donner des onduleurs à plus haute tension et plus forts courants, 5 fois plus petits, qui ont 50% moins de pertes, sont plus fiables et nécessitent peu de refroidissement.
La technologie SiC est toutefois moins mature que celle du silicium et coûte plus cher. Présentement, un onduleur au SiC peut coûter 2 à 3 fois plus cher qu’on onduleur au silicium. Mais, plusieurs fabricants ont démontré qu’en considérant le groupe de traction dans son ensemble, les avantages des onduleurs SiC sont tels qu’on peut économiser jusqu’à 20%. Sans compter que le coût va diminuer d’ici quelques années.
Par ailleurs, probablement que l’incidence positive la plus importante c’est la réduction des pertes qui permet d’augmenter l’autonomie de la batterie de 7% environ, où de réduire la grosseur de la batterie de 7% pour une même autonomie. C’est un gain majeur! Citons, à ce sujet, un article de Maurizio Di Paolo Emilio, publié le 4 avril 2023 dans Power Electronics News, intitulé «Silicon Carbide (SiC) inverter extends EV range by over 7%». De même, la présentation de Dirk Geiger et Christoph Bauer, de la compagnie Infineon AG, datée de mars 2023 et intitulée «Mobility Vision for Efficiency : 10 kWh per 100 km» fait état d’un gain de 5% à 10% de l’autonomie d’un VÉ grâce à un onduleur SiC (page 22). On retrouve également l’évaluation d’une diminution de 7% de la capacité de la batterie, due à un onduleur SiC, dans l’article de Bufan Shi et al., A review of silicon carbide MOSFETs in electrified vehicles, journal IET Power Electronics / Volume 16, numéro 12 / mai 2023, pages 2103-2120 .
CONCLUSION
Le fait que les onduleurs au SiC permettent d’augmenter l’efficacité des VÉs et de diminuer la grosseur de leur batterie de 7%, pour un même kilométrage, signifie que l’empreinte écologique de la batterie diminue également de 7%. Encore une autre façon de rendre les VÉs plus propres, qui s’ajoute à toutes les autres que je vous ai présentées dans mes articles, depuis 15 mois.
On peut également diminuer les pertes d’énergie des chargeurs embarqués (niveau 2) et des bornes de recharge rapide à courant continu (niveau 3), ce qui va diminuer la consommation d’électricité pour remplir la batterie et également, bien sûr, l’empreinte écologique des VÉs sur leur cycle de vie. J’en reparlerai dans un autre article.