Il se passe des choses étranges ces jours-ci en matière d’électrification des transports au Québec. En effet, outre le dossier pas très net entre Peugeot-Citroën et le gouvernement du Québec, un autre dossier mérite qu’on s’y attarde : celui des autobus scolaires électriques.
En effet, un peu avant Noël, ceci a été publié dans la Gazette Officielle du Québec1 :
« IL EST ORDONNÉ, en conséquence, sur la recommandation du ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport: QUE le Règlement modifiant le Règlement sur le transport des élèves, annexé au présent décret, soit édicté.
Règlement modifiant le Règlement sur le transport des élèves
Loi sur l’instruction publique (chapitre I-13.3, a. 453)
- Le Règlement sur le transport des élèves (chapitre I-13.3, r. 12) est modifié, à l’article 33, par le remplacement, dans le deuxième alinéa, de « 5 années scolaires » par « 8 années scolaires ».
- Le présent règlement entre en vigueur le quinzième jour qui suit la date de sa publication à la Gazette officielle du Québec. »
Explications.
Depuis de nombreux mois, des commissions scolaires, des opérateurs et des institutions financières demandent au gouvernement du Québec de modifier la durée des contrats de transport des élèves pour faciliter l’achat d’autobus scolaires électriques.
En effet, le prix d’achat initial étant plus élevé pour un autobus scolaire électrique que pour un autobus scolaire diésel, le financement pour l’achat d’autobus scolaires électriques s’avère plus laborieux.
Comme la durée des contrats de transports des élèves était limitée à 5 ans, ces intervenants ont demandé à de nombreuses reprises depuis près d’un an au ministre de l’éducation Sébastien Proulx de prolonger à 8 ans la durée des contrats de transports pour l’achat d’autobus scolaires électriques afin de faciliter leur acquisition.
En effet, si une banque sait qu’un opérateur a signé un contrat de 8 ans plutôt que 5 ans avec une commission scolaire, elle sera plus encline à financer l’achat d’un autobus scolaire électrique. Ça tombe sous le sens.
Or, à la stupéfaction de tous, nous apprenions il y a quelques mois que la durée des contrats s’apprêtait effectivement à être prolongée, mais pour tous les types d’autobus scolaires, (diésels aussi bien qu’électriques) favorisant du coup encore plus l’achat d’autobus scolaires fonctionnant au diésel.
Lorsqu’ils ont appris cette nouvelle, plusieurs intervenants ont plaidé pour que cette prolongation soit réservée exclusivement aux autobus scolaires électriques. Après tout, si le gouvernement veut réellement appuyer la transition vers les transports électrifiés, il doit mettre en place des mesures qui vont en ce sens, n’est-ce pas?
De nombreuses requêtes ont ainsi été faites auprès du ministre Proulx et des ministres successifs aux transports afin que cette « erreur » soit corrigée. Aussi récemment qu’en novembre dernier, ce dossier faisait partie de discussions avec le nouveau ministre des transports, de la mobilité durable et de l’électrification des transports, M. André Fortin.
Or, le 29 novembre 2017, le règlement a été officiellement publié : Ce sera une prolongation de 5 à 8 ans, sans égard au type de motorisation, à compter du 15e jour après sa publication.
Ce faisant, le gouvernement vient de ralentir considérablement la transition vers les autobus scolaires électriques et de faciliter le travail des entreprises qui vendent des autobus fonctionnant au diésel.
Coûts comparatifs des autobus diésel VS électriques
Afin que les choses soient bien claires, commençons par identifier exactement ce dont il s’agit :
- On parle ici d’autobus scolaires de type C, soit les gros autobus jaunes qu’on voit dans notre paysage depuis des lustres. Il ne s’agit donc pas des minibus scolaires;
- En vertu de la loi, la durée d’utilisation maximale de ces autobus scolaires est de 12 ans;
- Les autobus scolaires de type C fonctionnant au diésel coûtent environ $125,000 à l’achat. Ils n’ont été que peu modifiés ou améliorés au fil des décennies;
- Les autobus scolaires de type C fonctionnant à l’électricité coûtent environ $285,000 à l’achat. La subvention pour les autobus scolaires électriques est de $125,000 l’unité. Elle descendra à $105,000 au 1er avril 2018, soit dans quelques semaines.
- Il y a environ 8000 autobus scolaires de type C en opération au Québec, ce qui représente environ 80% de tous les types d’autobus scolaires du Québec. Pour le moment, plus de 99% des autobus scolaires de type C circulant au Québec fonctionnent au diésel. Donc, moins de 1% sont électriques.
- Lorsqu’on additionne tous les coûts (achat, carburant, entretien, etc), les autobus scolaires électriques coûtent à peine plus cher que les autobus scolaires diésel durant leur vie utile de 12 ans (environ $5000 de plus par an), MAIS créent beaucoup plus d’emplois au Québec, ce qui amène des revenus supplémentaires au gouvernement via les impôts payés par les employés et les entreprises d’ici. Économiquement, le Québec est donc gagnant à appuyer ce virage.
Diésel :
$125,000 (coût d’achat) + $100,800 (carburant à $1,20) + environ $20,000 (entretien) =
Environ $245,800
Électrique :
$285,000 (coût d’achat) + $20,000 (électricité) + environ $5000 (entretien) =
Environ $ 310,000
- Il est toutefois important de souligner que cette différence de prix disparaitra au fur et à mesure que la production d’autobus scolaires électriques augmentera car les coûts de production iront en diminuant alors que le cout des autobus scolaires diésel ne descendra pas.
Quelques données incontournables
- Pratiquement tous les autobus scolaires diesel de type C vendus au Québec viennent des USA : Bluebird (Georgie), International (Oklahoma), Thomas (Caroline du Nord)
- Les autobus scolaires électriques de type C viennent de Saint-Jérôme et sont fabriqués par Autobus Lion ;
- À chaque année, de 600 à 700 par autobus sont renouvelés ;
- Les autobus scolaires de type C parcourent en moyenne 20,000 kilomètres par année;
- Un autobus scolaire fonctionnant au diésel consomme en moyenne 35 L / 100 km;
- Un autobus scolaire diésel consomme donc environ 7000 litres de diésel / an;
- Un autobus scolaire diésel émet donc environ 16,100 kilos de CO2 / an;
- À environ $1,20 / litre, la facture de diésel est de $8400 par année par autobus;
- Sur 12 ans, la facture de diésel pour cet autobus est donc de $100,800;
- SAUF QUE, le gouvernement du Québec subventionne l’achat de diésel. En effet, en vertu des règles actuelles, le gouvernement subventionne l’achat de diésel à hauteur de tout surplus de coût du diésel qui dépasse 60 cents le litre. Donc, à $1,20 le litre de diésel, le gouvernement subventionne 60 cents le litre ou plus de $50,000 sur 12 ans par autobus;
- Ça veut donc dire qu’au prix actuel du diésel le gouvernement subventionnera $400 millions de diésel pour la flotte de 8000 autobus diésel de type C sur 12 ans ou plus de $33 millions/an;
- Comme contrairement au prix de l’électricité, nous ne contrôlons pas prix du diésel, il y a de bonnes chances que le prix de celui-ci augmente. Si d’ici les prochaines années ce prix augmente à $2 le litre (ce qui est loin d’être impossible), le montant de subventions gouvernementales pour le diésel de la flotte d’autobus ira jusqu’à environ $1 milliard sur $12 ans !
- 2 études ont été publiées l’an dernier sur l’impact néfaste des autobus diésel sur la santé des enfants qui les utilisent.2 C’est d’ailleurs une des raisons à l’origine des essais d’autobus scolaires électriques québécois en Californie.3
- Le gouvernement subventionne donc la pollution ET
- les problèmes de santé des enfants.
À contrario, la transition vers les autobus scolaires électriques représente un intérêt multiple :
- Création d’une expertise en électrification d’autobus scolaires québécois ;
- De nombreux emplois au sein de plusieurs entreprises québécoises ;
- Augmentation de revenus pour le gouvernement via les impôts payés par les employés québécois ainsi que les entreprises situées au Québec;
- Baisse des prix des autobus scolaires électriques au fur et à mesure de l’augmentation de la production ;
- Amélioration de notre balance commerciale ;
- Pas d’émissions polluantes et d’émissions de gaz à effet de serre sortant du pot d’échappement de ces autobus scolaires contrairement aux autobus scolaires diésel;
- Amélioration de la santé des enfants qui circulent à bord de ces autobus scolaires électriques ;
- Exemple pour la génération montante de la pertinence des véhicules électriques ;
- Baisse des importations de pétrole dans ce secteur;
- Diminution de notre dépendance au pétrole;
- Utilisation accrue de l’électricité québécoise ;
Sachant cela:
Pourquoi, si le gouvernement a adopté une loi Zéro Émission pour accroître la vente de véhicules « zéro émission » (voitures et camions légers) sur le territoire québécois alors que ces véhicules sont fabriqués hors Québec, le gouvernement ne met-il pas en place une loi zéro émission pour forcer l’augmentation du nombre d’autobus scolaires électriques… surtout sachant que ceux-ci risquent de provenir d’un fournisseur Québécois ?
Le gouvernement a donc un choix très clair :
- appuyer financièrement le virage vers les autobus scolaires électriques québécois
OU
- continuer à appuyer financièrement l’achat d’autobus scolaires diésel importés ET à subventionner notre dépendance au diésel (lui aussi importé) … et la pollution qui vient avec.
C’est aussi simple que cela.
1 : http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=1&file=67516.pdf
2 : https://www.arb.ca.gov/research/schoolbus/schoolbus.htm
3 : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1011087/autobus-scolaires-electriques-saint-jerome-californie