Récemment sortait dans le Journal Le Monde, en France, un entrefilet alarmiste sur les voitures électriques intitulé « Émissions de CO2 : l’impasse de la voiture électrique ». Ce bref article fait référence à une étude française de 2013 réalisée par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et traitant des gaz à effet de serre (GES) sur le cycle de vie des voitures électriques (VÉ), comparés à ceux émis par des voitures thermiques (VT). L’étude prend en considération la fabrication du véhicule et de sa batterie en plus des GES émis par les centrales électriques lors de la recharge de la batterie. On considère que les voitures et la batterie sont fabriquées en France et que les voitures sont utilisées en France également. L’étude peut être téléchargée ici : http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/90511_acv-comparative-ve-vt-rapport.pdf.
Mais le réseau électrique français émet très peu de GES (beaucoup de centrales nucléaires) comparativement aux réseaux de l’Allemagne, des États-Unis, du Japon et de la Corée d’où proviennent la majorité des voitures vendues sur le sol nord-américain. Par ailleurs, la recharge des voitures électriques en Amérique du Nord fait appel à des réseaux électriques très différents de celui de la France, contenant un bon nombre de centrales au charbon et au gaz naturel. J’ai donc recherché une autre étude de cycle de vie des voitures pour un pays ayant un réseau électrique similaire aux quatre que je viens de mentionnés. Celle que j’ai retrouvée, pilotée par le LOWCVP (Low Carbon Vehicle Partnership), a été réalisée au Royaume-Uni, en 2013 également. Et le réseau électrique du Royaume-Uni correspond au critère recherché de similitude des réseaux électriques. L’étude est intitulée « Life Cycle Assessment of Low Carbon Cars 2020-2030 ».
J’ai d’abord mis les résultats de ces deux études sur le même graphique que voici :
Ensuite, j’ai utilisé certains résultats de l’étude du Royaume-Uni que j’ai complétée par d’autres études et statistiques américaines et canadiennes pour réaliser un graphique qui présente les GES sur le cycle de vie dans différentes régions de l’Amérique du Nord. Les détails de la méthodologie et les références pertinentes pour y arriver sont présentés dans un document pdf plus complet que le présent billet que vous pouvez télécharger ici :
http://roulezelectrique.com/wp-content/uploads/2015/10/GES-cycle-de-vie-Voitures.pdf
Voici le deuxième graphique :
Comme vous pouvez le constater, les émissions de GES sont plus fortes en Amérique qu’en Europe. La principale raison est liée aux différents cycles d’essai sur la consommation de carburant ou d’électricité des véhicules. En Europe, on utilise le cycle NEDC (New European Driving Cycle) très complaisant envers les constructeurs d’automobiles, alors qu’aux États-Unis le cycle de l’EPA (Environmental Protection Agency) est reconnu pour donner des résultats très près de la vraie vie.
Les abréviations utilisées pour identifier chaque barre verticale du dernier graphique sont intuitives. Les deux premières lettres définissent le type de véhicule : VT pour véhicule thermique, VH pour véhicule hybride (non rechargeable) et VÉ pour véhicule électrique. Le 12 indique l’année 2012 et les lettres subséquentes la région. AmN = Amérique du Nord, NouA = Nouvelle Angleterre (Maine, New Hampshire, Vermont, Massachussetts, Rhode-Island et Connecticut), Flor = Floride, Kans = Kansas, Cal = Californie, Ont = Ontario et Qué = Québec.
DISCUSSION
Tout d’abord, notons que les émissions moyennes de GES du réseau électrique des États-Unis sont identiques à celles du réseau de la Floride.
Ceci étant dit, la première constatation qui saute aux yeux concernant le dernier graphique pour l’Amérique du Nord est qu’une voiture électrique comme la Leaf de Nissan va émettre partout moins de gaz à effet de serre sur son cycle de vie qu’une Ford Focus à essence. Toutefois, dans les régions semblables au Kansas avec beaucoup de centrales au charbon il serait préférable pour l’instant de conduire une voiture hybride comme la Prius.
L’Ontario et le Québec sont des endroits rêvés pour déployer des véhicules électriques en grande quantité dès maintenant. L’électricité ontarienne s’est beaucoup décarbonée dans la dernière décennie, alors que les Ontariens fermaient graduellement leurs centrales au charbon, comme le montre le graphique suivant tiré du Rapport T2 2015 sur l’énergie de l’Ontario.
Les États-Unis également ferment des centrales au charbon et les remplacent par des centrales au gaz naturel et de l’énergie renouvelable, mais plus lentement que l’Ontario. Par ailleurs, l’énergie solaire aux États-Unis est en croissance exponentielle avec un taux d’augmentation annuel des 4 dernières années de 77 %, alors que les prix des panneaux solaires diminuent constamment. L’énergie éolienne, pour sa part, contribue déjà à la hauteur de 5 % dans la production d’électricité de ce pays et son taux de croissance annuel est de 10 % présentement. Le réseau électrique des États-Unis est donc appelé à diminuer considérablement ses émissions de GES d’ici 2030.
Une chose est certaine, l’énergie électrique devient de plus en plus propre alors que le pétrole devient de plus en plus sale puisque celui qui est facile à extraire s’épuise. On est forcé désormais de composer avec les sables bitumineux, le pétrole de schistes et le pétrole marin en eau profonde, qui s’accompagnent de désastres environnementaux de plus en plus horribles (catastrophe sur une plateforme de forage du Golfe du Mexique en 2010, fuite majeure d’un oléoduc d’Enbridge (bitume dilué) entrainant une contamination sévère de la rivière Kalamazoo sur 40 km au Michigan en 2010, déraillement d’un convoi ferroviaire de pétrole de schistes qui enflamme un secteur de la ville de Lac-Mégantic au Québec en 2013 et tue 47 personnes…). La voie à prendre est toute indiquée; l’énergie propre, l’électricité.
Maintenant, les GES émis lors de la fabrication des batteries (en bleu dans les graphiques) sont exagérés, puisqu’il devient de plus en plus évident que ces batteries vont avoir une deuxième vie pour stocker l’énergie des réseaux électriques, au sol. Plusieurs compagnies prennent des actions dans ce sens. Même si la batterie a perdu 25 % de sa capacité à la fin de la vie du véhicule électrique, elle peut être très utile au sol où la densité d’énergie stockée est moins importante que pour une voiture. La batterie peut facilement être plus lourde. On pourra donc diminuer par deux ou plus les GES émis pour la fabrication des batteries. De plus, en alimentant les usines de batteries avec de l’énergie renouvelable, comme le fait Tesla Motors avec sa giga-usine, on va pouvoir diminuer davantage la contribution aux GES de la fabrication de la batterie.
Construire des voitures et des batteries en Ontario et au Québec ferait diminuer encore plus leurs GES associés. La carte verte du Québec est sous-utilisée!
Deux autres avenues évidentes à exploiter pour diminuer les GES sont la durabilité des véhicules pour éviter d’en acheter des neufs trop souvent, et le covoiturage intelligent à la Uber, pour diminuer le nombre de véhicules en circulation.
Enfin, n’oublions pas que même dans les pays/régions où il y a une équivalence présentement entre les émissions de GES des voitures électriques et celles des voitures thermiques, due aux réseaux électriques pas encore suffisamment décarbonés, il y a d’autres avantages à utiliser l’électricité.
Les voitures électriques sont silencieuses, ce qui est davantage compatible avec un environnement urbain plus sain. Elles sont plus agréables à conduire dû à leur accélération supérieure et leur meilleure tenue de route engendrée par un centre de gravité plus bas (batterie lourde dans le plancher ou près de celui-ci). Et on ne doit pas oublier l’indépendance énergétique que confère l’électricité dans beaucoup de pays/régions qui peuvent désormais s’affranchir d’une bonne partie du pétrole qu’on y consomme. Cette indépendance leur procure une sécurité nationale en les mettant à l’abri des tensions géopolitiques liées aux pays producteurs d’or noir. De plus, l’indépendance énergétique améliore de façon importante leur balance commerciale puisque qu’ils n’envoient plus des milliards de dollars à l’extérieur de leur territoire pour acheter le pétrole.
Bref, avis aux détracteurs des véhicules électriques qui voudraient maintenir le statut quo avec les voitures thermiques, l’avenir est DÉFINITIVEMENT électrique.
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