Ces jours-ci, à moins de vivre « sous une roche » comme dirait ma mère, il est difficile d’échapper à toute la couverture médiatique qui entoure le projet Énergie Est.
Comme je m’intéresse depuis de nombreuses années à tout ce qui touche de près ou de loin aux dossiers liés à l’énergie et aux transports, je suis évidemment de très près ce dossier.
C’est d’ailleurs dans cette perspective que je suis allé assister aux premières audiences du BAPE lundi dernier à Lévis.
Et j’y ai vécu le jour de la marmotte.
Retour dans le passé
Au fil des 15 dernières années, j’ai entendu à plusieurs reprises des promoteurs de tous acabits affirmer la main sur le cœur et fort de leur assurance à quel point leur projet serait bénéfique pour la création d’emplois, l’économie… mais aussi et surtout à quel point il y avait URGENCE d’aller de l’avant pour toutes sortes de raisons : économiques, énergétiques, écologiques même.
C’est pourquoi je veux revenir sur certains de ces projets afin de bien vous faire comprendre à quel point j’ai l’impression qu’on nous repasse le même vieux film.
2002 : audiences du BAPE sur le projet de centrale du Suroît.
André Caillé et la haute direction d’Hydro-Québec évoque « l’urgence » d’aller de l’avant avec la construction de la centrale au gaz naturel du Suroît à Beauharnois. Selon les dires du PDG d’HQ, si on ne construit pas cette centrale, on risque d’être en pénurie d’électricité, bref, on pourrait se retrouver dans le noir.
À la fin 2003, M. Caillé sort même publiquement pour demander aux consommateurs du Québec de baisser leur thermostat lors d’une période de grand froid pour éviter le crash du réseau. J’apprendrai plus tard que cette sortie avait été planifiée quelques mois auparavant dans une campagne de relations publiques pour créer un sentiment de peur qui aiderait à faire accepter plus facilement le projet du Suroît.
Comme on le sait, cette centrale n’a jamais été construite suite à la mobilisation populaire. Mais vous rappelez-vous la raison évoquée par le ministre des Ressources naturelles de l’époque, M. Sam Hamad, pour annoncer la fin du projet du Suroît?
Il a dit le plus sérieusement du monde que puisque l’été 2004 avait été pluvieux, les réservoirs des barrages hydroélectriques étaient pleins et qu’ainsi la construction de la centrale du Suroît n’était plus nécessaire.
Or, les barrages prennent DES ANNÉES à se remplir.
Ça ne s’invente pas.
2003 : audiences du BAPE sur le projet de centrale de Bécancour
Dans le cadre des audiences du BAPE sur le projet de la centrale au gaz naturel de Bécancour, Robert Tessier, PDG de Gaz Métro de l’époque, est sorti publiquement pour affirmer que ne pas construire cette centrale au gaz « serait une catastrophe économique pour le Québec ».
Comme tout le monde le sait, cette centrale au gaz naturel privée qui appartient à nulle autre que la compagnie TransCanada a finalement été construite… et c’est une catastrophe économique pour le Québec.
Après avoir été en fonction pendant moins de 18 mois, la direction d’Hydro-Québec en est venue à la conclusion que leurs surplus énergétiques étaient tels qu’il leur coûterait moins cher de fermer cette centrale.
Résultat : nous aurons payé en 2020 plus de 2 milliards $ à TransCanada pour garder cette centrale fermée.
Aujourd’hui, Robert Tessier est président du C.A. de la Caisse de Dépôt et Placements du Québec, notre « bas de laine collectif ».
2006 : audiences du BAPE sur le projet de port méthanier Rabaska
Lors des audiences du BAPE sur le projet de port méthanier Rabaska, le promoteur a affirmé que « les réserves accessibles de gaz naturel du bassin sédimentaire de l’ouest canadien sont en déclin et susceptibles d’être épuisés d’ici 9 à 10 ans », (ce qui nous amène en 2016) affirmation acceptée par les commissaires du BAPE sans que ceux-ci aient recours à quelque analyse indépendante sur des projections énergétiques autres que celles du promoteur.
Les commissaires ont donc dit OUI à ce projet nécessaire pour « assurer la sécurité énergétique du Québec ».
Comme l’histoire l’a démontré, la chute brutale du prix du gaz naturel directement liée à l’arrivée massive sur le marché nord-américain du gaz naturel issu des schistes a démontré que 10 ans plus tard, l’Amérique du Nord au grand complet nage dans les surplus de gaz naturel.
2008 : Gentilly 2, la réfection « nécessaire pour stabiliser le réseau »
En 2008, le PDG d’Hydro-Québec a annoncé qu’ils iraient de l’avant avec la réfection de la centrale nucléaire Gentilly 2. Selon ses propres dires, la prolongation de la vie utile de cette centrale était nécessaire « afin de stabiliser le réseau électrique d’Hydro-Québec ».
L’estimation de coût de cette réfection était alors de 1,9 milliards $.
En 2012, lorsque nous avons décidé de mettre fin à ce projet, la dernière évaluation sur les coûts de cette réfection avaient grimpé à 4,3 milliards $.
Aujourd’hui, cette centrale est fermée… et le réseau demeure stable.
2010 : audiences du BAPE (1er BAPE) sur le gaz de schiste
En 2010, les promoteurs du gaz de schiste, le président de l’Association du Pétrole et du Gaz du Québec, un certain André Caillé, affirmait que l’exploitation du gaz de schiste constituait une opportunité d’affaires extraordinaire qui générerait rien de moins que 7500 à 15000 emplois. Une étude de Secor sur le dossier évoquera plutôt 5000 emplois, dont une majorité sera indirect.
Or, une analyse indépendante faite par l’économiste Pierre-André Julien écrit du potentiel de création d’emplois la chose suivante : « Au plus, on peut parler de moins de 3000 emplois dans la meilleure situation possible, soit pourtant 14 fois plus que les emplois créés par la même exploitation de 6500 puits dans l’État de New York… »
En 2014, lors du dépôt du rapport du 2e BAPE sur le gaz schiste, (comme on risque d’avoir 2 BAPE sur Énergie Est), l’argument de la rentabilité économique de cette exploitation est démoli. Le rapport précise que cette exploitation ne serait pas rentable au cours des 25 premières années d’exploitation. Les coûts générés par cette industrie dépasseraient ainsi les redevances perçues par le gouvernement québécois.
2016 : audience du BAPE sur Énergie Est
Vous comprenez pourquoi j’ai l’impression de vivre le jour de la marmotte en écoutant encore une fois les affirmations des promoteurs du projet Énergie Est qui parlent de ce projet en affirmant presque qu’il en va de l’avenir économique du Canada, de la nécessité de ce pipeline et de toutes ces autres affirmations faites allègrement, mais sans même prendre la peine d’appuyer leurs dires sur des documents indépendants et crédibles…
et tout comme avec le projet Rabaska, nous assistons à une baisse brutale du prix du pétrole qui risque fort de durer.
Pour ceux et celles qui comme moi suivent de près les dossiers de l’énergie et des transports, sachez que l’arrivée de nouvelles technologies en matière de transport intelligent, électrifié et autonome bousculera la donne énergétique à un point tel que cela risque fort des rendre d’ici une couple d’années le projet de pipeline Énergie Est aussi « incontournable » qu’une cassette 8 pistes en 2016 comme l’a très bien expliqué Pierre Langlois dans son texte intitulé « L’échec économique prévisible du pétrole sale ».