Dimanche le 18 novembre 2018, madame Catherine Morency, professeure titulaire à l’École Polytechnique de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche sur la mobilité, déclarait à l’émission Tout le monde en parle, de Radio-Canada, que remplacer sa voiture personnelle à essence par un véhicule électrique (VÉ) n’est pas un geste vert(visionner son entrevue sur YouTube ICI, à partir de 5 min 45 sec du début).
Ses arguments étaient que la production des VÉ génère plus de gaz à effet de serre (GES), qu’ils utilisent des matériaux appelés Terres rares, très polluants, et que de toute façon, remplacer un véhicule à essence par un véhicule électrique ne réglait pas tous les problèmes. Sur ce dernier point, je suis d’accord avec elle, car on ne règle pas la congestion routière aux heures de pointes ni les problèmes de stationnement, si on garde le même nombre de véhicules sur les routes.
Je peux comprendre que madame Morency ait des préoccupations sur certains points concernant les VÉ, et que le stress d’une entrevue à une émission avec un si large auditoire fasse qu’on oublie des nuances et certaines informations très importantes. Malheureusement, ayant moi-même écouté l’entrevue, ainsi que certains de mes amis et collègues qui m’en ont parlée, force est de constater que cette intervention de madame Morency a eu pour effet de semer le doute auprès des gens, concernant les véhicules électriques. Une excellente opportunité a été manquée de mettre en valeur les énormes avantages des VÉ versus les véhicules à essence ou au diesel.
Pour remettre les pendules à l’heure, je vous propose une série de trois textes, dont le présent article est le premier. Dans les paragraphes qui suivent, je parlerai des réseaux électriques toujours plus verts et du pétrole toujours plus sale, de la santé publique et de l’économie. Dans le deuxième texte, je vais aborder le cycle de vie des VÉ vs les véhicules à essence, la deuxième vie des batteries et leur recyclage, ainsi que les nouvelles batteries qui s’en viennent. Finalement, dans le dernier texte, je ferai le point sur les véhicules autonomes et leur impact sur une diminution très importante des véhicules sur nos routes, d’ici 2030.
Avant de tomber dans le vif du sujet, il est bon de se rappeler que la perfection est l’ennemi du bien. Pour le transport, il n’y a pas de solution parfaite, sans empreinte écologique, mais il y en a qui sont déjà meilleures et qui offrent la possibilité de s’améliorer davantage, rapidement, alors que d’autres ne vont que se dégrader avec le temps.
Des réseaux électriques propres et d’autres de plus en plus propres
On sait que l’électricité est très propre au Québec (99,8 % d’énergie renouvelable), et ne génère que 17 g CO2éq/kWhd’électricité produite. Sachant, par ailleurs, qu’une voiture électrique intermédiaire consomme environ 18 kWh/100 km, celle-ci générera des émissions de 300 g CO2/100 km, au Québec. D’autre part, la combustion complète d’un litre d’essence produit 2,4 kg de CO2. Par conséquent, une voiture à essence consommant 7,5 L/100 km émettra 18 000 g CO2/100 km. Une voiture à essence émet donc 60 fois plus de GES au Québec qu’une voiture électrique, lors de son utilisation!
Par ailleurs, l’Ontario a diminué les GES associés à chaque kWh produit par un facteur sept, de 2000 à 2015, en fermant ses centrales au charbon et en utilisant des énergies renouvelables et nucléaire. L’intensité d’émissions des centrales ontariennes est passée de 300 g CO2éq/kWhen 2000 à 40g CO2éq/kWhen 2015, comme le montre la figure ci-dessous, tirée du rapport «2018 Energy Conservation Progress Report, Volume One» du commissaire à l’environnement de l’Ontario. Comme quoi, quand on veut on peut!
De plus, mondialement, l’organisation REN21, dans son rapport « Renewables 2018 – Global Status Report » nous apprend que les deux tiers des investissements pour les nouvelles sources d’énergie, en 2017, se sont fait pour de l’énergie renouvelable. Voici une diapo de mon cours qui reprend une des illustrations du rapport, à cet effet.
Et, ce pourcentage va augmenter constamment, car le prix de l’énergie solaire et éolienne a beaucoup diminué et continue de le faire. La firme d’investissement bancaire Lazardvient tout juste de sortir la version 12 de son tableau des prix de l’électricité aux États-Unis, pour diverses technologies (ci-dessous). On y constate que le prix des centrales solaires s’étale de 3,6 ¢/kWh à 4,4 ¢/kWh, celui des éoliennes sur terre de 2,9 ¢/kWh à 5,6 ¢/kWh, alors que le prix des centrales au charbon oscille entre 6 ¢/kWh et 14 ¢/kWh. Fini le charbon!
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en parallèle avec cette diminution très rapide du prix de l’énergie solaire, l’amélioration des batteries Li-ion et l’augmentation exponentielle de leur production mondiale ont fait diminuer leur coût dramatiquement également. On parle d’un facteur 5 de 2010 à 2017, et une diminution d’un facteur 2 de plus sera atteinte d’ici 2020, pour une réduction totale du coût des batteries d’un facteur 10 en 10 ans! Ceci est bien illustré par des graphiques du magazine The Economist (ci-dessous), dans l’article « The growth of lithium-ion battery power » (14 août 2017).
La conséquence de cette évolution technologique et économique exceptionnelle est qu’il devient rentable, à bien des endroits, de remplacer une centrale au charbon ou au gaz par des panneaux solaires ou/et des éoliennes, avec stockage dans des batteries Li-ion, pour la nuit ou une période moins venteuse.
C’est ce qui est arrivé en Australie en 2017, alors qu’on a remplacé une centrale au gaz d’appoint (peaker) par une très grosse batterie de 100 MW et 129 MWh, pour stocker de l’énergie renouvelable et réguler la stabilité du réseau, selon un article de Clean Technica, intitulé «1st Year Income From Tesla Battery in South Australia Equals 1/3 Of Its Cost» (27 septemble 2018). Voici une diapo de mon cours là-dessus.
Et, ce n’est qu’un début ! Au Colorado, les unités 1 et 2 de la centrale au charbon de Commanche, totalisant 660 MW, vont être fermées et remplacées par 1,1 GW d’éoliennes et 707 MW de fermes solaires PV, couplées à 275 MW de batteries Li-ion pour le stockage. Voir l’article de Julia Pyper ICI, daté du 29 août 2018.
Finalement, mentionnons la Californie, qui vient d’autoriser l’installation de quatre grosses batteries totalisant 2,27 GWh, afin de remplacer trois centrales au gaz d’appointqui arrivent en fin de vie.
TOUT ÇA POUR DIRE QUE LES RÉSEAUX ÉLECTRIQUES VONT SE VERDIR PLUS VITE QU’ON PENSE, ET RENDRE LES VÉHICULES ÉLECTRIQUES DE PLUS EN PLUS PROPRES AUX ENDROITS MOINS CHOYÉS QUE LE QUÉBEC, L’ONTARIO, LA FRANCE OU LA NORVÈGE.
Mais, comme nous allons le voir dans mon deuxième article de la présente trilogie, même pour les pays qui ont des centrales thermiques, au gaz ou au charbon, la voiture électrique en ressort gagnante dans la grande majorité des cas, présentement. Et ce sera 100 % des cas sous peu.
Un pétrole de plus en plus sale
D’entrée de jeu dans cette section, je vous convie à visionner un bout de 2 min 30 sec du film « La fin du pétrole » sur YouTube, de Yann Arthus-Bertrand. Le bout en question commence à 44 min 45 sec du début du documentaire et montre le ravage écologique occasionné par les sables bitumineux. L’empreinte écologique du pétrole canadien devient toujours plus lourde, puisqu’en 2018 près du 2/3 de la production pétrolière canadienne provient des sables bitumineux, et que les prédictions pour 2030 s’alignent vers les 75 % de la production, selon la Canadian Association of Petroleum Producers.
Chez nos voisins du Sud, c’est la folie du pétrole extrait par fracturation hydraulique. Selon l’Energy Information Administration, on en était rendu à 51 % de la production en 2015, alors que la production conventionnelle de pétrole décroit constamment et celle du pétrole issu de la fracturation hydraulique augmente constamment.
Or, les dangers de cette technologie de forage pour la pollution des nappes phréatiques sont bien connus. Rappelons qu’on injecte sous pression une multitude de produits toxiques mélangés à de l’eau pour fracturer les roches. Sans parler des bassins de rétention des fluides toxiques, utilisés pour la fracturation, qui peuvent fuir et se déverser dans l’environnement.
Maintenant, ce qu’il faut savoir, c’est qu’en 2017 le Québec a importé son pétrole principalement du Canada (45 %) et des États-Unis (38 %), alors que les importations outre-mer ont chuté à 17 % de notre approvisionnement seulement. Voir, à cet effet, l’article de Jean-Philippe Cipriani dans la revue Actualité, intitulé « Le nouveau visage du pétrole au Québec » (13 juillet 2018).
Le pétrole au Québec et en Amérique du Nord est donc déjà très sale et le devient de plus en plus! Avis aux mordus des véhicules à essence énergivores.
Et là, je ne parle même pas des multiples catastrophes environnementales liées à l’exploitation du pétrole. Il suffit de se rappeler du désastre de la plateforme de forage Deep Water Horizon dans le Golfe du Mexique, en 2010, ou de l’incendie infernal à Lac Mégantic en 2013.
Le smog qui tue
En 2008, l’Association médicale canadienneprésentait un rapport percutant sur les effets néfastes de la pollution atmosphérique, dus en bonne partie aux véhicules automobiles dans nos villes. Le titre de ce rapport est « No Breathing Room – National Illness Costs of Air Pollution » et on y apprend qu’il y a eu au Canada, en 2008, 21 000 mots prématurés dans le pays, reliées principalement aux maladies respiratoires et cardiaques. Ils ont chiffré à 8 milliards $ le coût annuel pour les Canadiens.
Plus récemment, en 2018,un rapport accablant de l’Agence européenne de l’environnementfait état de 518 700 morts prématurés en 2013 dus à la pollution de l’air en Europe!
En fait, il ne faudrait pas oublier que la loi zéro émission, instaurée en 1990 en Californie, avait comme principal objectif de réduire les morts et les maladies à Los Angeles, dus au smog causé par les véhicules automobiles.
Nos engagements pour réduire les GES
Un autre aspect très important pour le Québec et les autres États c’est la réduction de nos GES, pour mitiger les changements climatiques. N’oublions pas que le Québec s’est engagé à réduire ses émissions de GES de 37,5 % d’ici 2030, par rapport à 1990, et que le transport représente 41 % de ces émissions. La réduction dans le domaine des transports est d’autant plus importante que selon l’ Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2014 et leur évolution depuis 1990 , les GES ont augmenté de 27 % de 1990 à 2014. Il faudrait donc réduire les GES de 37,5 + 27 = 64 % d’ici 2030 !
Or, nous avons vu plus haut qu’une voiture intermédiaire émettait 60 fois moins de GES qu’une voiture à essence, au Québec, pendant son utilisation. Et, dans un article récent, j’ai fait ressortir une statistique étonnante qui démontre que les transports collectifs urbains, au Québec, émettent pratiquement autant de GES par voyageur-km que les voitures personnelles, dû à leur faible utilisation en dehors des heures de pointe.
En fait, les avenues prometteuses, de ce côté, résident principalement dans l’autopartage et les véhicules électriques. Les transports actifs et le télétravail font également partie de l’équation.
Annuler notre déficit commercial
Enfin, il y a un dernier point qu’il ne faut pas négliger pour délaisser le pétrole en faveur des véhicules électriques, c’est le rétablissement d’une balance commerciale positive dans notre commerce avec l’extérieur. Au lieu d’envoyer des milliards $ en dehors de notre territoire, pour acheter du pétrole, il est bien plus logique d’utiliser notre électricité propre, abondante et bon marché, pour stimuler notre économie.
En résumé
Le statu quo avec les véhicules à essence et au diesel n’est ABSOLUMENT PAS une option, compte tenu des énormes méfaits dont ils sont responsables, surtout depuis que le pétrole des sables bitumineux et le pétrole produit par fracturation hydraulique ont pris le dessus, en Amérique du Nord.
Les émissions de GES pratiquement nulles de l’électricité produite par Hydro-Québec font de notre province un paradis pour les véhicules électriques. Et ailleurs, nous avons vu que l’évolution ultra-rapide de l’énergie solaire photovoltaïque et des batteries, entrainant des chutes exponentielles des prix, fait qu’on remplace déjà des centrales thermiques par de l’énergie renouvelable (solaire et éolienne) et des batteries. Les réseaux vont se verdir bien plus vite qu’on pense.