Le 3 décembre dernier, la compagnie japonaise Sekisui Chemical annonçait qu’elle venait de développer une nouvelle batterie Li-ion trois fois plus dense que celles qui sont actuellement sur le marché. Le physicien Pierre Langlois nous en parle aujourd’hui ainsi que du travail de recherche qui s’effectue actuellement à travers le monde sur les batteries Lithium-Ion à électrode de silicium.
Dans le cadre d’une entente nouée avec le physicien Pierre Langlois , Éco-Énergie à Montréal et Roulezelectrique ont obtenu le privilège de vous présenter le contenu intégral des infolettres qu’il publie sur une base régulière. Mentionnons que Pierre Langlois est consultant en mobilité durable, auteur et conférencier. Il est d’ailleurs l’auteur du livre Rouler Sans Pétrole, publié aux Éditions MultiMondes. On a pu l’apercevoir au petit écran dans des reportages consacrés aux hybrides rechargeables et aux batteries et voitures électriques, à l’émission Découverte, entre autres, où il a témoigné en tant qu’expert. Il a également siégé sur le comité aviseur responsable d’appuyer Daniel Breton dans le développement de la politique d’électrification des transports du Québec. Un gros merci à lui.
Nouvelles batteries Li-ion avec Silicium : Des gains substantiels !
Bonjour à tous
Au début décembre, la compagnie japonaise Sekisui Chemical annonçait qu’elle venait de développer une nouvelle batterie Li-ion trois fois plus compacte (900 Wh/litre) que celles qui sont actuellement sur le marché (300 Wh/litre). Ils y sont arrivé grâce à une anode en alliage de silicium structuré à l’échelle des nanomètres (millionième de millimètre) au lieu du graphite usuel (forme cristalline particulière du carbone). L’image ci-dessous provient de leur site Internet ( http://www.sekisuichemical.com/about/whatsnew/2013/1239025_17313.html ).
Dans une batterie, il y a deux matériaux qui constituent les électrodes (l’anode et la cathode) séparés par un électrolyte pour assurer le transfert des charges électriques. On sait depuis longtemps que le silicium peut intégrer dans sa structure cristalline 10 fois plus d’atomes de lithium que le graphite normalement utilisé dans l’anode des batteries Li-ion d’aujourd’hui. Même si Sekisui Chemical parle d’une réduction d’un facteur 3 dans le volume des batteries, ça ne se traduit pas par le même facteur de réduction de poids. Une petite boule de pétanque est bien plus lourde qu’un gros ballon gonflé d’hélium. En principe, on pourrait réduire le poids des batteries Li-ion de 40 % environ en utilisant le silicium au lieu du graphite pour l’anode. Pour être plus explicite, disons que la cathode est plus lourde que l’anode et il faut considérer les deux électrodes pour en arriver au poids total d’une batterie.
La raison pour laquelle ces batteries ne sont pas encore sur le marché, c’est qu’il y a un gros problème avec le silicium, il gonfle jusqu’à 4 fois son volume lorsqu’il agit comme éponge pour absorber les ions lithium, lors de la recharge, pour ensuite se dégonfler lors de la décharge. Ces changements importants de volume de l’électrode occasionnent des stress énormes dans la structure cristalline, responsables d’une dégradation rapide de la batterie. Les batteries prototypes réalisées jusqu’à ce jour, compatibles avec une production en série, ont été limitées à 200 – 300 cycles de recharge/décharge.
Il faut également être conscients que la quantité d’électricité stockée dans une batterie n’est pas le seul facteur déterminant qui assure un succès commercial. Une bonne batterie doit également
- fonctionner dans une gamme de températures acceptable (-30°C à +50 °C)
- pouvoir se recharger suffisamment rapidement (moins de 30 minutes)
- avoir une durée de vie supérieure à 1500 cycles de recharge
- être très sécuritaire (pas d’incendies)
- utiliser des matériaux peu toxiques et abondants
- avoir un prix de vente suffisamment bas
Or l’annonce de Sekisui Chemicals ne donne aucun chiffre pour quantifier ces critères, sauf de dire que la batterie est sécuritaire et qu’elle devrait se vendre à un prix concurrentiel. Il faut donc être prudent avant de «sauter au plafond». Souhaitons leur tout de même bon succès.
J’en profite pour vous informer un peu plus sur le travail intense de recherche qui s’effectue un peu partout dans le monde sur ces nouvelles batteries à fort potentiel.
Les différentes approches mise de l’avant visent toutes à créer une électrode de silicium suffisamment poreuse pour permettre le gonflement du silicium lors de la recharge, sans briser l’électrode.
On peut regrouper ces approches en trois catégories qui mettent toutes en cause des structurations du silicium à l’échelle nanométrique pour créer la porosité.
La première approche consiste à revêtir des nanoparticules d’une mince couche d’un polymère conducteur capable de s’étirer sans se détériorer et d’amalgamer ensemble ces particules de manière à laisser des espaces convenables pour accommoder l’augmentation de volume. C’est l’approche privilégiée par Sekisui Chemical et également par Berkeley Lab dont voici le lien pour un article vulgarisé (l’image est tirée de cet article)
http://www-als.lbl.gov/index.php/holding/650-a-better-anode-design-to-improve-lithium-ion-batteries-.html
Une variante de cette façon de faire consiste à intégrer les nanoparticules de silicium enrobées à une structure tridimensionnelle poreuse comme un gel. Les chercheur de l’Université de Stanford travaillent à perfectionner cette filière. Voir
http://news.stanford.edu/news/2013/june/bao-cui-hydrogel-060313.html
Une seconde approche consiste à transformer le silicium en gruyère truffé de trous, grâce à des techniques de gravure sélective. C’est l’approche poursuivie par les chercheurs de l’Université Rice. Ceux-ci ont creusé des micro-puits dans des galettes de silicium, tel qu’on le voit sur les images au microscope électronique ci-dessous, tirées de l’article
http://www.wired.com/autopia/2010/10/rice-university-silicon-nanopores-lithium-batteries/
Enfin, la troisième approche générique constitue à créer un enchevêtrement de nanofils (nanowire) ou nanotubes de silicium. Le docteur Yi Cui et son équipe, de l’Université Stanford, semblent les plus avancés présentement de ce côté. En 2012, ils ont publié des résultats obtenus avec des nanotubes de silicium revêtus à l’extérieur d’une très mince couche d’oxyde de silicium. L’épaisseur de la paroi des tubes est inférieure à 50 nanomètres (1/1000 du diamètre d’un cheveu typique de 50 µm), comme le montre la photo au microscope électronique.
L’équipe du Dr Cui a démontré qu’on pouvait recharger une batterie 6 000 fois en 5 minutes, tout en stockant 10% à 15% plus d’électricité qu’une batterie Li-ion conventionnelle de même poids (utilisant du graphite), et 25% à 30% plus en rechargeant en 30 minutes, toujours pour 6 000 recharges (1 recharge/jour pendant 15 ans = 5 500 recharges)! Voir
http://scitechdaily.com/double-walled-silicon-nanotube-battery-shows-promise/
http://www.nature.com/nnano/journal/v7/n5/full/nnano.2012.35.html
http://www.nature.com/nnano/journal/v7/n5/fig_tab/nnano.2012.35_F3.html
Et surtout, pour les «pros», un excellent article de revue publié dans Nanotoday :
H. Wu and Y. Cui, “Designing nanostructured Si anodes for high energy lithium ion batteries,” Nano today, DOI:10.1016/j.nantod.2012.08.004 (2012)
qu’on peut télécharger à http://www.stanford.edu/group/cui_group/papers/Hui_Today_2012.pdf
D’ailleurs, le Dr Cui a démarré une compagnie appelée Amprius pour commercialiser ces technologies, en commençant par des nanostructures plus facile à réaliser à grande échelle. Le problème des nanotubes de silicium demeure le coût de production. Son gros défi va être de les réduire. Pour le moment, il se concentre sur des batteries pour les cellulaires, et offre déjà une batterie de première génération qui augmente le temps entre les recharges de 25 %. Dans un cellulaire c’est le volume de la batterie qui est déterminant, et nous avons vu qu’à cet égard l’utilisation du silicium offre un bien plus grand gain que pour le poids. Voir
http://gigaom.com/2013/05/21/a-lithium-ion-battery-that-can-last-25-longer-from-startup-amprius/
http://www.macrocurrent.com/amprius-begins-commercial-delivery-of-silicon-nanowire-batteries/
Sur l’étiquette de la batterie, l’appellation SiNW signifie Silicon NanoWire.
En résumé, pour rester conservateur, disons que les batteries Li-ion avec anode en silicium devraient pouvoir réduire du tiers le poids des batteries Li-ion actuelles pour une même capacité de stockage. Le volume pourrait être réduit de moitié et les batteries annoncées par Sekisui Chemical sont flexibles et peuvent prendre des formes diverses, facilitant d’autant leur intégration dans le véhicule. Reste à régler le problème de réduction de coût de fabrication.
Un très beau progrès en perspective!
Bien cordialement
Pierre Langlois, Ph.D., physicien
Consultant en mobilité durable,
Auteur et conférencier
Téléphone : 418-875-0380
Courriel: pierrel@coopcscf.com
Site Internet: www.planglois.com
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