Batterie

Les nouvelles batteries au phosphate de fer sans nickel ni cobalt

Une croissance exponentielle des véhicules électriques

La pénétration des véhicules électriques (VÉ) s’accélère de façon importante depuis quelques années. Selon InsideEVs, les VÉ (tout électrique et hybride rechargeables) en Chine ont atteint une part de marché de 35% des ventes de véhicules passagers neufs dans ce pays en septembre 2022, ce qui représente une augmentation de 78% par rapport au même mois un an auparavant. Sachant que les ventes de VÉ en Chine devraient atteindre 60% des ventes mondiales en 2022 selon Bloomberg, ce n’est pas peu dire. On assiste à une croissance exponentielle qui est soulignée par le Electric Vehicle Outlook 2022 de Bloomberg NEF. Dans ce document, on fait mention qu’il s’est vendu 6,6 millions de VÉ passager mondialement en 2021 et qu’on devrait s’attendre à des ventes de 20,6 millions en 2025. C’est 3 fois plus en 4 ans et peut-être plus, compte tenu des vues normalement plutôt conservatrices de Bloomberg. Par ailleurs, l’objectif de Tesla pour l’année 2030 est de produire 20 millions de VÉ, alors que la compagnie en a vendu moins de 1 million en 2021. C’est 20 fois plus en 9 ans!

Et, n’oublions pas que les véhicules électriques ne vont représenter en 2030 que la moitié de la nouvelle demande en batteries Li-ion. Elon Musk est convaincu que la demande en batteries pour stocker l’énergie des réseaux électriques va être aussi grande que celle pour les véhicules électriques, sinon plus!


Un approvisionnement en nickel et en cobalt problématique d’ici 2030

Cette croissance fulgurante exerce une forte pression sur les matières premières pour produire les batteries de ces VÉ. Tesla a montré qu’ils pouvaient construire des usines de VÉ fonctionnelles en 2 ans. Mais, il faut souvent 6 à 7 ans ou plus pour mettre en opération une nouvelle mine.

Ce n’est pas pour rien qu’Elon Musk a annoncé à leur Battery day 2020 (regarder à partir de 1h10 du début de la vidéo), qu’ils allaient utiliser des batteries Li-ion au phosphate de fer (LFP) dans leurs véhicules. Il sait très bien que l’approvisionnement en nickel et en cobalt risque fort d’être problématique pour atteindre ses objectifs pour 2030, avec les batteries NCA (Nickel-Cobalt-Aluminium) qu’ils ont toujours utilisées jusqu’à récemment. Tesla va continuer d’utiliser les batteries NCA pour ses produits haut de gamme, mais, pour leurs VÉ avec une autonomie standard (400 – 450 km) ce sera les batteries LFP ou de type LFP, qui ne contiennent pas de nickel ni de cobalt.

Jusqu’à très récemment, les fabricants automobiles européens, américains, coréens et japonais ont préféré les batteries avec les chimies NCA ou NMC (Nickel-Manganèse-Cobalt) pour les VÉ. La compagnie chinoise BYD, qui a vendu le plus grand nombre de VÉ sur la planète en 2021, utilise, pour sa part, un grand nombre de batteries LFP (Lithium-Fer-Phosphate), principalement parce que BYD est l’un des plus gros fabricants de batteries LFP au départ. La compagnie a décidé, en 2021, de n’utiliser que leurs batteries LFP dans tous leurs véhicules 100 % électriques.

L’engouement pour les chimies NCA et NMC s’est cristallisé principalement en raison de la légèreté de ces batteries (densité d’énergie élevée). Les meilleures batteries NCA ont une densité massique d’énergie de 260 Wh/kg alors que celle des meilleures batteries NMC atteint 220 Wh/kg, selon le site Battery University. Toujours selon ce site, les batteries LFP traditionnelles n’atteignent que 120 Wh/kg. Par contre, les batteries LFP offrent d’autres avantages dont nous reparlerons un peu plus loin. Mais, l’évidence croissante d’un problème d’approvisionnement en nickel et cobalt, sans parler du problème éthique de l’extraction du cobalt en République démocratique du Congo (le plus gros fournisseur), ont remis les batteries LFP à l’avant-scène.


Une recherche intensive pour améliorer les batteries LFP

Les gros fabricants de batteries ont investi de façon majeure dans la recherche pour augmenter la densité d’énergie de la chimie LFP. Avec sa Blade battery LFP (Figure ci-dessous), annoncée en 2020, BYD a obtenu 166 Wh/kg. Par ailleurs, Robin Zeng, le président fondateur de CATL a déclaré à la World New Energy Conference 2022 que leur nouvelle batterie M3P, qui sera sur le marché en 2023, a évoluée à partir des batteries LFP mais qu’elle est plus complexe et performante. L’ajout de manganèse, de magnésium, de zinc et d’aluminium leur a permis d’obtenir une densité massique d’énergie 20% supérieure aux batteries LFP de la compétition, pour les cellules des batteries. La batterie M3P de CATL avoisinerait donc 200 Wh/kg au niveau des cellules (1,2 x 166 Wh/kg). C’est très près des cellules des batteries NMC (220 Wh/kg), mais sans nickel ni cobalt.

Source : BYD


Tesla est bien conscient de cette percée technologique et compte faire une mise à niveau de ses batteries LFP déjà fournies par CATL, en utilisant leurs nouvelles batteries M3P dans la première moitié de 2023, pour ses véhicules avec l’autonomie standard fabriqués en Chine. À noter que CATL a construit une nouvelle usine pouvant produire 70 GWh de batteries à 3 km de l’usine Tesla à Shanghai. C’est suffisant pour équiper 1 000 000 de VÉ avec une batterie de 70 kWh!



Les 2/3 des VÉ Tesla vont utiliser les nouvelles batteries de type LFP

Les batteries LFP Blade de BYD, pour leur part, sont déjà envoyées à la giga-usine Tesla de Berlin pour y être intégrées aux VÉ de la compagnie produits en Allemagne.

L’usine Tesla de Fremont, en Californie, installe des batteries LFP de CATL dans leurs Model 3 standard range.

En avril 2022, lors de son bilan du premier trimestre pour Tesla, Elon Musk révélait que déjà Tesla utilisait les batteries LFP dans près de la moitié de leurs véhicules. Il avait déjà annoncé que les 2/3 des véhicules Tesla utiliseraient des batteries LFP, sans nickel ni cobalt.



Les avantages des batteries de type LFP

La sécurité

Du fait que la structure cristalline en olivine des batteries LFP est bien plus solide que celle des batteries NCA ou NMC, ça prend beaucoup plus d’énergie pour la dissocier. Les batteries LFP peuvent donc résister à des températures bien plus élevées que les batteries NCA et NMC.

Par ailleurs, lorsque la structure cristalline des batteries NCA et NMC se désagrège, elle libère de l’oxygène qui stimule la combustion de l’électrolyte et entraine l’augmentation de température, créant un emballement des réactions chimiques exothermiques (thermal runaway) qui conduisent potentiellement à la batterie qui prend en feu. À noter que le système de gestion de la batterie (BMS : Battery Management System) prévient normalement ces situations très rares, en gérant la température de la batterie et en déconnectant les cellules défectueuses avant qu’elles soient problématiques.

Le dégagement d’oxygène des batteries LFP est beaucoup plus difficile à obtenir. Tout cela pour dire qu’un des principaux avantages des batteries LFP c’est leur très grande sécurité. Le test de la perforation d’une cellule par un clou en fait foi. La vidéo YouTube de BYD intitulée Nail penetration test on the BYD Blade battery and NCM battery est très explicite à ce sujet. Ci-dessous, deux captures d’image de cette vidéo montrant les températures atteintes (600°C pour la batterie NMC et 60°C pour la batterie blade LFP).

Source : BYD


Source : BYD


La longévité

En 2020, le Journal of the Electrochemical Society a publié un rapport de Yuliya Preger et al. montrant que les batteries LFP pouvaient cumuler de 3 000 à 4 000 cycle et plus de recharge en conditions réelles d’utilisation, avant de perdre 20% de leur capacité. C’est deux fois plus que les batteries NMC et 3 fois plus que les batteries NCA! En supposant une autonomie de 450 km pour une véhicule électrique qui recharge à tous les 350 km en moyenne, un VÉ équipé d’une batterie LFP pourrait donc parcourir 1,2 millions de km et plus! Ci-dessous, le graphique tiré de ce rapport illustrant la diminution de capacité de différentes batteries en fonction du nombre de cycles de recharge.

Source : Yuliya Preger et al.




Possibilité de décharge complète à 0 % et recharge à 100 %

Les batteries NMC et NCA ont des atomes de lithium intercalés entre les plans d’oxydes métalliques. Si l’on décharge complètement ces batteries, à 0 %, tous les ions lithium sortent de la cathode et la structure cristalline s’effronde, rendant la batterie inutilisable par la suite. C’est pour cela que le système de gestion de batterie (BMS) stoppe la décharge lorsque l’état de charge est à 10 % environ, pour éviter ce problème. Ce n’est pas nécessaire pour une batterie LFP et on peut la décharger complètement sans préjudices.

Pour ce qui est de la charge maximale, il n’est pas recommandé de recharger une batterie NCA ou NMC à plus de 90%, en raison de leur tension électrique plus élevée à pleine charge, qui décroit graduellement pendant la décharge. Cette tension supérieure à pleine capacité fait réagir l’électrolyte avec la cathode (corrosion), ce qui réduit la durée de vie de la batterie. Par contre, la tension électrique des batteries LFP étant plus basse que celle des batteries NCA et NMC, ce problème de corrosion de la cathode est beaucoup moindre. On peut donc charger les batteries LFP à 100 %, ce qui est recommandé par Tesla dans le manuel d’utilisation de ses véhicules avec une batterie LFP.

Donc, la plus faible densité d’énergie des batteries LFP peut être en partie compensée du fait qu’un plus grand pourcentage de sa capacité est utilisable.


Le prix des batteries LFP

Selon un article de S&P Global du 12 mai 2022, intitulé «Is LFP still the cheaper battery chemistry after record lithium price surge», les batteries LFP étaient moins chères que les batteries NCA et NMC avant 2022, du fait qu’elles ne contiennent pas de nickel ni de cobalt, deux métaux chers. Toutefois, la flambée du prix du lithium de 700 % de janvier 2021 à mars 2022 a réduit cette différence de prix à une valeur qui ne serait plus aussi avantageuse en 2022.

Mais, si le prix du nickel et du cobalt monte de façon significative ou le prix du lithium redescend, les batteries de type LFP en sortiraient gagnantes à nouveau, car le coût du fer est beaucoup moindre que celui du nickel et du cobalt.


Les inconvénients des batteries de type LFP


Une plus faible densité d’énergie

Nous avons vu que la nouvelle batterie LFP Blade de BYD avait une densité massique d’énergie de 166 Wh/kg pour ses cellules et que la batterie M3P de CATL, de type LFP améliorée, avoisinait 200 Wh/kg pour ses cellules (les valeurs officielles ne sont pas encore publiées). C’est moins que le 255 Wh/kg des cellules de batteries NAC 2170 de Tesla-Panasonic.

Toutefois, la plus grande sécurité des batteries LFP permet de diminuer la complexité du système de gestion de ces batteries (BMS), et d’utiliser des cellules de forme prismatiques qui permettent un assemblage plus compact que les cellules cylindriques de Tesla. Par ailleurs, la structure cristalline plus solide de la cathode et la tension électrique d’opération plus basse des batteries LFP autorisent une utilisation pratiquement complète de la capacité de ces batteries, ce qui n’est pas le cas des autres chimies.

Tout cela pour dire qu’au niveau du bloc batterie, l’écart dans la densité massique d’énergie entre les batteries LFP et NCA peut être diminué de 30% à 60 %, les rendant tout à fait convenables pour des VÉ avec des autonomies de 400 km à 450 km, la fourchette visée par Tesla.


Autonomie et temps de recharge rapide aux basses températures

Le principal inconvénient des batteries LFP, qu’on peut facilement pallier, c’est la dégradation des performances aux basses températures (< 10°C). On parle d’une perte importante d’autonomie du véhicule, d’une perte de puissance diminuant l’accélération et la capacité de récupérer l’énergie au freinage, et finalement d’un temps de recharge rapide beaucoup plus long. La solution va de soi, il suffit d’intégrer des éléments chauffants dans la batterie pour maintenir la température à plus de 30°C.

L’aspect réaliste de cette solution a été démontré par Xiao-Guang Yang et al. dans des travaux de recherche dont les résultats ont été publiés dans la revue Nature Energy, le 18 janvier 2021. Le titre de l’article est «Thermally modulated lithium iron phosphate batteries for mass-market electric vehicles». Ils ont considéré une batterie de 40 kWh avec des cellules LFP en forme de lames (comme la Blade battery de BYD) qu’ils ont comparé avec une batterie NMC de 40 kWh et une deuxième batterie LFP similaire à la première mais avec des bandes chauffantes entre les cellules. Ce système de chauffage n’ajoute que 1,3 % au poids de la batterie et peut chauffer la batterie à 60°C à partir de -30°C en 90 secondes, en consommant 10,8 % de l’énergie de la batterie (4,3 kWh). Ils ont choisi 60°C comme température d’opération en raison des multiples avantages que cela comporte pour une batterie LFP, beaucoup plus résistante aux hautes températures. À noter que le 90 secondes requis pour chauffer la batterie par temps froid est l’équivalent du temps nécessaire pour désembuer les vitres d’un véhicule ou le déneiger en conditions hivernales.

Voici les résultats qu’ils ont obtenus. La figure ci-dessous, tirée de leur article (leur figure 5a), montre l’impact positif énorme du chauffage de la batterie sur l’autonomie aux basses températures («TM-LFP blade» sur la figure). Le protocole de conduite est le cycle UDDS pour la circulation urbaine. À noter que l’autonomie à -20°C est de 260 km avec la batterie LFP chauffée, comparativement à 285 km avec la batterie LFP non chauffée à 25°C de température extérieure.

Source : Xiao-Guang Yang et al.



Le deuxième impact très positif du chauffage de la batterie à 60°C qu’ont découvert Yang et al. c’est la possibilité de recharger la batterie de 0 % à 80 % en 10 minutes avec une borne de recharge en courant continu (BRCC) de 240 kW, même à des températures extérieures de 0°C. La figure ci-dessous, tirée de leur article (leur figure 5c), montre que sans chauffage, cela prendrait 80 minutes à 0°C. À remarquer qu’à 20°C le temps de recharge de la batterie LFP serait de 30 minutes sans chauffage.

Source : Xiao-Guang Yang et al.



Conclusion

Nous avons vu que la construction et la mise en opération d’une nouvelle usine de VÉ peut se réaliser en 2 ans. Mais les nouvelles mines pour extraire les matières premières nécessaires à la fabrication des batteries, elles, prennent de 6 à 7 ans. Or, la croissance extrêmement rapide de la production et la pénétration des VÉ (plus de 50% par année pour les deux plus gros fabricants, Tesla et BYD) nous conduit nécessairement vers un problème d’approvisionnement dans la deuxième moitié des années 2020.

Pour éviter une telle situation, les gros fabricants de batteries ont mis beaucoup d’effort pour développer de nouvelles chimies de batteries n’utilisant pas de nickel ni de cobalt, les deux métaux les plus critiques. C’est ainsi que BYD a annoncé en 2020 sa nouvelle batterie lame (Blade battery) au phosphate de fer (LFP), sans cobalt ni nickel, déjà utilisée dans leurs VÉ. En 2022, c’est le plus gros fabricant mondial de batteries, CATL, qui annonce sa nouvelle batterie M3P issue de la famille LFP mais grandement améliorée. Tesla utilise déjà les batteries de type LFP dans près de la moitié de ses véhicules et compte équiper jusqu’au deux tiers de ses VÉ avec ces batteries.

Nous avons montré dans cet article que la viabilité des batteries de type LFP pour une adoption de masse est tout à fait possible, et que les deux inconvénients de ces batteries peuvent être palliés. Au niveau du bloc batterie, la plus faible densité d’énergie des nouvelles batteries LFP s’approche de celle des batteries NMC utilisées par le plus grand nombre de fabricants. Par ailleurs, le problème des moindres performances des batteries LFP aux basses températures peut être pratiquement éliminé à l’aide d’un système de chauffage rapide (90 sec) de la batterie. Ce système permet de recharger la batterie de 0 % à 80 % en 10 minutes par temps froid et ne consomme que 10% de l’énergie de la batterie pour la réchauffer et maintenir sa température. Et, la perte en autonomie du VÉ en conduite urbaine à -20°C, due à la batterie, n’est que de l’ordre de 10%.

Le principal avantage des batteries LFP réside dans leur grande sécurité inhérente par rapport aux incendies, bien supérieure à celle batteries Li-ion NMC et NAC utilisées présentement dans les VÉ. Un autre énorme avantage des batteries LFP est leur longévité qui permet de rouler plus de 1 000 000 km et possiblement 2 000 000 km. Pour ce qui est du prix des batteries LFP, il est inférieur à celui des batteries NCA et NMC actuelles.

Par ailleurs, il serait bon de souligner à nouveau l’aspect positif des batteries LFP par rapport à l’élimination du cobalt et du nickel. Ces deux métaux sont bien moins abondants que le fer, et l’extraction du cobalt en République démocratique du Congo (le plus gros fournisseur) fait face à un problème éthique connu de travail des enfants et de conditions sanitaires inadéquates. Heureusement, d’autres chimies de batteries sans nickel ni cobalt sont en développement également. Par exemple, les batteries sodium-ion devraient être commercialisées en 2023, à grande échelle. Nous en reparlerons.

En terminant, nous aimerions insister sur l’importance, pour l’environnement, de choisir une grosseur de batterie raisonnable. Ça n’a pas de sens d’acheter un VÉ qui peut faire 700 km et plus sur une charge si on n’a besoin que de 50 km par jour et qu’on peut recharger en 10 minutes pour les voyages occasionnels.

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