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L’échec économique prévisible du pétrole sale

Le 3 mars dernier, un collectif de scientifiques canadiens (d’un océan à l’autre) publiait dans le journal Le Soleil de Québec une lettre ouverte à nos Premiers ministres provinciaux et fédéral intitulée «Le pétrole risque d’hypothéquer l’avenir du Canada».

On y retrouve bien sûr une critique de l’incidence environnementale très néfaste qui résulterait d’une augmentation de l’exploitation des sables bitumineux, dû aux oléoducs qui permettraient un tel scénario. Les auteurs de la lettre, qui animent l’initiative «Dialogues pour un Canada vert», mentionnent également leur inquiétude vis-à-vis l’aspect économique d’une expansion des capacités de production du pétrole issu des sables bitumineux. Voici un extrait de leur lettre :

«L’utilisation à capacité maximum des oléoducs proposés pourrait nécessiter de nouvelles installations de production dont le coût additionnel estimé est de 92 milliards $. Les nouveaux investissements reliés à l’exploitation des sables bitumineux pourraient donc être d’environ 120 milliards $.

On est en droit de se demander si de tels investissements seront rentables. Il y a quelques jours le ministre saoudien du Pétrole a déclaré que le prix du pétrole restera bas jusqu’à ce que les producteurs à coût élevé, comme les sables bitumineux, quittent le marché mondial. Bloomberg Business a rapporté que l’expansion du marché des automobiles électriques ferait effondrer définitivement le marché du pétrole au cours des 5 à 10 prochaines années.»

Pour ceux qui n’auraient pas vu l’étude prospective de Bloomberg New Energy Finance (BNEF), voici le lien dans Bloomberg Business :

http://www.bloomberg.com/features/2016-ev-oil-crisis/.

La petite vidéo de 3 min. 39 sec. vaut la peine d’être regardée. En extrapolant le taux de réduction du coût des batteries depuis l’apparition des véhicules électriques en 2010, l’analyse de BNEF prévoit que le coût de propriété des voitures électriques non subventionnées va arriver à parité avec le coût pour les voitures à essence en 2025, même avec un bas prix du pétrole! Leur analyse de pénétration du marché prévoit également que les véhicules électriques pourraient déplacer 2 millions de barils de pétrole par jour entre 2023 et 2028 (selon la rapidité de pénétration) ce qui est suffisant, selon eux, pour engendrer une crise du pétrole qui ne ferait que s’aggraver par la suite, non pas par manque de pétrole mais bien parce que les consommateurs vont graduellement cesser d’en acheter. L’âge de pierre ne s’est pas terminé à cause d’un manque de pierres.

Ne perdons pas de vue les impacts énormes qu’ont eu les technologies de rupture depuis quelques décennies. Pensons aux caméras digitales qui ont remplacé les caméras 35 mm utilisant des pellicules photographiques, ou aux téléphones cellulaires qui ont supplanté les téléphones ordinaires, ou encore à l’Internet qui a déplacé tant de services (courrier par la poste, achat/location de livres, de films, de musique, de journaux et de magasines…), aux DVD qui ont remplacés les vidéocassettes… Toutes ces nouvelles technologies ont rendu désuètes les technologies dominantes en 10 à 15 ans.

Il serait très mal avisé de penser que les véhicules électriques ne feront pas de même d’ici 2040, comme l’OPEC le pense en affirmant dans leur «2015 World Oil Outlook» que les véhicules électriques ne constitueront que 1 % du parc de véhicules mondial à cette date (voir les pages 108 et 109, figure 2.13).

Une telle insouciance n’est pas sans nous rappeler ce qui est arrivé à Kodak, le numéro un mondial de l’industrie photographique qui a fait faillite en 2012 parce que ses dirigeants ont sous-estimé la nouvelle technologie des caméras numériques. Il en est de même de Research in Motion (RIM) avec son téléphone cellulaire Blackberry (premier téléphone avec courriels), qui entre 2009 et 2012 a vu ses parts de marché aux Etats-Unis fondre littéralement au soleil, en passant de près de 50 % à 3 % ! RIM n’a pas su apprécier le potentiel de rupture du iPhone intelligent.

Alors, les pétrolières feraient mieux de se raviser rapidement, sinon plusieurs d’entre elles risquent d’avoir de grosses difficultés d’ici 2030, particulièrement celles qui exploitent le pétrole extrême (pétrole de schiste, pétrole des sables bitumineux, pétrole en eau profonde).

Nos Premiers ministres provinciaux et leurs conseillers, de même que le Premier ministre du Canada et ses conseillers devraient visionner sur YouTube l’entrevue suivante de Tony Seba, un spécialiste des technologies de rupture.

Tony Seba est l’auteur du livre «Clean Disruption of Energy and Transportation» et il enseigne à l’Université de Stanford, entre autres choses.

En fait, tous les citoyens qui comprennent l’anglais devraient se faire un devoir de visionner cette vidéo exceptionnelle!

Le développement économique ne se réduit pas seulement à investir de l’argent et à créer des emplois. Il est TRÈS important de se demander si les industries dans lesquelles on investit ne vont pas être en difficulté de façon importante dans un horizon de 10 à 15 ans.

À mon avis, les sables bitumineux c’est un échec économique bien prévisible à la lueur de toute l’information contenue dans ce billet, sans parler de la catastrophe environnementale. Non seulement les Canadiens vont voir s’écrouler leur économie, mais en investissant massivement dans cette filière, on continue de prendre un retard qui s’aggrave dans les véritables solutions pour l’énergie et les transports, les énergies renouvelables et les véhicules électriques.

Le temps n’est plus aux énergies sales, mais aux énergies propres! Que les Canadiens se le disent, sinon ça va nous coûter TRÈS cher.

Pierre Langlois

7 mars 2016


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