Photo : Volkswagen e-Golf (véhicule 100% électrique), non disponible au Canada.
Après des années à avoir plaidé avec beaucoup de gens pour l’adoption d’une loi zéro émission (projet de loi 104), l’étude détaillée du projet s’est terminée sur une série de constats et de déceptions qui doivent être connus du public.
1er constat : Un chèque en blanc au Ministre
Le Projet de loi 104 est resté jusqu’au bout un chèque en blanc demandé par le ministre Heurtel aux parlementaires, celui-ci refusant d’inscrire dans la loi les éléments les plus importants tels que les paramètres de la loi, les règles de calcul et les conditions du régime de crédits et redevances. Ceux-ci resteront inconnus des Québécois jusqu’à ce que le Ministre publie les règlements. C’est donc pour le moment l’opacité complète.
Même les cibles de ventes de VZE présentées par le Ministre lors du dépôt du projet de loi zéro émission (3,4% en 2018, 6,9% en 2020, 15,5% en 2025) n’ont pas été inscrites dans la loi, ce qui aurait eu pour effet d’assurer un minimum d’imputabilité.
2e constat : Pas de date de péremption pour les crédits accumulés
Comme pour le reste de ce projet de loi, le Ministre a refusé d’inscrire dans la loi une période de péremption sur la quantité et la période maximale d’accumulation de crédits VZE, pour éviter le « dumping » et la surabondance de crédits, comme on l’a vu en Californie. Il le ferait apparemment plus tard, par règlement. À suivre.
3e constat : Une nouvelle catégorie : les VZE remis en état
Une catégorie a été ajoutée : celle des « véhicules automobiles remis en état par un constructeur automobile » bénéficiant de crédits (en sus des véhicules neufs et loués). Cependant, cela n’a pas été conjugué par une contrepartie exigible en termes de garanties comparables à celles des véhicules neufs, malgré les demandes de l’opposition. Donc, certains véhicules qui ont déjà obtenu des rabais ou crédits en obtiendront de nouveau. Si ça peut être intéressant pour les acheteurs moins fortunés, il faudrait que ceux-ci aient en échange l’assurance que leur VZE usagé soit en mesure de rouler assez longtemps pour que le jeu en vaille la chandelle, écologiquement et économiquement parlant.
4e constat : Des crédits accordés jusqu’à 2014 !!!
Incroyablement, le ministre a ajouté les années 2014 et 2015 en plus des années 2016 et 2017 comme années d’accumulation de crédits avant l’année 2018, et ce, croyez-le ou non, pour souligner « le travail des constructeurs » dans les dernières années, malgré les vives critiques de l’opposition.
Comme l’a très bien expliqué Pierre Langlois1 dans son texte plus tôt cette semaine, le fait d’accorder des crédits aux constructeurs pour leurs ventes de VZE des années précédant l’année modèle 2018 fait en sorte que ceux-ci ont moins d’effort à faire pour atteindre leur objectif de 3,4% en 2018 en 6,9% en 2020.
Mais le ministre recule d’un très important pas en annonçant qu’il accordera des crédits AUSSI pour leurs ventes de VZE en 2014 et 2015, ce qui veut dire que les constructeurs auront globalement à peu près ZÉRO effort à faire pour atteindre leurs objectifs de vente, sauf s’échanger des crédits entre ceux qui vont plus vite (Tesla, GM, Nissan et dans une moindre mesure Ford) et les Mazda, Fiat et autres retardataires de l’industrie.
Donc, alors que LE but d’une loi Zéro Émission est de forcer les constructeurs automobiles à en faire plus pour vendre plus de VZE plus rapidement, cet octroi de crédits pour les 4 années précédant 2018 fait de ce projet de loi une loi qui a ZÉRO dent d’ici 2020… et peut-être plus tard.
On oublie donc l’objectif de 100,000 VZE en 2020 que s’était donné le gouvernement… et on oublie aussi le 2e objectif de 83,252 VZE en 2020 annoncé lors du dépôt du projet de loi. On va fort probablement rater l’objectif de 100, 000 VZE par 30% voire plus, ce qui est très décevant.
Cela n’est pas sans rappeler la signature imminente par le Canada de l’Accord de Paris sur les changements climatiques… pendant que le gouvernement Canadien n’exige des provinces pétrolières aucune diminution d’émission de GES.
5e constat : Le lobby de l’hydrogène a gagné une manche
Le ministre a permis d’inscrire « les moteurs à combustion interne à hydrogène ou par un autre mode de propulsion qui n’émet aucun polluant » dans les choix technologiques qui bénéficieront de crédits. Ainsi, tous ceux et celles qui ont témoigné sur le sujet et fait la démonstration du non-sens d’accorder plus de crédits VZE aux véhicules à hydrogène qu’aux véhicules électriques ne sauront qu’une fois la loi adoptée combien de crédits seront accordés aux véhicules à hydrogène versus les véhicules électriques. Si ce gouvernement fait comme la Californie et en accorde plus aux véhicules à hydrogène qu’aux véhicules électriques, ce sera vraiment aussi ridicule qu’insultant. (voir annexe à la fin pour le dossier hydrogène2)
6e constat : Où sont les médias ?
Il est pour le moins décevant de constater que certains médias aient accordé TOUTE la place à l’association canadienne des constructeurs de véhicules, à la Corporation des Concessionnaires Automobiles du Québec et à CAA-Québec qui sont venus déchirer leur chemise sur la place publique en affirmant que cette loi serait une catastrophe, qu’elle aurait pour effet de faire augmenter significativement le prix des véhicules à essence et que sais-je encore.
Or, ces mêmes médias ont accordé ZÉRO attention à ce qui se passe réellement sur le terrain : Contrairement à ce que les constructeurs, concessionnaires et CAA-Québec de ce monde affirment, le projet de loi Zéro Émission du gouvernement leur donne une plus une « free ride » en ne les poussant pas à vendre plus de VZE d’ici 2020 que de réelles obligations contraignantes.
Il est important de rappeler que les constructeurs automobiles se sont servis des mêmes arguments de hausse de prix dans le passé lorsqu’il a été question des systèmes antipollution, des ceintures de sécurité, des coussins gonflables. Ils répètent même présentement cet argument usé à la corde pour les nouvelles normes de consommation (normes CAFE)! Or, des études faites sur 40 ans de réglementation ont démontré hors de tout doute la fausseté de ces affirmations.
Et pour tous ceux et celles qui pensent aux Mazda et Subaru de ce monde qui n’offrent pas de VZE, dites-vous qu’ils feront ici comme dans les états où il y a déjà des lois Zéro Émission : Ils achèteront des crédits aux autres constructeurs et continueront à vendre leurs véhicules comme avant. Avez-vous remarqué que Mazda et Subaru vendaient toujours des véhicules en Californie, au Vermont et à New York ?
7e constat : Où sont les pro-loi zéro émission ?
Pendant ce temps, certaines gens qui ont fait la promotion d’une loi zéro émission semblent heureux d’être contents qu’il y ait une loi… même si celle-ci ne s’avère être guère plus qu’une coquille vide qui ne met à peu près aucune pression sur les constructeurs pour que ceux-ci vendent plus de VZE, plus rapidement. Ils étaient malheureusement peu nombreux dans les derniers jours pour dénoncer ce chèque en blanc, cette « free ride » que le Ministre accorde aux constructeurs.
P.S : J’espère que ceux et celles qui disent vouloir une loi zéro émission digne de ce nom se feront entendre prochainement afin de mettre de la pression sur le gouvernement pour que le dernier chapitre de ce projet de loi, les règlements, ne soit pas aussi mou que le reste.
Mais il est déjà très tard.
Déçu, dites-vous ?
Et comment.
______________________________________________________________________________________________
Annexe : Récapitulatif sur le dossier de l’hydrogène
Pour ceux et celles qui ne sont pas familiers avec l’hydrogène, revoici pourquoi ce type de technologie est beaucoup moins intéressant :
- Plutôt que d’acheter notre électricité d’un fournisseur Québécois (Hydro-Québec), les automobilistes conduisant des véhicules à hydrogène vont dépenser une bonne partie de leur argent auprès d’une entreprise étrangère, nommément Air Liquide, une multinationale française.
- 95% de l’hydrogène produit sur la planète l’est à partir de gaz naturel. Ainsi, comme le Québec n’en produit pas, mais importe plutôt du gaz naturel, il transfèrerait sa dépendance au pétrole étranger ($1 milliard/mois) vers une dépendance au gaz naturel étranger, ce qui n’améliorerait d’à peu près aucune manière sa balance commerciale déficitaire en matière d’hydrocarbures… à moins que le Québec ne se lance dans l’exploitation de gaz de schiste. En fait, il serait économiquement plus efficace de rouler en véhicule au gaz naturel que de transformer le gaz naturel pour en alimenter un véhicule à hydrogène.
- Le coût des infrastructures de remplissage pour véhicules à hydrogène est prohibitif. Alors qu’une borne rapide (400 Volts) du Circuit Électrique coûte environ $40,000 à $50,000 au total, le coût d’une station de remplissage dépasse facilement les $2 millions… et cet argent proviendra en bonne partie de fonds publics fédéraux et du Québec, donc des poches des contribuables.
- Selon le NREL (National Renewable Energy Laboratory), ce coût était estimé $2,8 millions S. par station de remplissage d’hydrogène en 2016.
- Le coût « à la pompe » est 5 fois plus élevé par kilomètre en voiture à hydrogène qu’en voiture électrique, ce qui ne peut qu’avoir un effet dissuasif vis-à-vis l’adoption des voitures à hydrogène versus les voitures électriques.
- On pourrait dire des véhicules à hydrogène que si ceux-ci sont alimentés par du gaz naturel, ils contribueraient tout de même à diminuer les GES et les émissions polluantes. Or, c’est faux. Une bonne voiture hybride comme une Toyota Prius est plus efficace et pollue moins qu’une voiture à hydrogène alimentée par du gaz naturel.
- Une voiture à hydrogène fabriqué à partir de gaz naturel veut dire en Amérique du Nord une voiture fonctionnant au gaz de schiste. En effet, la moitié du gaz naturel produit en Amérique du Nord l’est déjà à partir de schistes rocheux… et cette proportion ira en croissant. Cette proportion est d’un peu moins de 40% au Québec, mais tout comme pour le reste de l’Amérique du Nord, cette proportion ira en augmentant.
- Certains promoteurs des véhicules à hydrogène évoquent l’intérêt pour le Québec de se lancer dans la production d’hydrogène à partir de notre électricité renouvelable. En effet, comme le Québec est en surplus, pourquoi ne pas utiliser toute cette électricité propre pour produire, vendre et même exporter cet hydrogène à l’étranger ?
- Parce que cette façon de fabriquer de l’hydrogène est éminemment inefficace. En effet, il faut « 3 fois plus d’électricité à une voiture à PAC-hydrogène pour parcourir le même nombre de km qu’une voiture électrique à batterie… Au lieu d’envoyer l’électricité de nos barrages directement dans la batterie d’un véhicule, il faut produire l’hydrogène via électrolyse (30 % de pertes) le transporter et le comprimer (15 % de pertes) et retransformer l’hydrogène en électricité dans la PAC du véhicule (45 % de pertes), pour un total de 66 % de pertes. »
Voilà pourquoi l’hydrogène n’est pas la solution miracle que certains voudraient nous faire croire.