Photo : Toyota Mirai.
Jeudi le 16 juin 2016, de 11h45 à 13h45 au Marché Bonsecours à Montréal, aura lieu un panel sur l’hydrogène et la place qu’il occupera dans le paysage énergétique du futur. Le ministre Pierre Arcand y fera une allocution. On retrouve sur le panel : Richard Chahine, le directeur de l’Institut de recherche sur l’hydrogène à Trois-Rivières, John-Paul Farag, le directeur de la section des Technologies avancées et groupes de traction chez Toyota Canada, Pierre Gauthier de Air Liquide, producteur d’hydrogène pour les raffineries de pétrole, et finalement Denis Leclerc, président de Écotech Québec qui représente la grappe des énergies propres du Québec. Dans la journée, certains commentateurs automobiles pourront faire l’essai de la Toyota Mirai à hydrogène.
La présence de M. Arcand laisse présager l’annonce d’un projet avec possiblement un investissement du gouvernement.
Avant cet événement, compte tenu de la compréhension limitée de nos politiciens, j’ai jugé bon de mettre les points sur les i encore une fois. Je souligne que beaucoup d’information est archivée sur ce blogue dans mes multiples billets concernant la filière hydrogène, que cette information est disponible dans mon livre «Rouler sans pétrole» (depuis 2008) qui comporte un chapitre complet sur l’hydrogène, et récemment dans le livre «L’auto électrique, hybride et écoénergétique» (2016) via un article de 4 pages que j’ai écrit sur le sujet. Et c’est sans compter les autres intervenants qui ont répété les mises en garde sur cette fausse bonne solution pour les transports, dans divers médias, revues scientifiques et rapports de recherche.
Les cinq points à se rappeler
À un moment donné il faut appeler un chat un chat. Le non sens de la filière hydrogène pour les transports peut se résumer en cinq points principaux :
- les voitures à hydrogène émettent autant de GES qu’une voiture hybride à essence qui consomme 5 litres /100 km, via l’usine qui produit l’hydrogène à partir du gaz naturel
- si on produit l’hydrogène par électrolyse de l’eau avec de l’énergie renouvelable, on n’émet pas de GES mais on consomme 3 fois plus d’électricité pour parcourir la même distance qu’une voiture électrique à batterie
- la filière des voitures à hydrogène coûte beaucoup plus cher que celle des voitures électriques à batterie, tant pour les voitures elles-mêmes, que pour l’hydrogène vs l’électricité, et surtout pour l’infrastructure d’approvisionnement en hydrogène
- Une voiture hybride rechargeable à essence, comme la Chevrolet Volt (autonomie électrique de 85), émet beaucoup moins de GES qu’une voiture à hydrogène au Québec, peut faire plus de 90% des kilomètres à l’électricité, faire le plein d’essence occasionnel en moins de 5 minutes et n’utiliser l’essence qu’en dehors des villes
- Les promoteurs des voitures à hydrogène n’avaient pas prévu l’évolution si rapide des batteries (prix, performance) ni l’arrivée de Tesla Motors, qui offre déjà des autonomies de 450 km sur ses voitures électriques, avec un réseau de superchargeurs gratuits, payé par Tesla (et non par le gouvernement).
Reprenons ces points un peu plus en détail. Mais auparavant, voici une petite vidéo YouTube très bien faite qui démontre très bien tout le non sens de la filière hydrogène.
Premier point : autant de GES qu’une Prius non rechargeable
Plusieurs études de laboratoires gouvernementaux ont comparé les gaz à effet de serre (GES) émis sur le cycle de vie de différents «carburants» (essence, électricité, hydrogène) utilisés par des voitures conventionnelles, électriques à batterie et électriques à pile à combustible. Il suffira d’en mentionner deux : celle du National Renewable Energy Laboratory (NREL) intitulée «Hydrogen Pathways», publiée en mars 2013, et celle du Oak Ridge National Laboratory (ORNL) publiée dans la revue Energy en 2014 sous le titre «Well-to-wheel analysis of direct and indirect use of natural gas in passenger vehicles». L’étude du NREL est accessible en ligne ici, et celle du ORNL ici .
Dans l’article du ORNL, on retrouve le tableau suivant pour les GES (GHG en anglais) dans lequel j’ai encerclé en rouge une voiture hybride (HEV) à essence et allumage par étincelle (Spark Ignition, SI) (SI HEV), une voiture à pile à combustible (Fuel Cell) dont l’hydrogène est produit par reformage du gaz naturel (Fuel Cell H2 NG) et une voiture électrique à batterie rechargée avec 50 % du MIX étatsunien et 50 % d’énergie renouvelable (Renewable Portfolio Standard, RPS 50) (EV w/Ch RPS 50). Le voici
Comme vous pouvez le constater et c’est ce que j’ai toujours dit, les émissions de GES sont similaires pour la voiture à hydrogène et pour la voiture hybride à essence (non branchable). Par contre, avec les énergies renouvelables qui vont prendre le dessus (c’est déjà fait au Québec), les GES sont bien moindres pour une voiture électrique à batterie.
La voiture hybride émet 190 g CO2/km, du puits de pétrole aux roues du véhicule, ce qui se traduit par 305 g CO2/mile, que je vais utiliser pour fins de comparaison avec les résultats du rapport du NREL. Dans ce dernier rapport, les émissions de GES reliées aux différentes façons de produire l’hydrogène sont portées en graphique à la figure 7.0.9. J’ai ajouté à ce graphique une ligne bleue épaisse montrant l’émission de 305 g CO2/mile pour une voiture hybride à essence, dont je viens de parler (prise dans l’article de l’ORNL).
Encore là, on constate qu’une voiture à pile à combustible-hydrogène dont l’hydrogène est produit à partir du gaz naturel (de loin la technologie la plus utilisée) émet autant de GES qu’une voiture hybride à essence, comme la Prius, sur le cycle de vie du carburant. CQFD.
Deuxième point : l’inefficacité inacceptable le l’électrolyse sans GES
Cette fois je vous réfère à une étude détaillée faite par Ulf Bossel et publiée, comme article invité, dans la prestigieuse revue Proceedings of the IEEE (Institute of Electrical and Electronics Engineers), en octobre 2006 (voir ici). Dans cet article, intitulé «Does a Hydrogen Economy Make Sense?», la figure 9 ci-après est très explicite.
On y constate qu’en bout de ligne, les pertes de la filière électrolyse de l’eau pour produire l’hydrogène sont tout simplement inacceptables. Ça prend 3 fois plus d’électricité pour faire la même chose. Or gaspiller de l’énergie renouvelable si précieuse, ça n’a aucun sens. Et n’oublions pas que le développement durable est synonyme d’efficacité énergétique. C’est donc dire que la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau ce n’est pas du développement durable.
Troisième point : Les coût exorbitants de la filière hydrogène
Question de prix, les voitures à PAC-Hydrogène vont se vendre autour de 60 000 $ US, donc de 20 000 $ à 25 0000 $ de plus que les voitures électriques avec une autonomie de 320 km comme la Chevy Bolt et la Tesla Modèle 3.
En ce qui concerne le coût de l’hydrogène, il devrait avoisiner le coût de l’essence pour parcourir une même distance, voire plus cher que l’essence, alors que le coût de l’électricité est 4 à 6 fois moindre que l’essence (1,10 $/litre et 8 litres/100 km), selon les endroits.
Par conséquent, si on peut récupérer le surcoût à l’achat d’une voiture électrique à batterie avec les économies de carburant, ce ne sera pas possible avec les voitures à PAC-hydrogène, surtout que le surcoût à l’achat est beaucoup plus grand.
En ce qui concerne les stations pour faire le plein d’hydrogène, une étude détaillée réalisée par le National Renewable Energy Laboratory (NREL) aux Etats-Unis, en 2013, et intitulée «Hydrogen Station Cost Estimates» établie qu’il en coûterait 2,8 millions $ US en 2016 pour une station capable de fournir 333 kg d’hydrogène par jour, soit une soixantaine de pleins pour une voiture comme la Mirai. Le rapport est disponible ici (voir le tableau 3, page 5). Pour fins de comparaison, une borne de recharge rapide coûte moins de 70 000 $ installée et peut effectuer une trentaine de pleins d’électricité par jour. Et n’oublions pas que la grande majorité des recharges des voitures électriques vont s’effectuer à la maison ou au travail, sans avoir besoin d’aller dans une station-service.
Ces coûts exorbitants des infrastructures pour faire le plein d’hydrogène devraient être assumés en très bonne partie par les gouvernements, donc les citoyens. Et il est évident que l’argent qu’on engouffrerait dans ces nouvelles infrastructures diminuerait de beaucoup l’argent disponible pour les bornes de recharge des véhicules électriques à batterie. C’est pourquoi je dis que les voitures à hydrogène pourraient nuire à l’électrification des transports.
Quatrième point : une Volt émet 10 fois moins de GES au Québec
Le principal argument de vente des voitures à hydrogène, outre l’absence de pollution au lieu d’utilisation, est de pouvoir faire le plein en 5 minutes et avoir une autonomie de 500 km. Mais, les promoteurs des voitures à hydrogène prennent bien soin de ne jamais faire de comparaison avec une voiture hybride rechargeable comme la Chevrolet Volt. Cette dernière peut faire plus de 90 % de ses km à l’électricité et ne consommer, en moyenne, que 0,5 litre/100 km. De plus, on peut remplir son réservoir d’essence en 5 minutes, si nécessaire, et disposer d’une autonomie totale (électrique plus essence) de 670 km. Sans compter que l’infrastructure est déjà en place pour l’essence, pas besoin de débourser quoi que ce soit.
Et le 10 % des kilomètres qui vont être parcourus avec de l’essence vont l’être en très grande partie en dehors des villes, lors de longs trajets, puisque l’autonomie électrique de la Volt 2016 est de 85 km. Dans les endroits où les réseaux électriques sont très propres, comme au Québec, une voiture comme la Volt va émettre beaucoup moins de GES qu’une voiture à PAC-Hydrogène, possiblement 10 fois moins (0,5 L/100 km vs 5 L/100 km). Et ailleurs aux Etats-Unis et au Canada ça s’équivaut sensiblement pour la grande majorité des gens.
Cinquième point : Tesla et l’évolution rapide des batteries et chargeurs
Les promoteurs des véhicules à hydrogène n’avaient pas prévu que les batteries Li-ion évolueraient si vite, ni l’entrée en scène de Tesla Motors.
Qui aurait imaginé l’arrivée dans le décor d’un joueur majeur comme Tesla Motors qui a changé la donne de la mobilité électrique, en offrant des véhicules à batterie avec une autonomie de 450 km, ainsi qu’un vaste réseau de superchargeurs gratuits capables de redonner une autonomie de 220 km en 25 minutes? Et qui aurait imaginé voir 400 000 réservations en un mois pour la Modèle 3 de Tesla, à 35 000 $ US, avec un dépôt de 1000$?
De plus, dans les 8 dernières années, le prix des batteries Li-ion pour les véhicules électriques est passé de 1 000 $/kWh à 200 $/kWh, la densité d’énergie a doublé et la durée de vie ainsi que la puissance des batteries se sont beaucoup accrues. Et ça continue.
Et d’ici 2 à 3 ans on va voir arriver des superchargeurs encore plus puissants que ceux de Tesla pour le reste des véhicules électriques.
L’avance des véhicules électriques à batterie est à toutes fins pratiques irrattrapable par les voitures à hydrogène.
Conclusion
Après avoir constaté les faits présentés dans ce billet, on est justifiés de se demander : qui va vouloir acheter une voiture à hydrogène beaucoup plus chère qu’une voiture électrique à batterie, payer plus de 5 fois plus cher que l’électricité pour de l’hydrogène dans des stations-service rarissimes, sans réel gain environnemental? Poser la question c’est y répondre.
Alors, attention nos gouvernements, ne mettez pas en péril l’électrification des transports en investissant dans une technologie qui de toute évidence est perdante et siphonnerait beaucoup d’argent des contribuables. Les fabricants automobiles ne peuvent changer les lois de la physique en investissant des milliards $ ni les gouvernements avec des subventions.
Et là, je n’ai même pas parlé du danger de développer à grande échelle un réseau de distribution d’hydrogène, un gaz hautement explosif, alors qu’on aurait besoin de 15 fois plus de camions sur nos routes pour approvisionner les stations-service qu’on en a besoin actuellement avec l’essence (voir l’article de Ulf Bossel cité plus haut).
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