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Acheter un VÉ, un geste vert ou pas ? 2. GES, épuisement des ressources, cobalt et terres rares

Je continue mon analyse sur les véhicules électriques (VÉ), afin d’apporter d’autres faits, souvent négligés. Je vais me concentrer, cette fois, tout d’abord sur les cycles de vie comparatifs entre les voitures électriques et les voitures à essence, en relation avec les gaz à effet de serre (GES), et sur la deuxième vie des batteries. La section suivante sera consacrée aux véhicules hybrides rechargeables (VHR), qui peuvent faire 95 % de leurs km en mode électrique, avec une batterie beaucoup plus petite que celles des véhicules électriques à batterie (VEB), 100 % électriques. Je parlerai également de l’épuisement potentiel du lithium pour les batteries, et présenterai les nouvelles batteries au sodium qui s’en viennent. Je vais aussi aborder les problèmes de toxicité et d’éthique associés au cobalt (dans les batteries) et à certains minéraux appelés terres rares (dans les aimants des moteurs électriques).
Si on veut développer la mobilité électrique de façon durable, il faut choisir le bon véhicule pour nos besoins. Ce qu’on doit éviter, c’est d’acheter une voiture électrique avec une très grosse batterie (500 km d’autonomie) alors qu’on ne fait que 10 000 km par année et qu’on reste dans un État où l’électricité est produite à 80 % par des centrales au charbon. C’est le gros bon sens. Mais souvent, les dénigreurs des véhicules électriques prennent les pires cas et généralisent à l’ensemble des cas, sans nuances. Et, on néglige trop souvent, à tort, les véhicules hybrides rechargeables (VHR) qui n’ont qu’une petite batterie (<100 km d’autonomie électrique).
 
Les gaz à effet de serre (GES) sur le cycle de vie
Le International Council on Clean Transportation (ICCT) a sorti une étude en février 2018, intitulée «Effects of battery manufacturing on electric vehicle life-cycle greenhouse gas emissions», pour les pays européens. Les émissions de GES des centrales électriques de divers pays sont considérées pour la recharge des VÉ, ainsi que la moyenne des émissions des centrales européennes, afin de comparer les émissions de GES sur le cycle de vie des VÉ, comparativement aux véhicules à essence. On tient compte des GES émis lors de la fabrication des voitures et des batteries, de même que pour l’extraction et le raffinage du pétrole. Voici quelques extraits de la conclusion de ce rapport (traduction libre):
« On trouve qu’une voiture électrique typique d’aujourd’hui produit seulement la moitié des gaz à effet de serre d’une voiture européenne moyenne. De plus, une voiture électrique utilisant l’électricité moyenne de l’Europe est presque 30 % plus propre, sur son cycle de vie, comparativement même au véhicule à combustion interne le plus efficient sur le marché aujourd’hui. Les véhicules hybrides rechargeables, roulant à l’électricité pour la plupart de leurs déplacements ont des émissions sur leur cycle de vie similaires à celles des véhicules électriques. Dans les marchés avec de l’électricité à faible teneur en carbone, comme la Norvège ou la France, les véhicules électriques produisent moins du tiers des émissions d’un véhicule à moteur à combustion moyen, sur le cycle de vie. »
 « La dette en émissions sur le cycle de vie, due à la fabrication de la batterie, est vite remboursée. Les émissions plus élevées d’un véhicule électrique occasionnées par l’étape de sa fabrication sont remboursées après seulement deux ans comparativement à conduire un véhicule traditionnel moyen, une durée de temps qui diminue à environ une année et demi si la voiture est rechargée en utilisant de l’énergie renouvelable. Environ la moitié des émissions de la batterie provient de l’électricité utilisée pour sa fabrication. »
Avant de présenter les résultats, voici les paramètres utilisés dans l’étude. Le kilométrage considéré pour la durée de vie des voitures est de 150 000 km, soit 12 500 km/an pendant 12 ans.  La batterie de la voiture électrique a 30 kWh, donnant autour de 170 km d’autonomie dans la vraie vie. On fait la comparaison avec une voiture à essence à consommation moyenne de 7 L/100 km et la voiture traditionnelle la plus efficiente ayant une consommation de 4,7 L/100 km, comme la Prius de 3e génération (ils utilisent des consommations 40 % supérieures à la norme européenne NEDC, soit l’équivalent de la norme américaine EPA, près de la vraie vie).
Les intensités d’émission des centrales des différents pays sont celles données par l’Agence européenne de l’environnement ICI, pour 2014. Voici le premier graphique des GES (émissions de CO2 équivalent) en g/km pour le cycle de vie des différentes voitures analysées, dans les différents pays.
 

En turquoise, ce sont les émissions dues à la combustion des carburants fossiles; en orange, les émissions dues à la production et la distribution du carburant ou de l’électricité; en violet, les émissions issues de la fabrication de la voiture; et en vert les émissions reliées à la fabrication de la batterie.
Comme on peut le constater, avec une batterie de 30 kWh, toutes les voitures électriques ont des émissions inférieures aux émissions d’une Prius (Most efficient), sauf en Allemagne, qui a encore beaucoup de centrales au charbon, où les émissions sont à peine supérieures à celle d’une Prius. À remarquer les émissions pour les VÉ rechargés en Norvège (Norway) qui sont 60 % inférieures aux émissions d’une Prius, sur le cycle de vie. La Norvège est l’équivalent du Québec, puisque leur électricité est produite à plus de 96 % par de l’énergie renouvelable, en très grande partie des barrages hydroélectriques.
Le deuxième graphique montre les émissions d’une voiture hybride rechargeable « Plug-in hybrid) ayant une batterie de 18,4 kWh, comme celle de la Chevrolet Volt, lui donnant une autonomie électrique de 85 km, selon l’EPA.
 

 
Encore ici, on voit que toutes les voitures hybrides rechargeables ont des émissions inférieures aux émissions d’une Prius (Most efficient), sauf en Allemagne, où les émissions sont à peine supérieures. Il est intéressant de remarquer que la voiture hybride rechargeable, utilisant la moyenne des centrales européennes, a sensiblement les mêmes émissions que la voiture tout électrique (Electric). Et en Norvège, la voiture hybride rechargeable génère la moitié des émissions d’une Prius (Most efficient) non rechargeable, toujours sur le cycle de vie.
Mais qu’en est-il pour des kilométrages plus élevés, ou/et pour des plus grosses batteries? Pour le savoir, j’ai extrapolé les résultats de l’étude ICCT, pour des batteries de 60 kWh (Chevrolet Bolt, 380 km d’autonomie) et 90 kWh (Tesla S, 480 km), et pour des kilométrages de 300 000 km et 600 000 km. Je n’ai considéré que la moyenne des centrales européennes et celles de la Norvège, semblable au Québec. Voici ce que ça donne.
 
 

 
Ce qui saute aux yeux, c’est bien évidemment que plus on fait de kilomètres, plus l’écart s’agrandit entre la voiture à essence traditionnelle et la voiture électrique, surtout lorsqu’on recharge avec de l’énergie renouvelable. Le carburant ou l’électricité consommé par kilomètre reste le même, ça va de soi, mais les émissions dues à la fabrication de la voiture et de la batterie, se répartissant sur plus de kilomètres, vont donner moins d’émissions par km. Par ailleurs, on constate que les grosses batteries (90 kWh) ont une incidence majeure sur les intensités d’émission, pour quelqu’un qui ne fait pas beaucoup de kilométrage. À l’opposé, un conducteur de taxi parcourant 50 000 km par année, va voir son intensité d’émission la plus faible, même s’il doit changer sa batterie une fois.
Je dois avouer, toutefois, que mon graphique extrapolé n’est pas tout à fait réaliste, car une voiture électrique avec une grosse batterie de 90 kWh est une voiture de luxe bien plus puissante que la voiture à essence moyenne des graphiques du rapport ICCT. Pour être équitable, il faudrait comparer avec une voiture à essence de luxe, donc plus lourde, avec un moteur puissant, consommant 10 L/100 km. Mais, ça donne une idée. Par ailleurs, la durabilité accrue des voitures Tesla fait qu’elles vont faire 600 000 km et plus, ce que ne peuvent faire les voitures électriques avec une plus petite batterie, pour le moment. Même si un premier propriétaire ne fait pas un gros kilométrage annuel, en la revendant, les autres propriétaires subséquents pourront en faire beaucoup.
Concernant la durabilité des batteries Tesla, je vous réfère au site Teslanomics.co. On y constate qu’en moyenne, après 300 000 km, la capacité de la batterie n’a diminué que de 5 % à 6 %! Par ailleurs, récemment, Elon Musk envoyait un tweet dans lequel il confirmait que le moteur et la boîte d’engrenages de la Model 3 de Tesla fonctionnaient toujours très bien après 1,6 millions km!
Maintenant, il y a une chose dont nous n’avons pas encore parlé et qui va diminuer de beaucoup les émissions dues à la fabrication de la batterie. Il s’agit d’une seconde vie comme unité de stockage au sol, pour les réseaux électriques. À peu près, tous les gros fabricants de véhicules électriques travaillent sur ce dossier.
 

 
Lorsqu’une batterie a perdu, disons 20 % de sa capacité, c’est plus problématique pour un conducteur automobile que pour du stockage au sol. Sur le plancher des vaches, même si une batterie est 20 % plus lourde, ce n’est pas grave. Les fabricants automobiles ont intérêt à procéder de la sorte, non seulement pour diminuer les émissions associées à la fabrication des batteries, mais également pour diminuer le prix des batteries, en leur donnant une valeur résiduelle.
Par ailleurs, dans une citation du rapport ICCT, présentée plus haut, nous avons vu que la moitié des émissions pour la fabrication des batteries est due à la production d’électricité à l’usine. Or, à partir de l’an prochain, Tesla va alimenter sa giga-usine, au Nevada, uniquement avec de l’énergie renouvelable, produite à l’usine (panneaux solaires sur le toit et éoliennes à côté de l’usine). Tout ça (2e vie + énergie renouvelable) fait en sorte qu’on va pouvoir diminuer d’un facteur 3 les émissions dues à la fabrication des batteries. J’ai donc fait un autre graphique, en extrapolant les résultats de l’étude ICCT, et en ne retenant qu’une batterie de 60 kWh (380-400 km d’autonomie), tout en diminuant les émissions pour les batteries d’un facteur 3. Voici ce que ça donne.

 
 
Je crois qu’il est assez évident que la batterie ne cause plus aucun problème pour les GES dus à sa fabrication, et que les émissions sur le cycle de vie, dans un endroit comme la Norvège ou le Québec, sont TRÈS faibles en comparaison d’une voiture traditionnelle à essence, même sur le cycle de vie des voitures!
Il ne reste qu’un graphique à vous présenter, en extrapolant, cette fois, les résultats de l’étude ICCT pour les voitures hybrides rechargeables. Le voici.

 
 
Cette fois, je n’ai pas diminué les GES de la batterie d’un facteur 3 et j’ai mis les trois grosseurs de batterie pour les voitures tout électrique (V. él.). Pour la recharge, on considère soit la moyenne des centrales européennes, soit les barrages de la Norvège. Le 85 km, en rouge, fait allusion à l’autonomie électrique des voitures hybrides rechargeables (VHR) de l’étude.  Force est de constater que les VHR ont des émissions sur leur cycle de vie similaires aux VÉ avec une batterie de 60 kWh, et bien en dessous d’une voiture à essence traditionnelle, particulièrement en Norvège, similaire au Québec.
En terminant cette section sur les GES, voici les résultats d’une autre étude de cycle de vie, réalisée en 2015 par l’Union of Concerned Scientists (Union des scientifiques préoccupés) aux États-Unis. Il s’agit d’une carte des États-Unis divisée en 26 régions de réseaux électriques, avec des émissions des centrales qui varient d’une région à l’autre. L’UCS a mis, pour chacune de ces régions, la valeur de la consommation équivalente d’essence à laquelle correspondent les émissions sur le cycle de vie d’une voiture électrique moyenne. Autrement dit, pour battre la voiture électrique (moins de GES sur le cycle de vie), une voiture à essence devrait avoir une consommation de carburant inférieure à celle indiquée sur la région de la carte considérée. Sur la carte originale du rapport, les consommations sont indiquées en MPG (miles per gallon). C’est moi qui ai fait la conversion en L/100 km.
 

Pour établir de profil de la voiture électrique moyenne, l’UCS a pris la moyenne pondérée entre une Leaf de Nissan et une Model S 85 de Tesla, au prorata de la composition du parc actuel de voitures à essence de même gabarit.
 Pour votre information, une consommation de 4,7 L/100 km correspond à celle de la Prius de 3e génération, selon l’EPA. Donc, partout où c’est bleu pâle sur la carte, la voiture électrique moyenne émet moins de GES sur son cycle de vie qu’une Prius. Et, beaucoup moins dans l’Ouest et sur la côte Est. Les régions en violet sont celles où il y a encore beaucoup de centrales au charbon.
Mais, comme le mentionne l’étude, les valeurs des émissions vont chuter constamment, au fur et à mesure qu’on introduit plus d’énergie renouvelable. Et c’est bien vrai, puisqu’en 2018 ils ont fait une mise à jour de la carte avec les nouvelles intensités d’émission des centrales, et on constate une nette amélioration, comme on peut le voir ci-dessous.

 
Dans cette mise à jour, on mentionne que désormais, en 2018, 75 % des Étatsuniens vivent dans des régions où conduire une voiture électrique émet moins de GES, sur le cycle de vie, qu’une voiture à essence qui consommerait 4,7 L/100 km, alors que c’était 66 % de la population en 2015 et 45 % en 2012. C’est pour dire la vitesse à laquelle s’améliore les réseaux électriques!
  
Les véhicules hybrides rechargeables
Les chercheurs de l’institut Fraunhofer, en Allemagne, ont publié dans Scientific Reports de la revue Nature, en 2017, les résultats d’une étude intéressante sur le pourcentage des km d’une voiture hybride rechargeable parcouru en mode électrique, en fonction de son autonomie électrique. Ils ont pris les statistiques de milliers de voitures de différents modèles, roulant aux États-Unis et en Allemagne. Voici la courbe qu’ils obtiennent.
 

 
J’ai ajouté sur leur courbe un carré rouge à l’endroit où devrait se situer la Chevrolet Volt de dernière génération (85 km d’autonomie électrique), qui n’était pas disponible au moment de l’étude. On constate que la Volt 2018 parcoure, en moyenne, de 85 % à 90 % de ses kilomètres à l’électricité. Pour une prochaine génération, dans quelques années, qui aura une autonomie électrique de l’ordre de 110 km (pas besoin de plus), c’est plus de 90 % des km qui vont être parcourus en mode électrique pur.
Le 10 % des km qui utilise du carburant, va se faire avec une consommation inférieure à 5,6 L/100 km, puisque c’est une voiture hybride. Ce n’est pas parfait, mais, sur une année la moyenne de consommation sera autour de 0,5 L/100 km. Et rien n’empêche d’utiliser du biocarburant de 2e génération, fait à partir de résidus ou de déchets, comme le fait la compagnie québécoise Enerkem, ou encore du biocarburant fait à partir d’énergie renouvelable, d’air et d’eau, comme l’a fait la compagnie Sunfire, en collaboration avec Audi (vidéo sur YouTube). Un beau potentiel pour le Québec, avec nos surplus d’électricité renouvelable.
 

 
 
 
L’énorme avantage des véhicules hybrides rechargeables, c’est qu’ils ont une petite batterie qui n’a pas besoin d’une capacité supérieure à 20 kWh, comparativement à une voiture comme la Tesla Model S 100 qui a une batterie de 100 kWh. Donc, tous les problèmes potentiels liés à la batterie sont réduits de beaucoup. Pourtant, on peut aller, occasionnellement, aussi loin qu’on veut, en faisant le plein de carburant. Et avec des biocarburants de 2e et 3e génération, qui n’utilisent pas de culture dédiée, mais de l’air de l’eau de l’énergie renouvelable et des déchets, on élimine le pétrole. Surtout que de nouveaux moteurs thermiques, jusqu’à 2 fois plus efficients, s’en viennent. On pourrait avoir une voiture hybride rechargeable qui ne consommerait que 3 L/100 km lorsque la batterie est vide. C’est ce que Achates Power est sur le point de réaliser, avec son nouveau moteur à pistons opposés. La compagnie a obtenu récemment plusieurs subventions et contrats, se chiffrant en dizaines de millions $.
Et, n’oublions pas qu’avec une autonomie de 80 km à 100 km en mode électrique, un véhicule hybride rechargeable ne va utiliser son carburant que sur de longs trajets, en très grande partie en dehors des villes.
 
L’épuisement des ressources de lithium ?
Il y a présentement plus de 1,25 milliard de véhicules sur la planète. Et les pays en émergence font monter le nombre constamment. Supposons qu’on va limiter ce nombre à 1,5 milliards en 2030. Par ailleurs, le US Geological Survey met les réserves de lithium à 16 millions tonnes à l’échelle mondiale en 2017. Et enfin, Argonne National Laboratory évalue à 250 g de lithium nécessaire pour chaque kWh d’une batterie Li-ion NCA, comme celles utilisées par Tesla.
En doublant les réserves de lithium établies par l’USGS, on pourrait donc produire 128 milliards de kWh de batteries. Maintenant, on a vu, dans mon premier article de cette série, que le marché du stockage d’énergie pour les réseaux électriques va être aussi gros, sinon plus, que le marché des véhicules électriques. Alors, on ne peut attribuer plus de 64 milliards kWh de batteries Li-ion aux VÉ, sur le 128 milliards kWh disponible, et c’est sans compter les autres applications du lithium.
Pour obtenir la capacité moyenne des batteries par véhicule, il suffit de diviser 64 milliards kWh par 1,5 milliard de véhicules, et on trouve 43 kWh. C’est approximativement la grosseur de batterie de la Leaf 2018, qui a une autonomie de 242 km, selon l’EPA. Tout cela est résumé dans ma diapositive ci-dessous.
 
 
 
C’est une approximation, bien sûr, mais j’ai quand même doublé les réserves mondiales. Il apparait assez évident qu’il faut oublier les grosses batteries de 100 kWh (500 km d’autonomie) pour tous les véhicules. Parce que le recyclage ne pourra pas être à 100 % et qu’on épuise les réserves de lithium.
Ce n’est pas pour rien que j’ai présenté les hybrides rechargeables dans la section précédente. Aujourd’hui, pour la plupart des pays, il y a environ 50 % de véhicules hybrides rechargeables et 50 % de véhicules tout électrique. Et je crois que ce pourcentage devrait demeurer un bon bout de temps encore, sinon augmenter en faveur des véhicules hybrides rechargeables.
Par ailleurs, des avancées récentes dans le monde des batteries laissent entrevoir l’arrivée imminente de batteries sodium-ion. Et sachant que le sodium est l’un des deux constituants du sel de mer (sel de table), et qu’il y a des mines de sel en abondance sur la planète, en raison d’anciennes mers asséchées, la ressource est pratiquement inépuisable, surtout qu’on peut l’extraire des océans.
Des chercheurs français, affiliés au Réseau de stockage électrochimique de l’énergie (RS2E) semblent avoir une longueur d’avance. L’article de Laure Calloche dans le Journal du CNRS, en 2015, fait le point, de même que la vidéo YouTube intitulée « Researchers’ outlook on sodium-ion batteries ».
 

 
Présentement, le poids de ces batteries au sodium est 2 à 3 fois plus élevé que celui des batteries au lithium NMC et NCA, mais près du poids des batteries Li-ion au phosphate de fer, beaucoup utilisées en Chine dans les véhicules électriques de BYD. Toutefois, comme on vise le stockage au sol pour les réseaux électriques, le poids n’est pas un handicap, et ça laisserait plus de lithium pour les véhicules électriques.
Il y a une effervescence présentement dans la recherche pour de meilleures batteries. Beaucoup d’efforts sont mis pour développer ce qu’on appelle les batteries solides, et des résultats très encourageants sortent des laboratoires, avec des batteries 2 à 3 fois plus légères, sans cobalt (voir la prochaine section), et même sans lithium.
Je vais me contenter de mentionner la découverte, en 2017, des batteries solides de l’équipe du professeur Goodenough, le co-inventeur de la batterie Li-ion. Cette batterie est deux à trois fois plus légère que les meilleures batteries Li-ion actuelles, elle peut être rechargée en quelques minute, et dure plus de 23 000 cycles de recharge (63 ans au rythme d’une recharge par jour), aux dernières nouvelles. Mais, ce qui est particulièrement intéressant, c’est qu’en plus de ne pas avoir de cobalt, elle peut tout aussi bien fonctionner avec du sodium au lieu du lithium (voir mon article dans Roulezélectrique.com). Et comme elle est plus légère que nos plus légères batteries Li-ion actuelles, on pourrait l’utiliser dans les véhicules électriques. Mais, bien sûr, il faut qu’on puisse la produire à grande échelle à un coût compétitif. Espérons-le!
Revenons au problème de l’épuisement des réserves de lithium. C’est un problème sérieux qu’il ne faut pas prendre à la légère, même si on voit poindre à l’horizon les batteries sodium-ion. La solution la plus évidente c’est de réduire de façon importante le nombre de véhicules routiers, ce qui constitue le sujet de mon 3e article, à paraître, sur les véhicules autonomes et le covoiturage, intégrés dans des services de transport à la demande, porte à porte. Il va falloir abandonner, en bonne partie, les véhicules personnels.
La deuxième solution consiste à utiliser beaucoup de véhicules hybrides rechargeables, qui ont une batterie beaucoup plus petite. Pour les véhicules 100 % électriques, il faut choisir la bonne grosseur de batterie en fonction de nos besoins. Pour ceux qui font beaucoup de kilométrage (40 000 km/an et plus), comme les chauffeurs de taxi et les voyageurs de commerce, avoir une Tesla avec une grosse batterie ne constitue pas un problème, car ils évitent une consommation énorme de pétrole. Mais ces gens représentent seulement une petite partie des conducteurs.
 
Le cobalt
Tous les produits de consommation qui nécessitent des batteries légères, pouvant stoker une grande quantité d’électricité, comme les téléphones intelligents, les tablettes électroniques, les ordinateurs portables ou les véhicules électriques utilisent présentement des batteries Li-ion contenant du cobalt. Seul BYD, un gros fabricant de véhicules électriques chinois, utilise des batteries Li-ion qui n’en contiennent pas, des batteries au phosphate de fer (Li-ion LFP dans la littérature). Mais ces batteries ne sont pas légères. Elles sont au moins 2 fois plus lourdes que les batteries Li-ion NCA utilisées par Tesla, les plus légères sur le marché. La conséquence, c’est que les véhicules électriques qui utilisent ces batteries LFP, et ont une grande autonomie, consomment considérablement plus d’électricité par km, en raison de la masse élevée des véhicules.
Or, 60 % du cobalt provient de la République démocratique du Congo, où une bonne partie de l’exploitation minière se fait de façon artisanale, dans des conditions inhumaines, pour un salaire de 2 $ à 3 $ par jour, avec un taux élevé d’accidents et des incidences sur la santé des mineurs. De plus, des dizaines de milliers d’enfants travaillent dans ces mines improvisées, insalubres et dangereuses! Le Washington Post y a envoyé un journaliste et un photographe et publié un article de fond sur ce sujet, en 2016, intitulé «The Cobalt Pipeline – Tracing the path from deadly hand-dug mines in Congo to consumers’phones and laptops ».
Pointés du doigt, les compagnies de batteries, de produits électroniques et de véhicules électriques sont engagées dans une course pour diminuer leur utilisation de cobalt et l’éliminer le plus tôt possible. LG Chem, le fournisseur de batteries pour plusieurs fabricants de voitures électriques, dont GM, sort, dans les prochains mois, une nouvelle chimie de batterie Li-ion qui va réduire la consommation de cobalt de moitié, passant de 20 % à 10 % du poids de la cathode. Tesla, déclarait, en juin 2018, qu’ils en sont à 3 % de cobalt, et que leur prochaine génération de batterie n’en aura pas, sans préciser de date. Généralement, c’est 4 kg à 8 kg de cobalt qu’on retrouve dans une voiture électrique.
Il y a bien plusieurs laboratoires qui ont développé des batteries au lithium sans cobalt, utilisant plutôt du soufre, comme l’équipe du professeur Goodenough, que j’ai mentionnée plus haut. Mais la croissance rapide de l’industrie des véhicules électriques exerce une pression de plus en plus forte sur ce problème épineux, pour sortir des batteries commerciales éthiques le plus tôt possible.
Les gestes qu’on peut poser, pour le moment, sont de prendre une grosseur de batterie raisonnable pour ses besoins, ou un véhicule hybride rechargeable qui vous permettra de faire plus de 80 % de vos déplacements à l’électricité, avec une petite batterie.
 
Les terres rares
La grande majorité des métaux dits terres rares se retrouvent en moindre quantité dans la croûte terrestre que le fer, l’aluminium ou le cuivre par exemple. De plus, on les retrouve éparpillés un peu partout, plusieurs ensembles combinés dans un minerai, avec des propriétés similaires. Ils sont donc particulièrement difficiles et couteux à extraire et leur séparation entraine beaucoup de pollution via les divers produits chimiques et la grande quantité d’énergie qu’on utilise pour le faire.
Et, comme la plupart des pays ne voulaient pas de cette pollution, ils ont laissé la production à la Chine dans les années 1980, qui les produisait à un prix imbattable. La conséquence est que présentement la Chine a un quasi-monopole, puisqu’elle produit 95 % des terres rares sur la planète, avec des conditions sociales, sanitaires et environnementales minimalistes, pour ne pas dire inexistantes. Ces terres rares sont le scandium, l’yttrium, le lanthane, le cérium, le praséodyme, le néodyme, le prométhium, le samarium, l’europium, le gadolinium, le terbium, le dysprosium, l’holmium, l’erbium, le thulium, l’ytterbium et le lutécium.
Le hic, c’est qu’on les retrouve dans bien des technologies modernes, dont les écrans à cristaux liquides (écrans d’ordinateurs et de télévision, téléphones portables), les panneaux solaires, les éoliennes, les batteries NiMH des voitures hybrides, mais pas dans les batteries Li-ion modernes. Les véhicules routiers en ont besoin également, via les moteurs et générateurs électriques qu’ils comportent. Dans une automobile, pensons aux moteurs des essuie-glace, aux moteurs activant les vitres des portières ou les pompes pour les fluides. Dans une voiture à essence il faut ajouter le pot catalytique, et dans une voiture électrique son moteur électrique de traction/propulsion, si celui-ci utilise des aimants.
Il y a des voitures électriques qui utilisent des moteurs à induction, sans aimants, donc sans terres rares. C’est le cas de la Tesla Model S et de la Tesla Model X, et un des deux moteurs de la Tesla Model 3 à traction intégrale est à induction. La plupart des autres fabricants utilisent des moteurs à reluctance commutée assistés par des aimants. Ce type de moteur comporte moins d’aimants que les moteurs dits à aimants permanents, proprement dits. Par ailleurs, Toyota vient d’annoncer qu’il a éliminé le dysprosium et 50 % du néodyme dans de nouveaux aimants qu’ils ont développés. Honda a fait une annonce similaire, mentionnant qu’ils ont éliminé le dysprosium et le terbium dans les aimants de leurs moteurs. La recherche est intensive pour éliminer le plus possible les terres rares des moteurs électriques.
La raison pour laquelle les fabricants n’utilisent pas tous des moteurs à induction, c’est que ces derniers sont plus lourds (50 %) et 8 % moins efficaces environ. Mais, si les exploitations minières ne s’améliorent pas substantiellement dans un délai raisonnable, il serait toujours possible de se rabattre sur les moteurs à induction, sans terres rares, si on ne trouve pas de nouveaux aimants sans elles.
 
En résumé
J’ai présenté, d’abord, deux études comparatives traitant des GES sur le cycle de vie des véhicules à essence et électriques, une pour les pays européens et l’autre pour les États-Unis. La conclusion qu’on peut en tirer c’est que, pour une très grande majorité de la population européenne et américaine, les voitures électriques émettent moins de GES sur leur cycle de vie qu’une voiture à essence consommant 4,7 L/100 km (Prius de 3e génération), présentement. Pour certains pays européens, comme la Norvège et la France, c’est beaucoup moins de GES et il en est de même aux États-Unis pour des États comme le Vermont et Washington, entre autres. Et n’oublions pas, comme j’en ai parlé dans mon précédent article, que les réseaux électriques se verdissent rapidement, de telle sorte que très bientôt tous les pays européens et tous les États américains vont émettre beaucoup moins de GES qu’une voiture à essence.
Par ailleurs, dans les deux études que j’ai présentées, aucune ne tient compte d’une deuxième vie (aussi longue que dans la voiture) pour les batteries, pour stocker l’énergie produite par les champs d’éoliennes et les fermes solaires. Ces études n’ont également pas pris en compte que les usines de batteries vont utiliser de plus en plus les énergies renouvelables. C’est le cas de la giga-usine de Tesla, au Nevada, qui va être alimentée à 100 % par des panneaux solaires sur son toit et des éoliennes à côté de l’usine. On va donc pouvoir diviser par trois les GES émis par la fabrication de la batterie, pour son utilisation dans une voiture électrique.
Sans compter que, pour l’étude européenne, on ne tenait compte que d’un kilométrage de 150 000 km pour la durée de vie des véhicules (12 500 km/an, pendant 12 ans). Et, il est bien évident que plus on fait de km avec une voiture électrique, plus les GES émis par la fabrication de la voiture et la batterie diminuent par km. Or, l’avenir est aux services de transport à la demande partagé, porte à porte, utilisant des véhicules autonomes (mon prochain article). Les gens vont acheter des km à un service de transport et beaucoup moins de véhicules personnels, car ces services vont être 2 fois moins cher qu’une voiture personnelle. Ces robots-taxi vont rouler 90 % du temps au lieu d’être garés 90 % du temps, et faire plus de 600 000 km par année.
Donc, aucun problème avec les GES émis par les véhicules électriques vs les véhicules à essence, sur le cycle de vie, bien au contraire!
Ensuite, j’ai parlé des véhicules hybrides rechargeables et fait ressortir le fait qu’ils peuvent rouler en mode électrique plus de 90 % de leurs km, avec une batterie beaucoup plus petite que les véhicules 100 % électriques à grande autonomie, réduisant ainsi d’autant tout problème potentiel qu’on voudra accorder aux véhicules électriques, reliés à la batterie. De plus, j’ai montré que pour le 10 % des km qui va utiliser du carburant, comme c’est une voiture hybride, cela va correspondre à 7 % de la consommation d’une voiture à essence traditionnelle. Et, en utilisant des biocarburants de 2e génération, faits à partir de déchets ou d’air, d’eau et d’énergie renouvelable, on va pouvoir éliminer le pétrole complètement, quand même.
Pour ce qui est de l’épuisement des ressources de lithium, j’ai fait le calcul de ce qu’on peut se permettre comme grosseur moyenne de batterie pour les 1,5 milliards de véhicules qu’il va y avoir en 2030 sur la planète, en admettant qu’ils sont tous électriques. La réponse est une batterie moyenne de 43 kWh par véhicule, soit la capacité approximative de la nouvelle Nissan Leaf 2018, qui lui donne 242 km d’autonomie, selon l’EPA.
Et comme le recyclage ne sera pas efficace à 100 %, il est hors de question de viser des batteries de 500 km d’autonomie (100 kWh) pour tout le monde. Il y a bien de nouvelles batteries sodium-ion qui n’utilisent pas de lithium, dans les laboratoires, mais va-t’on pouvoir les commercialiser à grande échelle, à un prix compétitif, et si oui, dans combien de temps? En attendant des réponses à ces questions, mieux vaut être prudents et limiter la grosseur des batteries à nos besoins réels et/ou utiliser un véhicule hybride rechargeable capable de rouler plus de 85 % de ses km à l’électricité.
Ensuite vient le problème épineux du cobalt, présent dans les batteries de pratiquement toutes les marques de véhicules électriques vendus, sauf les véhicules de BYD en Chine. Le fait que 60 % de ce métal provienne de la République démocratique du Congo, où une bonne partie est extrait de manière artisanale, dans des conditions inhumaines et polluantes, par des hommes, des femmes, et des enfants, rend cette pratique très condamnable et ne nous autorise pas à balayer cette « poussière » en dessous du tapis.
C’est un problème grave, et les compagnies de batteries font tout en leur pouvoir pour l’atténuer. LG Chem, par exemple, vient de diminuer de moitié le contenu en cobalt de ses batteries, et Tesla vient de déclarer qu’ils avaient réussi à réduire le cobalt à 3 % et que leur prochaine génération de batterie n’en contiendrait pas. Plusieurs équipes de recherche universitaires ont réussi à éliminer le cobalt dans de nouvelles chimies avec du soufre, mais on n’en est pas encore à la commercialisation. Les batteries de BYD étant deux fois plus lourdes que les meilleures batteries, leurs véhicules 100 % électriques, à grande autonomie, sont très lourds et consomment beaucoup plus d’électricité que les autres, en raison de la plus grande masse de leurs véhicules.
Encore une fois, en attendant d’avoir des batteries sans cobalt, mieux vaut être prudents et limiter la grosseur des batteries à nos besoins réels et/ou utiliser un véhicule hybride rechargeable, capable de rouler plus de 85 % de ses km à l’électricité.
Concernant les terres rares, qu’on retrouve dans les aimants des moteurs électriques et dans les pots catalytiques des véhicules à essence, entre autres, bien que le problème de son exploitation soit très sérieux au niveau environnemental, sanitaire et géopolitique, les véhicules électriques peuvent s’en passer, comme la Tesla Model S et la Model X qui utilisent des moteurs à induction sans aimants, donc sans terres rares.
Bref, les deux problématiques qui demeurent et militent en faveur d’éviter les trop grosses batteries si vous n’en avez pas besoin, ce sont l’épuisement des ressources et le cobalt.
En terminant, c’est sûr que j’approche tous ces sujets avec le regard d’un scientifique, et que ce regard peut déranger ceux qui voudraient des véhicules électriques PURS ayant une batterie suffisamment grosse pour donner une autonomie de 600 km à tout le monde. Mais, comme je l’ai démontré, sous plusieurs aspects, ce n’est pas possible et ça serait nuisible pour l’environnement. Alors, je vous dis, ne soyez pas des intégristes électriques, et faites plus de place aux véhicules hybrides rechargeables, en visant plus de 90 % des km faits avec de l’électricité, et en considérant les biocarburants de 2e génération dont j’ai parlé, pour faire le 10 % restant. Ainsi, on peut éliminer le pétrole quand même.
Bonne réflexion!
 
 
 
 
 
 
 
 

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