L’émergence récente fulgurante de l’intelligence artificielle appliquée à la conduite autonome arrive à point nommé pour résoudre un problème structurel croissant de manque de camionneurs pour le transport de marchandises.
L’importance des camions pour le transport de marchandises
Lorsqu’on considère le transport domestique des marchandises aux États-Unis, le Bureau of Transportation Statistics attribue aux camions 65% tu tonnage transporté et 71% de la valeur marchande. Inutile de dire que sans les camions, l’économie s’effondre! La grande flexibilité des camions, sans besoin de transbordement comme les trains, ainsi que les réseaux routiers très bien développés sont les deux principales raisons de leur succès.
Un manque croissant de conducteurs
Toutefois, le travail de camionneur n’est pas facile, particulièrement pour les longs trajets qui durent souvent plusieurs jours, avant que le camionneur puisse retourner à son domicile. Dans un tel contexte, c’est plus difficile de concilier le travail et la famille. Sans compter les nombreuses heures de travail, avec une qualité de vie réduite (confinement à la cabine du camion). De moins en moins de jeunes sont donc attirés par ce travail.
Selon l’American Trucking Association, en 2019 la moyenne d’âge des conducteurs de camions longue distance (over-the-road drivers) était de 46 ans avec de moins en moins de jeunes, laissant présager un manque important d’ici la fin des années 2020. On parle d’un déficit de l’ordre de 160 000 camionneurs en 2028, ce qui pourrait avoir des conséquences négatives sur l’industrie. Notons, que selon TruckInfo.net, il y avait 2,9 millions de camions semi-remorques aux États-Unis en 2022.
Des camions autonomes sur les routes
Comme nous venons de le voir, l’industrie du camionnage sur longs trajets attire peu de jeunes camionneurs et le manque de main d’œuvre devrait s’accentuer dans les années qui viennent. C’est une motivation importante pour développer des camions autonomes, sans conducteur. Mais, ce n’est pas la seule.
La sécurité sur les routes en est une autre, à terme, de même que l’optimisation de l’utilisation des camions. Je fais référence aux heures de conduite quotidiennes limitées par la loi pour un conducteur. Aux États-Unis, la Federal Motor Carrier Safety Administration (FMCSA) fixe cette limite de conduite quotidienne à 11 heures. Un camion autonome peut conduire sans arrêt, sauf pour faire le plein de carburant ou d’électricité. Bien sûr, la réduction des coûts de transport de marchandises est une motivation importante également pour avoir des camions autonomes.
Waymo, le leader actuel pour les services de robotaxi aux Étaits-Unis, ambitionnait également de mettre au point des camions autonomes pour le transport des marchandises. Toutefois, en 2023 la compagnie a annoncé une pause de ce côté pour se concentrer sur le transport automatisé des personnes. Selon l’outil d’intelligence artificielle GROK 3, présentement les trois leaders qui développent et essaient des systèmes de conduite autonome de camions lourds aux États-Unis sont : Aurora Innovation (aurora.tech), Kodiak Robotics (kodiak.ai) et Torc Robotics (torc.ai).
Les essais s’effectuent dans les États du Sud-Ouest (Texas, Arizona et Nouveau Mexique) en raison des conditions météorologiques favorables, de routes droites et d’une règlementation souple. La plupart des essais se font avec des camions semi-remorques diesel, puisque les camions lourds électriques disponibles ont une autonomie entre 250 km et 350 km seulement.
Pour ce qui est du camion semi-remorque électrique de Tesla, une centaine sont sur les routes, achetés par des clients comme PepsiCo pour livrer leurs produits. Ils peuvent parcourir 800 km remplis à pleine capacité, sur une pleine charge de leur batterie. Toutefois, ces camions ne sont pas encore autonomes. Ils sont équipés d’un système d’assistance à la conduite pour maintenir leur vitesse de croisière, rester dans leur voie sur la route et garder une distance sécuritaire avec le véhicule devant eux. Lors de leur sortie commerciale à grande échelle (50 000 semis par année), prévue en 2026 aux États-Unis, un système de conduite autonome FSD sera intégré à ces camions.
Au début 2025, les essais sur les routes publiques sont effectués avec des conducteurs de sécurité, et il est prévu que certains parcours pourront se faire sans conducteur à bord d’ici 2027 sur les autoroutes. Les technologies de senseurs utilisées comportent des caméras, des radars et des lidars.
Aurora collabore avec des transporteurs comme FedEX et des constructeurs comme Volvo et PACCAR pour intégrer sa technologie « Aurora Driver » dans des camions semi-remorques, comme le Volvo VNL.
Torc, une filiale de Daimler Truck, développe des camions autonomes pour des trajets entre centres de logistiques (hub-to-hub), en modifiant, eux aussi, des camions semi-remorques, comme le Freightliner Cascadia.
Kodiak modifie des camions de ses clients pour y adapter son système « Kodiak Driver » d’autoconduite. En janvier 2025, Kodiak annonçait avoir complété un premier robocamion industriel à partir d’un camion de la compagnie Atlas Energy Solution afin qu’elle puisse effectuer des livraisons de sable sur une route privée dans la Bassin Permien au Texas, sans conducteur à bord.
Les robocamions de demain
Présentement, 3 000 000 de camions semi-remorques sont sur les routes aux États-Unis et environ 270 000 camions lourds neufs sont vendus chaque année. Pour le moment, le pourcentage des camions neufs équipés de systèmes autonomes est faible et ils doivent avoir un conducteur de sécurité. La seule compagnie qui a annoncé une production de masse de camions semi-remorques électriques équipés de systèmes d’auto-conduite est Tesla. Cette dernière devrait en fabriquer 50 000 par année à compter de la fin 2026, début 2027. Au début, leur système FSD (Full Self Driving) devra être supervisé par un conducteur.
Si tout se passe bien, compte tenu de l’évolution rapide des performances du système FSD que nous avons vu dans mes précédents articles (1, 2), il est probable que les camions Semi de Tesla deviennent autonomes à la fin de la décennie. À ce moment, ces camions représenteraient environ 20% des camions semi-remorques neufs vendus aux États-Unis. Et, dépendant de la production des autres compagnies, on pourrait se retrouver en 2040 avec disons de 20% à 35% de la flotte étatsunienne de 3 000 000 de camions semi-remorques qui soient autonomes. Logiquement, cette transition devrait s’effectuer en quelques étapes.
Dans un premier temps, des camions électriques vont être autonomes sur les autoroutes, rendant la conduite beaucoup plus agréable sur une grande partie des trajets. Fini les transmissions à 18 changements de vitesse, un seul changement automatique va être suffisant. Fini également les moteurs bruyants et polluants. Par ailleurs, les moteurs électriques vont requérir beaucoup moins d’entretien. Ces changements majeurs vont rendre le métier de camionneur plus attrayant qu’il ne l’est présentement.
Dans un deuxième temps, des centres de logistique (hub) vont être implantés à l’extérieur des villes, près des autoroutes. Des camions autonomes pourront alors transporter les marchandises d’un centre à un autre, sans conducteur à bord. Des conducteurs humains apporteront les marchandises sur les derniers kilomètres, d’un centre de logistique péri-urbain aux clients dans les villes, où la conduite va être plus exigeante, et les manœuvres plus difficiles à certains quais de réception, avec un espace restreint. Mais, les conducteurs n’auront plus besoin de parcourir des centaines, voire des milliers de kilomètres, pour livrer leurs cargaisons. Ils pourront retourner à la maison à chaque jour, rendant les conditions de travail beaucoup plus saines pour une vie familiale.
Finalement, lorsque la technologie sera suffisamment avancée, des camions autonomes sans conducteur à bord pourront transporter les marchandises directement d’un entrepôt à un client, sans devoir passer par des centres de logistiques. À remarquer, toutefois, que les centres de logistique seront toujours utiles pour la recharge rapide des camions, recharge qui pourra être effectuée par des robots.
Notons que présentement les camions Semi de Tesla peuvent être rechargés à 80% en 30 minutes avec des superchargeurs de 1,2 MW. Sachant que leur autonomie est de 800 km, une recharge de 80% redonnera 640 km d’autonomie en 30 minutes. À la vitesse où évoluent les batteries, probablement que dans 10 ans on pourra recharger à 80% en 10 minutes, ce qui est similaire au temps requis pour faire le plein d’un camion lourd diesel dédié aux longs trajets.
Il est difficile de prévoir ce que sera la technologie des micro-centrales électriques dans 20 ans. Mais, il est vraisemblable que des micro-réacteurs nucléaires au thorium, fabriquées en série, pourraient alimenter les grosses stations de recharge pour les camions. Pensons à Copenhagen Atomics qui développe un microréacteur de 40 MW électrique qui se transporte dans un conteneur de transport (shipping container), sur un camion semi-remorque.
CONCLUSION
La conduite autonome peut s’appliquer autant aux véhicules légers qu’aux autobus ou aux camions, avec de multiples avantages pour chacun de ces types de véhicules.
Les avantages de la conduite autonome pour les camions lourds
Dans le cas des camions lourds, particulièrement les semi-remorques qui transportent des marchandises sur de longs trajets, il y a une pénurie de conducteurs dû aux conditions difficiles qui n’attirent pas les jeunes. Transporter des fruits et légumes de la Californie au Canada implique pour les conducteurs de longs voyages loin de leur domicile, avec un confort très limité (confinement à la cabine). La conduite autonome arrive à point pour pallier ce problème grandissant.
L’utilisation plus efficiente des camions semi-remorques sur les longs trajets constitue un autre avantage important. En effet, les conducteurs ne peuvent conduire plus de 11 heures par jour sur une base régulière. Un système de conduite autonome permettrait de rouler au moins deux fois plus de kilomètres qu’un conducteur dans une journée et garantir des livraisons plus rapides pour les longs trajets.
La réduction des coûts de transport des marchandises s’avère un avantage majeur également, il va de soi.
Des essais routiers
Conscientes de ces avantage et du potentiel économique, plusieurs compagnies font des essais routiers avec divers systèmes de conduite autonome, principalement dans la sud-ouest des États-Unis, en raison des conditions météorologiques et réglementaires favorables. Les trois leaders actuels qui développent et essaient des systèmes de conduite autonome de camions lourds aux États-Unis sont : Aurora Innovation (aurora.tech), Kodiak Robotics (kodiak.ai) et Torc Robotics (torc.ai). Ces compagnies collaborent avec des constructeurs comme Volvo, Daimler ou Paccar, et des transporteurs comme FedEX. La plupart des essais se font avec des camions semi-remorques diesel, dû aux autonomies limitées des versions électriques des camions lourds (250 à 350 km). Sur les routes publiques, il y a encore un conducteur de sécurité à bord. Des essais sans conducteurs sont prévus vers 2027.
Tesla est la seule compagnie, présentement, qui offre un camion semi-remorque électrique avec une longue autonomie (800 km). Une centaine sont en circulation, mais ne sont pas encore équipés de leur système FSD (Full Self Driving) supervisé. Ils le seront en 2026, alors que la nouvelle usine en construction au Nevada pourra en produire 50 000 par années. Un conducteur de sécurité sera requis pendant quelques années avant que les Semi de Tesla soient approuvés pour la conduite autonome sans conducteur.
Les étapes de la transition
On pourrait s’attendre à avoir de 25% à 30% de la flotte de 3 000 000 de camions semi-remorques sur les routes aux États-Unis qui seraient autonomes vers 2040. Cette transition se fera logiquement en quelques étapes.
Au début, les systèmes de conduite autonome pourront piloter les camions sur les autoroutes, rendant le travail des conducteurs plus agréable et moins stressant sur la majeure partie des trajets.
Après quelques années, les compagnies de transport ou/et les gouvernements mettront en place des centres de logistique juste à l’extérieur des villes et près des autoroutes. Des camions autonomes sans conducteurs pourront alors transporter les marchandises d’un centre à un autre. Des conducteurs locaux assureront la livraison sur les derniers kilomètres, dans les villes. Fini les longs voyages de plusieurs jours.
Et, lorsque la technologie sera prête, les camions autonomes pourront partir de l’entrepôt jusqu’au client, sans conducteur à bord. Le plein d’électricité sera fait par des employés aux stations de recharge et à terme par des robots.