Source de la photo: https://www.cdpqinfra.com/fr/Reseau_electrique_metropolitain
Depuis quelques jours, le débat entourant le projet de REM fait rage suite au dépôt du rapport du BAPE. Ce projet de train de près 6 milliards $ suscite à l’évidence les passions chez les gens qui lui sont favorables aussi bien que chez ceux qui en sont très critiques.
C’est pourquoi, contrairement à plusieurs qui se sont prononcés depuis quelques jours, je vais tenter de m’y pencher de façon aussi cartésienne que possible en posant des questions fondamentales et en analysant les réponses que la CDPQ Infra ont donnés (ou non) au BAPE afin que celui fasse son rapport.
Question #1 : A-t-on besoin de plus de transport collectif dans la grande région de Montréal?
Selon une enquête datant de 2013*, le nombre de gens se déplaçant en automobile pour se rendre au travail lors de la pointe du matin a augmenté entre 1998 et 2013 de :
- Montréal : de 505,000 à 549,000 : +12%
- Longueuil : de 132,000 à 148,000 : +13%
- Laval : de 133,000 à 146,000 : +20%
- Couronne nord : de 206,000 à 290,000 : +18%
- Couronne sud : de 206,000 à 281,000 : +16%
Il est important de noter que « le parc automobile a augmenté plus rapidement que la population pendant la même période, avec une hausse de 11,4 %, le nombre d’automobile par personne avec permis de conduire est ainsi passé de 0,76 en 1998 à 0,83 en 2013.
Pour l’ensemble de la région couverte par l’enquête, l’augmentation annuelle moyenne de déplacements en automobile a été de 2,8 % entre 2008 et 2013, comparativement à 0,5 % entre 1998 et 2008. Cela s’est traduit par une croissance d’environ 187 000 déplacements en automobile entre 2008 et 2013, un accroissement de 15 %. Cette augmentation était plus élevée à Laval de même que dans les couronnes nord et sud.
La hausse annuelle moyenne de l’utilisation des transports collectifs pour la même période était de 1,9 %, correspondant à un gain d’environ 43 000 déplacements. La croissance était de 2,4 % annuellement entre 1998 et 2008. Elle était nettement plus élevée pour les résidents de Laval et des couronnes nord et sud que pour ceux de l’île de Montréal et de Longueuil. Ainsi, 69 % de la croissance des déplacements en automobile et 60 % de la croissance des déplacements en transports collectifs proviennent de l’extérieur de l’île de Montréal. »**
Coûts de la congestion
Selon une analyse du Ministère des Transports, de la Mobilité Durable et de l’Électrification des Transports (MTMDET), les coûts socio-économique de la congestion sont passés de $665 millions en 1993 à $1,85 milliard en 2008.
On peut donc conclure à la question #1 que la réponse est OUI, nous avons besoin de plus de transport collectif. Ça peut sembler évident pour toute personne qui doit aller travailler en ville ou dans les couronnes le matin, mais ces données appuient nos impressions.
Question #2 : Différentes pistes de solutions ont-elles été considérées par la CDPQ Infra afin de diminuer la congestion avant de présenter ce projet ?
Voici ce qui est écrit dans le rapport du BAPE sur le sujet :
« Le gouvernement s’est basé sur une étude des besoins concernant l’axe de l’autoroute 10 entre la Rive-Sud et le centre-ville de Montréal pour confier à la CDPQ Infra le mandat d’y développer une offre de transport collectif et lui a laissé la responsabilité de comparer les solutions potentielles répertoriées dans cette étude. Le gouvernement a également transmis à CDPQ Infra l’information portant sur un plan de mobilité de l’Ouest.
Un dossier d’opportunités déterminant la meilleure option parmi les scénarios qui avaient été élaborés devait être réalisé, mais la démarche est demeurée sans suite, laissant ainsi à CDPQ Infra le soin d’établir les priorités quant au choix du mode de transport collectif à implanter et aux territoires précis à desservir.
…La commission d’enquête a constaté que le promoteur n’a pas diffusé d’analyse comparative détaillée entre un métro léger sur rail en site propre protégé, un tram-train et un système rapide par autobus, dans l’axe de l’autoroute 10, entre la Rive-Sud et le centre-ville de Montréal, une étape pourtant jugée nécessaire dans l’étude des besoins réalisée en 2015.
De plus, il n’a pas démontré qu’il avait réalisé une évaluation comparative entre le projet proposé et les différentes options qui avaient été envisagées pour desservir l’Ouest-de-l’Île de Montréal, autant en ce qui concerne la détermination des secteurs à desservir que le mode de transport à préconiser. »
La réponse à la question #2 est donc NON.
Alors que le gouvernement leur avait laissé la responsabilité de faire une telle analyse comparative, alors qu’un dossier opportunités devait être réalisé, la CDPQ Infra n’a pas fait ce travail fondamental.
Et le covoiturage ?
Il est bon de rappeler que lorsque le gouvernement Marois était au pouvoir, le ministre des transports Sylvain Gaudreault avait annoncé un plan de covoiturage dans le cadre du projet Turcot qui aurait diminué la congestion pendulaire aux heures de pointe d’environ 30% le matin et le soir, ce qui aurait eu un effet significatif sur la baisse des GES, des émissions polluantes et de la congestion… à un coût bien moindre.
L’ennemi principal en ce qui a trait à la congestion est l’auto solo. En effet, aux heures de pointe, on ne retrouve que de 1,1 à 1,2 personnes par voiture dans la circulation. Donc, pour beaucoup d’entre nous, il est faux de dire que nous sommes pris dans la congestion. Nous devrions plutôt comprendre que nous sommes la congestion. Ainsi, un plan de covoiturage semble être une solution porteuse… que le gouvernement Couillard a rejeté du revers de la main dès son arrivée au pouvoir.
Question #3 : Quel sera l’impact de ce projet sur les GES ?
La première source de GES du Québec étant le secteur des transports (43% des GES du Québec en 2013. Les émissions de GES du secteur des transports routiers ont augmenté de 31,1% entre 1990 et 2013), il est important que les fonds alloués aux transports collectifs contribuent à diminuer significativement les GES. Après tout, la majeure partie du Fonds Vert (plus de 60%) a été octroyé au MTMDET depuis 2006. On s’attend donc à ce qu’un projet de transport collectif aussi important que le REM (6 milliards $… et plus) contribue de façon importante à la diminution des GES.
Or, voici la réponse que l’on retrouve dans le rapport du BAPE sur le sujet :
« La réduction anticipée de GES attribuable au REM serait de 16 800 t. éq. CO2, correspondant à seulement 0,15% du bilan de la communauté métropolitaine.
Par ailleurs, la commission note que le portrait dressé par le promoteur, relativement aux GES, est incomplet. Des analyses supplémentaires devraient être effectuées afin de tenir compte des récentes études d’achalandage et de dresser un portrait clair des impacts directs et indirects, autant positifs que négatifs, en phase de construction et d’exploitation. »
Le GRAME a calculé le coût par tonne de GES évitée à partir d’un document fourni par CDPQ Infra : […] même en amortissant le coût de ce train et de ses infrastructures sur 100 ans […], le coût par tonne de GES revient […] à 3 273 $. Doit-on rappeler que sur les marchés internationaux du carbone, la tonne de GES se négocie encore généralement à moins de 25 $/tonne ? »
On parle donc d’une réduction anticipée des GES de 1/6e de 1% du bilan de la communauté métropolitaine, ce qui veut dire qu’on parle d’une diminution potentielle du bilan global des GES routiers du Québec qui serait imperceptible :
Les émissions de GES en transports routiers du Québec étant de 27,28 Mt éq. CO2 en 2013, une baisse de 16 800 t éq. CO2 représentent une baisse des GES en transports routiers du Québec d’environ 0,06%.
Si le gouvernement accepte que le projet de transport collectif le plus important des 50 dernières années ne diminue à peu près pas les GES du secteur des transports, il lancera le message qu’il jette l’éponge dans le dossier de la lutte aux changements climatiques.
Question #4 : Qu’en sera-t-il du transfert modal ?
Lorsqu’on veut diminuer la congestion et les émissions de GES en construisant un vaste projet de transport collectif, on souhaite évidemment faire en sorte que le plus de gens possibles délaissent la voiture individuelle pour passer au transport collectif.
Voici donc ce qu’en dit le rapport :
« La part du transfert modal de l’automobile vers le REM serait minime selon les études commandées par CDPQ Infra. La quasi-totalité de l’achalandage du REM proviendrait des usagers actuels du transport en commun qui empruntent déjà le pont Champlain. Plusieurs usagers qui accèdent actuellement au centre-ville par un lien direct en autobus devront prendre une correspondance à l’une des stations du REM pour faire le même trajet. Selon certains experts, ce changement pourrait entraîner un temps de parcours plus long pour ces usagers »
François Cardinal, dans son texte de La Presse évoque d’ailleurs cet aspect dans son texte intitulé Les lunettes noires du BAPE : « C’est sûr qu’affirmer qu’à peine 10 % des usagers du train seront des automobilistes convertis, ça peut sembler insignifiant écrit ainsi… jusqu’à ce qu’on compare avec la cible que s’est par exemple fixée la STM à l’horizon 2020 : 5 %. »
Ça veut donc dire que d’ici 2020, la STM, avec ses moyens sommes toutes limités, compte convertir 5% des automobilistes et qu’avec un projet de $6 milliards, on en convertirait seulement 5% de plus ?
Est-ce qu’autant d’argent dans le projet REM pour si peu de « convertis » représente un bon investissement ?
Question #5 : Les obligations de rendement de la CDPQ pourraient-elles avoir un impact monétaire pour les usagers et les contribuables ?
Pour le projet de REM, la CDPQ Infra exigerait un rendement d’au moins 10% sur les fonds qu’elle investirait dans le projet, au-delà de ce que les gouvernements provincial et fédéral investiraient. Précisons que les sommes investies par les gouvernements – empruntées sur le marché – commanderaient un taux d’intérêt de 3 % selon les cours actuels.
Ainsi, par rapport au taux d’emprunt du gouvernement, on parle d’un écart de 7%. Traduit sur un investissement de 3 G$, ça veut donc dire que les usagers du transport en commun et les contribuables de la grande région de Montréal devraient lui verser 210 M$ de plus par année que si le gouvernement finançait tout cela à un taux de 3%.
On parle donc d’un coût supplémentaire d’au moins $2 milliards de plus en 10 ans pour un REM financé par la CDPQ Infra plutôt que si le gouvernement investissait la totalité des sommes.
C’est donc l’équivalent de 200 à 300 autobus 100% électriques supplémentaires PAR ANNÉE qui pourraient achetés par les sociétés de transport. Donc, pourquoi le gouvernement ne fait-il pas ce projet lui-même ?
La question doit être posée.
Question #6 : Qu’en est-il de la reddition de comptes et de la transparence du projet de REM ?
Il est étonnant que constater que les résultats financiers de la CDPQ Infra n’aient pas à être rendus publics.
Voici ce que le rapport dit sur le sujet :
« …les résultats financiers des projets d’infrastructures tels que le REM ne seraient pas rendus publics selon le cadre de reddition applicable à la Caisse. Bien que la caisse assumerait de nouvelles responsabilités à titre d’exploitant d’un système de transport collectif, son encadrement resterait celui d’une institution publique d’investissement : « La Caisse de dépôt et placement du Québec oriente, gère et coordonne ses activités selon des règles de transparence, d’intégrité et de responsabilité propres à son métier d’investisseur » (CDPQ, 2016d).
¨ Avis–La commission d’enquête est d’avis qu’au regard de ses responsabilités de planification et d’exploitation d’une infrastructure de transport collectif, CDPQ Infra inc. devrait être soumise aux mêmes obligations de reddition que les transporteurs publics assujettis à l’Autorité régionale de transport métropolitain.
¨ Avis – Considérant la participation financière des contribuables au réseau électrique métropolitain et considérant qu’il se base sur un nouveau modèle de financement du transport collectif non éprouvé tel que proposé par CDPQ Infra inc. et le gouvernement du Québec, la commission d’enquête est d’avis que ce dernier devrait exiger de la Caisse de dépôt et placement du Québec qu’elle publie sur une base régulière les données pertinentes relatives à la performance financière du projet. »
Considérant l’importance du projet et les sommes en jeu, il me semble que c’est la moindre des choses.
Question #7 : Quelles sont les prévisions d’achalandage ?
Question importante s’il en est une et au centre de toute décision entourant le déploiement d’un mode de transport en commun, la réponse est déconcertante :
« ¨ La commission d’enquête constate que tout au long de son mandat, elle disposait d’une information incomplète sur les données d’achalandage et sur la planification de l’offre de service du projet du réseau électrique métropolitain.
¨ Avis – La commission d’enquête est d’avis qu’au regard des principes de développement durable accès au savoir et participation et engagement, CDPQ Infra inc. aurait dû rendre publique une information complète et à jour concernant les prévisions d’achalandage et la planification de l’offre de service avant de s’engager dans un processus d’audience publique. »
Question #7 : Quels seront les impacts sur les milieux naturels ?
La réponse du BAPE sur le sujet est très claire :
« Le promoteur n’a pas fourni un portrait complet et une analyse finale des répercussions du REM sur les milieux naturels. De plus, les données préliminaires présentées ont considérablement changé entre le dépôt de l’étude d’impact et la fin du mandat du BAPE. Conséquemment, il a été impossible pour la population et la commission d’enquête de porter un jugement éclairé sur l’ensemble des impacts du projet sur le patrimoine naturel montréalais. »
Question #8 : Y a-t-il d’autres éléments à considérer ?
Oui. Tels que :
- Le temps de déplacement des usagers du train de Mascouche qui pourrait se voir prolongé par l’accès exclusif du tunnel du Mont-Royal pour le REM,
- Une hausse des tarifs d’électricité pour aider au financement du REM (prévue dans la politique énergétique 2016-2030 du gouvernement),
- Un pas de plus dans la privatisation du transport collectif,
- L’impact sur les terres agricoles,
(N.B. : Suite à la publication du rapport du BAPE, CDPQ Infra a affirmé que les commissaires ont ignoré des documents qui leur ont été envoyés pour parfaire ce dit rapport. Ce à quoi le BAPE a répondu qu’ils avaient effectivement reçu des documents supplémentaires… après la date où le rapport avait été complété, donc trop tard.)
Conclusion
Bien que ce projet soit appuyé avec « enthousiasme » par des gens d’affaires, des élus et divers autres « promoteurs » médiatiques, il est clair que de nombreux éléments sont à revoir afin de faire en sorte que ce projet soit réellement porteur, qu’il diminuera de façon beaucoup plus substantielle les GES et la congestion, le tout à moindre coût pour les usagers et les contribuables.
Je suis certainement un des acteurs de la société civile parmi les plus favorables envers l’électrification des transports individuels et collectifs. C’est pourquoi j’insiste pour que ce projet soit bien fait si on ne veut pas discréditer cette filière.
C’est pourquoi je considère que ce n’est certainement pas en se réfugiant dans la fuite en avant, en refusant de répondre aux questions légitimes du BAPE et des citoyens ou pire, en faisant preuve de condescendance envers ceux et celles qui critiquent ce projet, le rapport du BAPE et l’institution même du BAPE qu’on arrivera à trouver des solutions et que ce projet deviendra visionnaire. Alors que la commission Charbonneau a démontré de graves problèmes dans la gestion des projets en transport du gouvernement, ces attitudes néfastes ne font qu’exacerber la méfiance des citoyens.
De plus, comme le rappelait très justement Jean Baril dans son texte intitulé « Le BAPE respecte son mandat », les aspects économiques font bel et bien partie du mandat du BAPE, n’en déplaise aux nombreuses personnes ignorantes et/ou de mauvaise foi qui le critiquent.
Finalement, il est bon de rappeler que si nous vivons un tel bordel en transport collectif par rail, c’est en grande partie à cause de la privatisation de ceux-ci par le fédéral et de l’intransigeance des CN et CP de ce monde qui privilégient le transport de marchandise plutôt que de passagers et ne veulent rien savoir de l’électrification des transports.
Je suggère donc…
qu’on prenne une grande respiration et qu’on prenne le temps de bien faire les choses.
Nous n’en serons que plus fiers du résultat.
*: L’enquête origine-destination de 2013 est une réalisation conjointe de l’Agence métropolitaine de transport (AMT), l’Association québécoise du transport intermunicipal et municipal (AQTIM), la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), le ministère des Transports (MTQ), le Réseau de transport de Longueuil (RTL), le Secrétariat à la région métropolitaine (SRM), la Société de transport de Laval (STL) et la Société de transport de Montréal (STM) (DB14).
** rapport du BAPE : http://www.bape.gouv.qc.ca/sections/rapports/publications/bape331.pdf