En janvier 2024, l’Éthiopie est entrée dans l’histoire en devenant le premier pays au monde à interdire complètement l’importation de véhicules à essence et diesel. Une décision radicale qui transforme ce pays de 135 millions d’habitants en laboratoire grandeur nature de la transition électrique. Un an et demi plus tard, les résultats surprennent autant qu’ils interrogent sur la faisabilité d’une telle mesure ailleurs dans le monde.
Une transition forcée par la crise économique
La décision éthiopienne n’est pas née d’une ambition écologique isolée, mais d’une nécessité économique pressante. Le pays dépensait plus de 7,6 milliards de dollars annuellement en importations de pétrole, dont plus de la moitié servait uniquement à alimenter les véhicules. Face à une grave pénurie de devises étrangères et un déficit de la balance des paiements, le gouvernement d’Abiy Ahmed a choisi la rupture totale avec les combustibles fossiles.
En septembre 2025, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 115 000 voitures électriques circulent déjà dans le pays, représentant 7% du parc automobile total. Un exploit remarquable quand on sait que la moyenne africaine ne dépasse pas 1%. Le ministre d’État Bareo Hassen Bareo affiche des ambitions encore plus élevées : atteindre 500 000 véhicules électriques d’ici dix ans.
Les défis d’une infrastructure défaillante
Cette transition accélérée révèle cependant des défis colossaux. Addis-Abeba, capitale de 4 millions d’habitants, ne compte qu’une centaine de bornes de recharge publiques alors qu’il en faudrait plus de 2 000 selon les estimations gouvernementales. Les coupures d’électricité sont fréquentes et moins de la moitié de la population a un accès régulier au réseau électrique.
Yonas Tadelle, mécanicien dans la capitale, témoigne : “Seulement 2 ou 3 garages sont capables de réparer des véhicules électriques en Éthiopie.” Les pièces détachées, importées principalement de Chine, sont rares et coûteuses. Des centaines de véhicules électriques restent immobilisés dans des parkings en attente de réparations, créant un paradoxe frustrant pour leurs propriétaires.
L’hydroélectricité comme atout majeur
L’Éthiopie mise tout sur son potentiel hydroélectrique exceptionnel. L’inauguration en septembre 2025 d’un mégabarrage sur le Nil, présenté comme le plus grand d’Afrique, devrait doubler la capacité électrique du pays avec une production de 5 000 mégawatts. Cette énergie propre et abondante représente déjà 96% de la production électrique nationale, positionnant le pays comme un leader africain de l’énergie verte.
Pour les conducteurs qui ont franchi le pas, les économies sont substantielles. Kemeriya Mehammed Abduraheman, consultante de 36 ans, explique : “Je dépensais 4 000 birrs par mois en carburant. Maintenant, ma facture électrique n’est que de 600 birrs.” Au-delà de l’économie financière, elle apprécie de ne plus perdre des heures dans les files d’attente interminables des stations-service, un problème chronique dans ce pays enclavé dépendant du port de Djibouti pour ses importations.
Un marché automobile en pleine mutation
Les rues d’Addis-Abeba offrent désormais un spectacle surprenant : des voitures électriques chinoises abordables côtoient des Cybertruck Tesla à plus de 100 000 dollars, tandis que les bus électriques commencent à remplacer les anciens modèles diesel. Les marques chinoises, notamment BYD, dominent le marché avec des modèles vendus autour de 29 000 euros – une somme considérable dans un pays où 38% de la population vit avec moins de 3 dollars par jour.
Cette disparité économique crée une fracture sociale évidente. Samson Berhane, économiste éthiopien, qualifie la transition de “plus réussie que prévu” grâce à “la croissance rapide de la classe moyenne”, mais reconnaît que la mesure reste inaccessible pour la majorité de la population. Le gouvernement espère attirer des constructeurs pour produire localement et faire baisser les prix, mais ces projets restent pour l’instant au stade d’annonces.
Les zones rurales, grandes oubliées de la révolution
Si la capitale s’adapte progressivement, les zones rurales restent largement exclues de cette transformation. Il est actuellement “presque impossible de sortir d’Addis-Abeba en voiture électrique”, selon plusieurs témoignages. L’absence d’infrastructures de recharge et l’accès limité à l’électricité dans les régions éloignées créent une nouvelle forme d’isolement pour les populations rurales.
Firew Tilahun, chauffeur de taxi, symbolise cette adaptation forcée mais rentable : il dépensait 20 000 birrs mensuels en essence, contre moins de 3 000 birrs aujourd’hui pour la recharge électrique. Cette économie de 85% sur les coûts de carburant explique pourquoi, malgré tous les obstacles, de nombreux professionnels du transport embrassent cette transition.
Un modèle reproductible ?
L’expérience éthiopienne soulève des questions fondamentales sur la reproductibilité d’une telle mesure. Le pays bénéficie d’atouts uniques : une production électrique presque entièrement renouvelable, un parc automobile relativement restreint (1,6 million de véhicules pour 135 millions d’habitants), et une crise économique qui ne laisse pas d’autre choix que l’innovation radicale.
Pour les pays développés dotés d’infrastructures pétrolières établies et de parcs automobiles massifs, une transition aussi brutale semble difficilement envisageable. Cependant, l’Éthiopie démontre qu’avec une volonté politique forte et des circonstances favorables, même les transformations les plus audacieuses peuvent devenir réalité. Le succès à long terme de cette expérience dépendra de la capacité du pays à résoudre ses problèmes d’infrastructure et à rendre la mobilité électrique accessible au plus grand nombre.
Références
Sources récentes sur l’Éthiopie (Septembre 2025)
- L’Éthiopie, grand promoteur africain de la voiture électrique – Connaissances des énergies – 9 septembre 2025
- Un pari audacieux : ce pays africain interdit l’importation des voitures thermiques – Tom’s Guide – 16 septembre 2025
- L’Éthiopie, grand promoteur africain du transport vert – L’info durable – 14 septembre 2025
- Ce pays adopte les voitures électriques malgré les coupures régulières – Clubic – 12 septembre 2025
- Coup de tonnerre en Afrique : l’Éthiopie bannit les voitures essence – L’Automobiliste – 13 septembre 2025
Analyses et contexte (2024-2025)
- Les effets étranges du passage précipité de l’Éthiopie au tout électrique – Automobile Propre – Novembre 2024
- L’incroyable interdiction des voitures thermiques en Ethiopie – Caradisiac – Septembre 2024
- Ce pays d’Afrique interdit les moteurs thermiques – Rouleur Électrique – Novembre 2024
- Pourquoi l’Éthiopie pourrait devenir le premier pays à interdire les voitures thermiques – Automobile Propre – Février 2024