BatterieEnvironnementLoi zéro émission au Québec

Électrifier intelligemment les transports pour minimiser l’impact sur l’environnement

Bien sûr, si on demande à quelqu’un qu’est-ce qu’il aimerait d’un véhicule électrique (VÉ), la plupart vont répondre qu’ils souhaiteraient pouvoir rouler 600 km sur une recharge et faire le plein d’électricité en 5 minutes. C’est ce à quoi les gens sont habitués avec leurs voitures à essence. Mais, est-ce la bonne chose à faire pour l’environnement?
On sait qu’il y a deux types de VÉ sur le marché : les véhicules entièrement électriques (VEÉ) et les véhicules hybrides rechargeables (VHR). Le meilleur exemple de ce dernier type est la Chevrolet Volt. Avec son autonomie électrique de 85 km, elle peut faire 90 % de ses km à l’électricité lorsqu’on la recharge tous les soirs à la maison.
La batterie des VHR est beaucoup plus petite que celle des VEÉ. La batterie de la Volt, par exemple, a 18,4 kWh de capacité alors que celle des VEÉ de nouvelle génération (Bolt EV, Model 3 SR+, Leaf e+, eSoul, e-Niro, Kona) avoisine les 60 kWh pour une autonomie de près de 400 km. Il va de soi donc que les impacts environnementaux liés à la fabrication de la batterie sont bien moindres pour les VHR que pour les VEÉ de 400 km et plus. Et ces impacts sont importants pour les grosses batteries, comme nous allons le voir.
Pourtant, malgré qu’on puisse parcourir 90 % des km à l’électricité avec un VHR, il n’est pas rare de rencontrer des électromobilistes enthousiastes qui dénigrent les VHR et prônent uniquement les VEÉ par idéologie.
Je suis évidemment sensible à la pureté de l’électricité, lorsqu’on utilise les énergies renouvelables, et à la plus grande simplicité des groupes de traction des VEÉ, mais, on ne peut balayer sous le tapis les impacts environnementaux reliés aux grosses batteries.
Nous sommes choyés au Québec, car la recharge d’un VÉ n’émet à toute fin pratique pas de gaz à effet de serre (GES), dû à nos centrales (99,5 % d’énergie renouvelable). Toutefois, ce n’est pas le cas dans bien des endroits (voir les Annexes 1 et 2). Sans compter qu’il n’y a pas que l’utilisation, il y a les impacts environnementaux dus à la fabrication des véhicules et des batteries dont il faut tenir compte dans une analyse de cycle de vie. Et, malheureusement, la fabrication est faite à l’extérieur du Québec.
Dans cet article, je présente des faits qui étayent ce que je viens de dire, afin d’inciter à une électrification intelligente des transports, qui prend en compte un ratio raisonnable de VEÉ et de VHR, au lieu de tenter d’éliminer ces derniers avec des lois zéro émissions beaucoup trop complaisantes envers les VEÉ, au détriment des VHR.
 
Impacts environnementaux des voitures sur leur cycle de vie
J’ai déjà parlé de l’étude du International Council on Clean Transportation (ICCT) concernant les émissions de GES sur le cycle de vie de divers types de voitures. Cette étude, parue en février 2018 est intitulée « Effects of battery manufacturing on electric vehicle life-cycle greenhouse-gas emissions ». Toutefois, je n’avais pas suffisamment mis en parallèle les émissions des VEÉ et des VHR, afin de les comparer dans différentes situations et différents endroits, ce que je vais faire dans ce qui suit.
Les graphiques originaux du rapport ICCT sont exprimés en g CO2 / km, en tenant compte d’une batterie de 30 kWh de capacité pour le VEÉ (Leaf) et d’une batterie de 18,4 kWh pour le VHR qui lui confère une autonomie de 85 km permettant de parcourir 85 % des km à l’électricité (Chevrolet Volt). Dans l’étude, la durée de vie des diverses voitures est de 150 000 km et on a pris des valeurs de consommation d’énergie (carburant ou électricité) le plus près possible de la vraie vie et non les évaluations faites par le cycle de test européen NEDC. J’en ai extrapolé les résultats à un VEÉ ayant une batterie de 60 kWh de capacité (comme la Chevrolet Bolt EV) et une durée de vie de 300 000 km. Voici ce que ça donne (une diapo de l’une de mes conférences), pour des véhicules qui sont rechargés en utilisant les émissions moyennes des centrales électriques Européennes.
 
 

 
Comme on peut le constater, les émissions de GES sur le cycle de vie diminuent lorsqu’on fait rouler les voitures sur plus de km. Par ailleurs, même avec un kilométrage total de 300 000 km la voiture hybride rechargeable est celle qui émet le moins de GES sur le cycle de vie.
Regardons ce qu’il en est pour des voitures rechargées en Norvège, où les émissions des centrales sont négligeables, comme au Québec (voir l’Annexe 2).
 
 

 
Le bilan est bien sûr bien meilleur, en particulier pour 300 000 km, par rapport à une voiture à essence. Mais, il n’y a pas encore de gain significatif pour le VEÉ (V. él dans le graphique) par rapport au VHR (V. HR dans le graphique).
En mettant en place une deuxième vie pour les batteries et du recyclage, on pourra faire diminuer la portion des émissions due à la fabrication de la batterie. Par ailleurs, la consommation de carburant des VHR en mode carburant va décroitre de 25 % à 30 % d’ici quelques années. Le VHR du graphique est une Chevrolet Volt (Ampera en Europe) qui consomme 5,6 L/100 km EPA. Mais, déjà la Prius Prime (hybride rechargeable) offre une consommation de 4,3 L/100 km EPA en mode carburant, qui devrait descendre en dessous de 4 L/100 km à la prochaine génération de Prius, en 2022, alors que Toyota compte utiliser de l’électronique de puissance au carbure de silicium, avec bien moins de pertes. Sans compter qu’on pourrait utiliser du biocarburant de 2e génération fait avec des déchets, pour baisser encore les GES dus à la consommation de carburant.
La morale de cette histoire c’est que contrairement à ce que les gens pensent, sur le cycle de vie les émissions de GES ne sont pas meilleures pour une voiture 100 % électrique comme la Chevrolet Bolt par rapport à une voiture hybride rechargeable comme la Chevrolet Volt, même au Québec.
 De plus, la batterie de la Bolt étant 3,2 fois plus grosse que celle de la Volt, la ponction sur les ressources naturelles finies stratégiques, pour la batterie, est d’autant plus importante, donc bien pire pour l’environnement. Et là, je ne parle pas seulement de la pénurie éventuelle de nickel, de cobalt ou de lithium, je parle également des incidences environnementales liées à l’extraction de ces métaux.
 L’étude du CIRAIG (Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services) de 2016 et intitulée «Analyse du cycle de vie comparative des impacts environnementaux potentiels du véhicule électrique et du véhicule conventionnel dans un contexte d’utilisation québécois» mets également en lumière cette problématique des grosses batteries. La figure S-3 du rapport résume les impacts environnementaux comparatifs d’une voiture à essence et d’une voiture 100 % électrique avec une batterie de 24 kWh, sous différents critères.
On y constate que la dette environnementale de la voiture électrique par rapport à une voiture à essence, due à sa fabrication (principalement à cause de la batterie), si elle s’annule après 30 000 km pour le volet réchauffement climatique (GES), elle persiste jusqu’à 85 000 km pour le volet impact sur la santé humaine. Mais, pour une batterie de 60 kWh, soit 2,5 fois plus que la batterie analysée dans l’étude du CIRAIG, la dette environnementale ne s’annulerait qu’après 150 000 km à 200 000 km, pour ce volet!
Pour quelqu’un qui fait 25 000 km par année avec un VEÉ de 400 km d’autonomie (batterie d’environ 60 kWh) c’est acceptable. Ça devient d’autant plus raisonnable qu’on dépasse davantage ce kilométrage, en autant qu’on ne doive pas changer la batterie. Mais, définitivement, ne rouler que 10 000 km à 15 000 km par année avec un tel véhicule ne va pas dans le sens du développement durable.
On se doit d’être sobre dans notre consommation de ressources naturelles si on veut diminuer l’empreinte écologique des transports. Pour ceux qui ne réaliseraient pas encore les problématiques graves que nous réservent les prochaines décennies, sous cet angle, je vous recommande fortement de visionner la conférence de Jean-Marc Jancovici donnée aux étudiants de SciencesPo à Paris, pour la rentrée universitaire 2019. Cette conférence est également disponible sur YouTube. On ne peut faire croitre perpétuellement l’économie dans un monde fini…
 
Réviser la norme pour les véhicules zéro émission (VZE)
La norme VZE du Québec, entrée en vigueur en janvier 2018, copie celle de la Californie. Elle force les fabricants d’automobiles à vendre un quota toujours croissant de véhicules électriques. Pour ce faire, la norme attribue des crédits VZE pour chaque véhicule électrique, qui peuvent aller jusqu’à un maximum de 4. Le nombre de crédits dépend du type de VÉ (VEÉ ou VHR) et de l’autonomie du VÉ. Plus la batterie est grosse et plus on accorde de crédits.
Inutile de dire que cette norme ne tient pas compte du cycle de vie des véhicules, ce qui n’a pas de sens. Les formules pour calculer le nombre de crédits pour chaque véhicule sont données dans un feuillet explicatif disponible sur le site du Ministère de l’Environnement et de la lutte contre les changements climatiques. Voici ce que ça donne (une de mes diapos).
 
 

 
Comme vous pouvez le constater, les VEÉ comme la Chevrolet Bolt, la Kia e-Niro ou la Tesla Model 3 SR+ se voient accorder 2,9 crédits alors que la Chevrolet Volt n’en a que 0,83. Il faut donc qu’un fabricant comme GM vende 3,5 fois plus de Chevrolet Volt que de Chevrolet Bolt pour obtenir le même nombre total de crédits. Pas étonnant que GM ait cessé de produire la Volt hybride rechargeable.
Compte tenu des études de cycle de vie dont nous avons parlé plus haut, il est évident qu’une voiture hybride rechargeable avec une autonomie électrique de 85 km, comme la Chevrolet Volt, mérite au moins 2 crédits, ce que j’ai indiqué sur la figure par la flèche rouge. Sinon, d’autres compagnies risquent de cesser la production de VHR.
 
Un juste équilibre pour le parc de VÉ
Alors, qu’est-ce qui serait raisonnable pour la composition du parc de VÉ d’un pays? Certainement pas 100 % de VEÉ avec une autonomie de 500 km. En fait, il faut compenser l’impact environnemental des grosses batteries par une bonne portion de plus petites batteries.
En première approximation, je crois que pour les véhicules légers les ratios suivants seraient raisonnables :

  • 20 % de VEÉ avec une batterie > 60 kWh (> 400 km)
  • 30 % de VEÉ avec une batterie de 30 kWh à 60 kWh (175 à 400 km)
  • 35 % de VHR avec une batterie de 15 kWh à 25 kWh (70 à 130 km)
  • 15 % de VHR avec une batterie de 10 kWh à 15 kWh (50 à 70 km)

L’idée étant d’avoir une capacité moyenne des batteries inférieure à 40 kWh, et idéalement autour de 35 kWh.
Par ailleurs, si on maintient un ratio de 50 % de VEÉ et 50 % de VHR, on a besoin de beaucoup moins de bornes de recharge rapide qu’avec 100 % de VEÉ.
En terminant, rappelons que les VHR peuvent faire plus de 90 % des km à l’électricité et que pour le reste on pourrait utiliser du biocarburant 2G ou 3G fait à partir de résidus et de déchets. À terme, on éliminerait quand même le pétrole, car on utiliserait 20 fois moins de carburant qu’actuellement. N’oublions pas qu’on met déjà 5 % de biocarburant dans l’essence.
 
ANNEXE 1
 Les centrales électriques dans le monde
Nous sommes chanceux au Québec, car la recharge d’un VÉ n’émet à toute fin pratique pas de gaz à effet de serre (GES), dû à nos centrales (99,5 % d’énergie renouvelable). Toutefois, selon le dernier rapport de l’organisation REN21 (Renewables 2019 Global Status Report), à l’échelle planétaire en 2018 on en était à 33 % d’énergie renouvelable pour l’ensemble de la capacité de production électrique.
 
 

 
Bien que la proportion d’énergie renouvelable dans les ajouts annuels de capacité de production augmente constamment (elle a atteint 2/3 d’énergies renouvelables en 2018), la capacité mondiale de production électrique issue d’énergies non renouvelables (charbon, gaz naturel et uranium) est plus grande que ce qu’elle était il y a dix ans, dû à l’augmentation de la demande, principalement dans les pays en émergence.
Or, les émissions des VÉ sont intimement liées aux émissions des centrales électriques qui les rechargent. Si on les utilise au Québec ou en Norvège, c’est parfait. Mais il n’y a pas que l’utilisation, il y a les émissions dues à la fabrication des véhicules et des batteries dont il faut tenir compte, dans une analyse de cycle de vie. Et, malheureusement, le Québec ne fabrique pas de véhicules légers. Ceux qu’on utilise sont fabriqués aux États-Unis, au Mexique, en Europe, au Canada (Ontario), au Japon et en Corée, en très grande majorité. Il faut en tenir compte (voir l’annexe 2).
 
ANNEXE 2
Les intensités d’émissions des centrales de divers pays
Pour fixer les idées, l’organisation ClimateTransparency donne l’intensité d’émission moyenne des centrales électriques (en g CO2éq/kWh) pour les pays du G20 dans le rapport en ligne « G20 Brown to Green Report 2018 », à l’onglet « Country Profiles » (en haut de la 7e page des fiches).
Par ailleurs, Hydro-Québec donne comme intensité d’émission pour son électricité 20,7 g CO2éq/kWh. Et, comme nous avons présenté des résultats pour la Norvège dans le présent article, il est bon de savoir également que ce pays a une intensité d’émission de ses centrales de 16,4 g CO2éq/kWh (98 % d’énergies renouvelables). Le Québec et la Norvège sont donc équivalents et uniques sous ce rapport, avec l’Islande.
Le tableau ci-dessous collige les Intensités d’émission moyennes des centrales électriques, en 2016, pour divers pays, par ordre décroissant.

 
 
 
 

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