Ce billet vient en appui au dernier texte de mon collègue chroniqueur Richard Lemelin «Et si le Québec rehaussait sa cible de véhicules électriques à 2 millions pour 2030».
Comme tout le monde, j’ai été ravi d’entendre notre premier ministre affirmer qu’il voulait réduire notre consommation de pétrole de 40 % d’ici 2030 et maintenir notre engagement de réduire les gaz à effet de serre de 37,5 % en 2030, par rapport à 1990, un engagement que le Québec a pris en 2015 à la Conférence sur les changements climatiques de l’ONU, à Paris (COP 21), pour réduire le réchauffement climatique.
Être cohérent avec nos objectifs
Mais, maintenant, on doit être cohérent dans les actions à prendre pour y arriver. À cet égard, il faut un objectif beaucoup plus ambitieux que 1 million de VÉ au Québec en 2030, et voici pourquoi.
En moyenne, de 2009 à 2017 le nombre de véhicules légers (automobiles et camions légers) au Québec a augmenté 73 750 véhicules/an. Or, il reste 11 ans avant 2030, et si la tendance se maintient, il y aura 811 000 véhicules légers de plus au Québec à cette date. Voici un graphique que j’ai réalisé pour illustrer ces faits, basé sur les données de la Banque de données des statistiques officielles du Québec.
Il est donc évident que si on conserve un objectif de 1 000 000 de véhicules électriques en 2030, les 800 000 premiers ne vont servir qu’à annuler les gaz à effet de serre (GES) des 800 000 nouveaux véhicules et ne réduiront pas les GES d’autant qu’on pense.
La consommation de la flotte de véhicules légers en 2030
Faisons une évaluation, en première approximation, de la réduction de consommation de carburant du parc de véhicules légers québécois en 2030. Tout d’abord, en 2019 il y a environ 5,4 millions de véhicules légers (VL). Les 800 000 nouveaux VL correspondent donc à une augmentation de 15 % du parc actuel en 2030, par rapport à aujourd’hui, si la tendance continue comme celle de la courbe plus haut. Maintenant, en supposant que les véhicules thermiques légers vont consommer 30 % moins de carburant en 2030 par rapport à aujourd’hui, cette diminution va se faire de façon progressive, au cours des 11 prochaines années, de telle sorte que la diminution moyenne de consommation du renouvellement du parc, sur cette période, ne sera que de 15 % environ.
Par conséquent, avec une diminution de 30 % de la consommation des VL thermiques en 2030, par rapport à aujourd’hui, et 800 0000 véhicules thermiques de plus d’ici 2030, le parc de VL québécois de 2030 consommerait la même quantité de carburant que celui d’aujourd’hui. On suppose pour cela que tous les VL vont être remplacés dans les 11 prochaines années.
Maintenant, remplaçons 1 million de VL du parc de 6,2 millions de VL qu’il y aurait en 2030 (800 000 VL + 5,4 millions en 2019) par des véhicules électriques légers et on obtient une réduction de consommation des VL de 16,1 %, si ce million de véhicules était 100 % électrique. Mais avec une bonne portion d’hybrides rechargeables, on aurait plutôt de l’ordre de 15 % de réduction de consommation. C’est la réduction à laquelle on devrait s’attendre en 2030 par rapport à aujourd’hui pour les véhicules légers, si on a 1 million de VL électriques. Et la réduction de consommation sera moindre pour les camions lourds et moyens qu’on n’a pas encore commencé à électrifier. On est donc loin du 40 % de moins de consommation de pétrole qui constitue l’engagement du gouvernement, surtout que les véhicules légers ne consomment que la moitié du pétrole en transport au Québec (voir le graphique plus bas).
Diminuer nos GES de 37,5 % en 2030; les travaux d’Hercule
Pour ce qui est de notre engagement concernant la diminution des GES c’est encore pire. En effet, dans l’Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2016 et leur évolution depuis 1990, à la page 11, on y apprend que les GES reliés au transport routier ont augmenté de 52,3 % de 1990 à 2016. Et ils n’ont certainement pas diminué depuis 2016, compte tenu du graphique plus haut. C’est donc dire que notre engagement de réduction des GES de 37,5 % en 2030 par rapport à 1990 correspond à une diminution de 60 % par rapport à aujourd’hui, ce qui signifie une diminution de la consommation de pétrole de 60 % dans les transports routiers, d’ici 2030, puisqu’on n’émet aucun gaz à effet de serre en rechargeant les VÉ au Québec.
Sans compter que pour le transport aérien et maritime, qui constituent 17 % de la consommation de pétrole (figure ci-dessus) pour les transports, la diminution de la consommation va être très faible d’ici 2030, dû à la longue durée de vie des avions et bateaux (plus de 30 ans) et à la difficulté de les électrifier. Pour compenser la diminution qui n’aura pas lieu, il faudrait, en principe, augmenter la réduction de consommation de pétrole dans les transports routiers à 70 % !?!
Le temps n’est plus aux mesurettes !
De ce qui précède on en conclue que la cible minimale de véhicules électriques légers que le Québec devrait atteindre en 2030 s’aligne sur 3 millions de VÉ légers (50 % du parc de VL de 2030), si on ne veut pas être trop en déficit par rapport à nos engagements.
Par ailleurs, ce nouvel objectif devrait s’accompagner d’un bonus-malus très conséquent, capable de renverser la vapeur de l’augmentation fulgurante du nombre de véhicules sur nos routes (2,5 fois plus rapide que l’augmentation de la population). Il faudrait également mettre en place des incitatifs monétaires importants et des outils intelligents pour soutenir et faciliter le covoiturage. Ce sont les deux mesures principales les plus susceptibles de diminuer rapidement la tendance désastreuse actuelle. À cela il faut ajouter une loi zéro émission avec beaucoup plus de mordant, puisque celle qu’on a exige des fabricants qu’ils vendent moins de 10 % de VL électriques neufs en 2025. Il faudrait tripler ce seuil. ÇA NE SE FERA PAS TOUT SEUL.
Bien sûr, les transports collectifs et actifs devront augmenter également, de même qu’un réaménagement du territoire et le télétravail, pour diminuer les besoins de déplacements. Pour ce qui est des véhicules autonomes, compte tenu de nos hivers, leur impact au Québec se fera sentir plus dans les années 2030.
Comprenez bien que mon intention, avec ce billet, ce n’est pas de décourager les gens, mais plutôt de mettre les pendules à l’heure. Ça ne sert à rien de garder la tête dans le sable. Il faut être correctement informés pour prendre les bonnes décisions. Et croyez-moi, le temps n’est plus aux mesurettes esthétiques.
Notre destin nous attend, être un leader en électrification des transports à l’échelle mondiale!
Pierre Langlois
104 articles
Le physicien Pierre Langlois, Ph.D., est consultant, auteur, chroniqueur et conférencier en mobilité électrique. Travailleur autonome, il est complètement indépendant vis-à-vis des groupes de pression. Reconnu comme vulgarisateur scientifique hors pair, Pierre Langlois est un intervenant majeur en mobilité durable, décoré de la médaille de l’Assemblée nationale en 2014 pour sa contribution importante à l’électrification des transports du Québec. Il est notamment l'auteur du livre « Rouler sans pétrole » (2008) et co-auteur de « L'Auto électrique... et plus! » (2018) ainsi que du livre « Le guide pratique de la voiture électrique… et plus » (2021), avec Daniel Breton. Pierre Langlois a obtenu la mention spéciale du jury au Concours Roberval à Paris qui couronne les meilleurs ouvrages de la Francophonie en communication scientifique et technique, en 2008, pour ses deux premiers livres « Sur la route de l’électricité », vol. 1 et 2. À titre de consultant, il a été mandaté par le Réseau des ingénieurs du Québec pour effectuer l’étude « Propositions pour engager le Québec sur la voie de la mobilité durable » en 2010, et a été le principal conseiller scientifique pour l’élaboration de la Stratégie d’électrification des transports du gouvernement Marois en 2013. Il a également été expert conseil pour le gouvernement du Canada, des compagnies, des instituts de recherche et de Mobilité électrique Canada. Pour plus de détails, voir son site à www.planglois.com .