Dans le cadre du débat entourant la voiture électrique, j’entends souvent le contre-argument qui suit: “Ce n’est pas de plus de voitures électriques dont nous avons besoin, mais de plus d’autobus, de trains et de tramways. On doit délaisser voire proscrire la voiture pour passer au transport collectif”.
Si je suis 100% d’accord avec le fait que le transport collectif peut et doit prendre beaucoup plus de place dans notre cocktail de mobilité durable, il est toutefois certain que le transport collectif lourd tel que nous le connaissons (trains, métros, autobus, tramways) ne répondra jamais à tous les besoins des gens et ne pourra jamais à lui seul régler les problèmes de pollution atmosphérique et de gaz à effet de serre.
J’en ai d’ailleurs fait la démonstration dernièrement lorsque j’ai écrit un texte où je soulignais le fait que les émissions de GES des véhicules lourds sont maintenant plus importantes au Québec que celles des voitures et des camions légers.
Dans un monde idéal…
Dans un monde idéal, le réseau de trains et de tramways serait développé au Québec comme on le voit présentement dans certains pays d’Europe de l’Ouest. Là-bas, ces réseaux sont généralement efficaces et présents un peu partout sur leur territoire.
Donc, des dizaines de milliards de dollars plus tard, se sera-t-on débarrassé de la voiture individuelle? Car c’est de cet ordre de grandeur dont il est question. Le REM coûtera à lui seul au bas mot $10 milliards et ne servira qu’une partie de la région montréalaise. Il faudra donc investir pour le reste de la grande région de Montréal en trains, tramways et métros. Il faudra aussi s’occuper du transport collectif des autres régions: Montérégie, Lanaudière, Laurentides, Beauce, Québec, Gaspésie, Saguenay, Abitibi, etc…
Une fois cela fait, est-ce que ce sera assez? La réponse est NON.
Lorsque nous jetons un coup d’oeil aux statistiques de ventes et d’évolution du parc automobile ailleurs dans le monde, même là où les transports collectifs lourds sont extrêmement bien développés, nous découvrons que les ventes de voitures et de camions légers ne diminuent pas ET que la grosseur du parc de véhicules est en constante progression, ce qui est d’ailleurs préoccupant.
- En France: royaume du train, du RER et du TGV, le nombre de véhicules immatriculés a augmenté de 1,2% entre 2016 et 2017, passant la barre des 39 000 000 de véhicules, dont environ 390 000 voitures particulières supplémentaires. D’ailleurs, les émissions de CO2 attribuables aux transports ont recommencé à augmenter depuis 2014 et ont augmenté de 0,9% pour la seule année 2015.
- En Allemagne: Du côté du géant de l’automobile allemand, royaume des Volkswagen, Audi Porsche, BMW, Mercedes-Benz, Smart, etc… les ventes de voitures et camions légers ont été extrêmement fortes pour les huit premiers mois de l’année 2018, avec une hausse de 6,4 % par rapport à la même période en 2017. Cela comprend environ 916.500 voitures vendues à des particuliers, ce qui correspond à une augmentation annuelle de 12 %. Bref, les ventes de véhicules personnels ne sont pas en déclin là-bas non plus, malgré le fait qu’eux aussi possèdent un réseau de transport collectif très développé. D’ailleurs, pour bien comprendre l’importance du secteur automobile allemand, sachez que 828 000 travaillaient dans cette industrie en 2016, soit 14% de l’ensemble des salariés du secteur industriel et 13% du PIB de ce pays. Lorsqu’on compare le nombre de travailleurs de l’automobile de l’Allemagne par rapport à la population allemande (environ 83 millions d’habitants) au nombre de travailleurs de l’automobile des États-Unis qui sont un peu moins de 1 million par rapport à la population totale du pays (environ 327 millions d’habitants), on comprend à quel point cette industrie est stratégique pour les Allemands.
- En Suède: Ce pays avant-gardiste en matière de transport collectif et de transition énergétique a vécu en “2017 l’année de vente automobile la plus forte jamais enregistrée, avec 392 728 nouvelles immatriculations. Le parc automobile, atteignant 4 845 609 unités, a connu une augmentation pour tous les types de véhicules, cumulant à 78 000 véhicules supplémentaires (+ 1,6 % sur l’année). Les ventes de voiture d’occasion ont également presque doublé en 2017 par rapport à 2016.” Considérant à quel point nous percevons ce pays comme un modèle en matière de développement durable, ces statistiques ont de quoi étonner.
- Aux États-Unis: les émissions de GES du secteur des transports sont devenu LA première source d’émissions de GES depuis 2017, ceux-ci ayant recommencé à augmenter depuis 2013 pendant que les émissions de GES de la production d’électricité a diminué grâce au virage vers les énergies renouvelables amorcé au sud de la frontière il y a quelques années.
Évidemment, cela est intimement lié au fait que le parc de véhicules sur les routes américaines n’a cessé de grossir au fil des décennies, sauf durant une brève période due à la crise économique de 2008.
(évolution du nombre de véhicules immatriculés aux États-Unis entre 1991 et 2016)
Et je ne parlerai pas de pays tels que l’Inde ou la Chine où le parc de véhicule croit à un rythme accéléré depuis au moins 2 décennies.
(évolution du nombre de véhicules immatriculés en Inde entre 1991 et 2016)
Un dilemme
La très grande majorité des lecteurs du site RoulezElectrique.com ont à coeur l’avenir de la planète.
Ils et elles ont aussi des modes de vie qui leur permettent parfois de prendre le transport collectif, parfois non.
Par exemple, aller en ski ou au chalet en famille les week-ends est plutôt difficile en transports collectifs.
Aller en vacances peut aussi représenter un réel défi.
Si on assiste à de telles augmentation des ventes et du nombre de véhicules dans des pays très bien servis en matière de transport collectif tels que la France, l’Allemagne ou la Suède alors que ceux-ci sont beaucoup plus densément peuplés que chez nous, il serait illusoire de croire que le transport collectif lourd scellera le sort des voitures au Québec ou ailleurs au Canada.
C’est pourquoi la voiture électrique peut et doit aussi faire partie du cocktail de mobilité durable… ce qui n’empêche pas le fait que les propriétaires de véhicules électriques peuvent continuer (ou commencer) à prendre le transport collectif aussi souvent que possible. Ce n’est pas parce qu’on devient propriétaire d’un véhicule électrique qu’on doit de facto délaisser le transport collectif.
Et de toute manière comme le disait si éloquemment mon collègue Pierre Langlois dans son texte intitulé ” Acheter un VÉ, un geste vert ou pas? 3. Les véhicules autonomes = beaucoup moins de véhicules”, l’avenir de la mobilité durable passera aussi par le covoiturage et l’auto partage… de voitures et de camions électriques de plus en plus autonomes car comme on peut le constater, le transport collectif lourd ne suffira clairement pas à la tâche.
https://www.lelynx.fr/assurance-auto/vehicule/neuf/parc-automobile-francais-2017/
https://www.epa.gov/ghgemissions/sources-greenhouse-gas-emissions
https://www.capital.fr/entreprises-marches/80-millions-de-voitures-en-moins-en-europe-dici-2030-etude-1243502
https://export.businessfrance.fr/suede/001B1804624A+le-marche-de-l-automobile-en-suede.html
http://www.environnement.gouv.qc.ca/changements/ges/2016/inventaire1990-2016.pdf
https://e360.yale.edu/digest/transportation-replaces-power-in-u-s-as-top-source-of-co2-emissions
https://www.statista.com/statistics/183505/number-of-vehicles-in-the-united-states-since-1990/
https://reporterre.net/En-France-les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-dues-au-transport-sont
https://www.lemonde.fr/automobile/article/2017/09/11/ce-que-represente-l-industrie-automobile-en-allemagne-en-dix-chiffres_5184129_1654940.html
http://roulezelectrique.com/acheter-un-ve-un-geste-vert-ou-pas-3-les-vehicules-autonomes-beaucoup-moins-de-vehicules/