Je ne sais pas si vous suivez beaucoup l’actualité, mais 2 événements qui font les manchettes ces jours-ci nous ramènent à une réalité dont on parle trop peu : les véhicules à essence suscitent de plus en plus de conflits dans le monde… car ils ont besoin de pétrole.
- La guerre en Syrie :
Cette guerre fait partie de cette série de conflits où les enjeux gaziers et pétroliers jouent un rôle important, mais sont souvent bien cachés. Ainsi, un accord a été signé en février 2018 entre la Russie et le gouvernement Assad afin que l’administration Poutine obtienne l’exclusivité des droits de production de pétrole et gaz sur le territoire syrien1.
Quelques mois auparavant, soit en novembre 2017, on pouvait lire sur RFI (Radio France Internationale) que « Les Forces démocratiques syriennes, soutenues par les États-Unis, ont annoncé avoir pris dimanche 22 octobre le contrôle du plus grand gisement pétrolier de Syrie, dans la province de Deir Ezzor, dans l’est du pays. L’alliance arabo-kurde soutenue par Washington a occupé dimanche pratiquement sans combat le champ pétrolier d’al-Omar. Ce gisement se trouve sur la rive orientale de l’Euphrate, à dix kilomètres au nord de la ville d’al-Mayadeen, prise la semaine dernière par l’armée syrienne au groupe Etat islamique. »2.
Selon un article d’Économie Matin intitulé « La guerre en Syrie est encore une guerre pour le pétrole et le gaz »3, on pouvait lire en novembre 2016 « La Syrie est un point de passage stratégique pour l’acheminement des hydrocarbures. C’est aussi un gigantesque réservoir de gaz… Une situation qui n’est évidemment pas sans rapport avec la terrible guerre civile dans laquelle a été plongé le pays en 2011. Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis essaient de casser la dépendance de l’Union européenne au gaz et au pétrole russe.
Citant le Washington Institute for Near East Policy, on pouvait y lire ce qui suit « Si un changement politique favorable aux Occidentaux, aux Turcs, Saoudiens et Qataris devait se produire en Syrie, et que celle-ci se coupait de la Russie (les navires de guerre russes mouillant dans le port stratégique de Tartous, un port qui peut bien sûr accueillir des tankers approvisionnés à partir des oléoducs qui y arriveraient), c’est alors toute la géopolitique pétrolière et gazière de la région qui serait bouleversée à l’avantage de l’Occident pro-américain et au détriment de Moscou et de Pékin (…). »
Il faut donc aussi voir les attaques récentes des USA, de la France et de la Grande-Bretagne en Syrie à travers la lorgnette géopolitique et géostratégique du contrôle des ressources en hydrocarbures de la planète avec d’un côté les USA et ses alliés et de l’autre la Chine, la Russie et leurs alliés.
Selon l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme, plus de 350 000 personnes sont mortes dans ce conflit en 7 ans, dont plus de 106 000 civils4.
- La crise canadienne des pipelines et « l’intérêt national »
Le premier ministre Justin Trudeau est présentement pris au beau milieu d’un conflit national suite au refus par la Colombie-Britannique de laisser passer le pipeline sur son territoire, ce qui pourrait fort bien marquer un point de rupture pour le Canada en tant que fédération selon certains observateurs.
De plus en plus de gens de la planète se rendent maintenant compte que les beaux discours sur l’environnement de M. Trudeau n’étaient que ça : des discours. Il n’a plus aucune crédibilité en matière d’environnement. J’avais prédit juste après le Sommet de Paris sur le Climat qu’il irait droit dans le mur avec ses actions totalement contradictoires vis-à-vis les changements climatiques, les sables bitumineux et les pipelines.
Nous y voilà.
Là, on parle « des vraies affaires ».
En effet, les médias canadiens, les pétrolières et l’Alberta mettent une pression énorme sur le gouvernement Trudeau afin que celui-ci trouve un moyen de résoudre le conflit entre l’Alberta et la Colombie-Britannique, c’est-à-dire de laisser passer le pipeline moyennant des arrangements à déterminer.
Ce dossier a redonné vie au terme médiatique «intérêt national », une vieille expression utilisée au 19e siècle par des magnats du chemin de fer canadien et probablement déterrée par un spin doctor pour manipuler l’opinion publique canadienne.
C’est ainsi que :
- Justin Trudeau, plusieurs de ses ministres et une quantité ahurissante de commentateurs patentés de toutes origines parlent de ce dossier comme étant « d’intérêt national », comme si la survie du pays en dépendait.5
- John Ivison du National Post a même évoqué une « balkanisation » du Canada en cas d’échec par le gouvernement Trudeau à faire « accepter » ce projet ainsi que la fin pour Justin Trudeau en tant que premier ministre.6
- De son côté, le commentateur Rex Murphy7 posait la question en ces termes :
“Who has authority to decide Canadian energy policy?
Governments or Green-machine protesters? 6
(Qui a l’autorité de décider la politique énergétique Canadienne?
Les gouvernements ou les machines à protestants vertes?)
Il y a quelques jours à peine, le Grand Chef de la Nation Okanagan et président de l’Union of B.C. Indian Chiefs et Serge ‘Otsi’ Simon, Grand Chef du Mohawk Council of Kanesatake, ont écrit une lettre qui a été publiée dans le Globe and Mail intitulée : “If Ottawa rams through Trans Mountain, it could set up an Oka-like crisis”. (Si Ottawa force le pipeline Trans Mountain, cela pourrait déclencher une crise de l’ampleur de la crise d’Oka)
Le pétrole extrême et les banques canadiennes
Un joueur dont on parle très peu dans cette bataille est le secteur banquier canadien. Regardons-le de plus près.
Dans un rapport intitulé “Banking on climate change”(9) publié en mars 2018 sur les investissements des banques dans les ressources fossiles, on découvrait qu’alors que ceux-ci avaient généralement diminué à l’échelle mondiale en 2017, on pouvait détecter une exception:
Les banques canadiennes et les sables bitumineux
a) Sur les 10 pires banques au monde en 2017 en ce qui a trait aux investissements dans les ressources fossiles, 4 d’entre elles étaient canadiennes: RBC, TD, Scotiabank et CIBC. (Les lignes rouges de ce graphiques indiquent les montants investis dans les sables bitumineux)
b) Sur les 10 banques au monde qui ont le plus augmenté leurs investissements dans les énergies fossiles “extrêmes” en 2017 (sables bitumineux, pétrole arctique, LNG, charbon, pétrole de profondeur), 5 d’entre elles sont canadiennes: RBC, TD, CIBC, Scotiabank et BMO.
C’est ainsi qu’on découvre que les banques canadiennes sont particulièrement exposées au risques liés au développement (ou non) de l’exploitation du pétrole des sables bitumineux. Ainsi, moins le pétrole issu de leur exploitation rapporte de profits (il coûte plus cher à extraire et se vend moins cher sur le marché), moins les banques canadiennes peuvent espérer optimiser leurs investissements dans ce secteur. Cela ne fait donc qu’augmenter la pression pour faire sortir ce pétrole d’Amérique du Nord afin qu’il puisse se rendre à de nouveaux marchés: Europe et Asie. D’où les projets Énergie Est et Trans Mountain.
L’an dernier, nous avons vu les pétrolières canadiennes importer une quantité croissante de pétrole américain pour la vente au Canada dont au Québec car le pétrole américain issu des schistes (et exploité à fond de train) coûte tout simplement moins cher et rend donc le pétrole canadien non compétitif. Ça en dit d’ailleurs long sur “l’intérêt national” des pétrolières vis-à-vis le Canada.
Le PM Trudeau n’a donc pas de la pression que de la part des pétrolières, de l’Alberta et des médias. La plus grosse pression vient probablement de Bay Street à Toronto. Voilà pourquoi tant de gens tentent de faire passer l’intérêt des banques canadiennes et des pétrolières pour de “l’intérêt national”.
Car comme tout le monde le sait, la santé des gens, leur sécurité, la pollution atmosphérique, les changements climatiques, la protection de l’eau potable, le respect des Premières Nations et des provinces, ce n’est pas “d’intérêt national”, n’est-ce pas?
Pas de conflit pour faire le plein
Je suis de près et analyse les enjeux géopolitiques internationaux de l’énergie depuis mes années à l’université. J’ai ainsi tenté depuis plus de 30 ans de comprendre et de décortiquer de nombreux conflits liés aux hydrocarbures: Koweit, Irak, Iran, Afghanistan, Venezuela, Bolivie, Niger, Soudan, etc… jusqu’au Québec et en Alberta.
C’est après avoir vu et compris l’ampleur des ravages de notre funeste addiction aux hydrocarbures des points de vue écologique, économique, géopolitique, humanitaire et en santé que je me suis engagé envers l’environnement, la diminution de notre dépendance aux hydrocarbures et l’électrification des transports.
Je sais qu’en roulant électrique, je risque beaucoup moins de contribuer à mettre des pays sans dessus dessous comme c’est le cas avec un véhicule qui a besoin de pétrole pour avancer.
Je reviendrai là-dessus sous peu.
1 : https://rusreinfo.ru/fr/2018/02/syrie-droits-exclusifs-a-la-russie-petrole-gaz/
2 : http://www.rfi.fr/moyen-orient/20171022-syrie-fds-s-emparent-plus-grand-gisement-petrolier-al-omar
3 : http://www.economiematin.fr/news-syrie-guerre-petrole-gaz
4 : http://www.liberation.fr/planete/2018/03/12/la-guerre-en-syrie-a-fait-plus-de-350-000-morts-en-sept-ans_1635581
5 : http://www.cbc.ca/news/politics/peru-lima-trudeau-pipeline-1.4620406
6 : http://nationalpost.com/opinion/john-ivison-failure-to-push-through-trans-mountain-could-be-the-end-for-trudeau
7 : http://nationalpost.com/opinion/rex-murphy-our-economy-is-at-stake-confederation-strained-and-whose-fault-it-is
8 : https://www.theglobeandmail.com/opinion/article-if-ottawa-rams-through-trans-mountain-it-could-set-up-an-oka-like/
9 : https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/rainforestactionnetwork/pages/19540/attachments/original/1522211861/Banking_on_Climate_Change_2018_vWEB.pdf?1522211861