Voitures électriques

Commentaires sur les propos récents du directeur des voitures à hydrogène de Toyota

Le 18 janvier 2019, paraissait un article sur le blogue The Drive, intitulé « Exclusive: Toyota Hydrogen Boss Explains How Fuel Cells Can achieve Corolla Costs ». Le blogueur Bertel Schmitt y relate une entrevue avec le directeur du développement des piles à combustible chez Toyota, Katsuhiko Hirose. Ci-après, j’appellerai cet article « l’article The Drive ».
La première citation de M. Hirose, dans cet article, est la suivante :
« Hydrogen Fuel cell vehicles will eventually be cheaper than gasoline-powered cars, opening the door to zero-emission transportation around the world, and not just in rich pockets that can afford battery-electric vehicles that are dependent on scarce natural resources and government support. »
 soit, en français «Les véhicules à hydrogène seront finalement moins chers que les voitures à essence, ce qui ouvrira la porte au transport zéro émission dans le monde entier, et pas seulement pour les riches poches qui peuvent se permettre des véhicules à batterie électrique qui dépendent de ressources naturelles rares et du soutien du gouvernement»
On voit, d’entrée de jeux, que les propos s’alignent sur la démagogie. Mais, un de mes correspondant m’a écrit pour me mentionner que l’article The Drive lui faisait possiblement réévaluer sa position négative sur l’hydrogène !?!  Alors, me revoilà encore à écrire sur ce sujet, pour commenter, cette fois, les affirmations de M. Hirose et Schmitt dans cet article et aider, une fois de plus, à y voir clair.
 
Des arguments contre l’hydrogène qui sont dépassés ; vraiment ?  
La première attaque de M. Hirose concerne un article invité dans la prestigieuse revue Proceedings of the IEEE (Institute of Electrical and Electronics Engineers), publiée en octobre 2006, écrit par Ulf Bossel et intitulé «Does a Hydrogen Economy Make Sense?». Dans cet article, l’auteur démontre que les pertes de la filière électrolyse de l’eau pour produire l’hydrogène sont tout simplement inacceptables. Ça prend 3 fois plus d’électricité pour faire rouler un véhicule à hydrogène sur la même distance qu’un véhicule électrique à batterie.
M. Hirose est bien conscient de cela et reproche à Ulf Bossel de ne pas avoir considéré le reformage du gaz naturel pour produire l’hydrgène, un procédé plus efficace selon lui. Voici une autre citation de M. Hirose dans l’article The Drive, à cet égard:
« The bulk of today’s hydrogen is not made from electrolysis, but by reforming mostly natural gas, or even coal. Strangely, Bossel did not, as he himself admitted, “consider this option, although hydrogen can be chemically synthesized at relatively low cost. »
soit, en français, « la plus grande partie d’hydrogène d’aujourd’hui n’est pas produit par électrolyse, mais en reformant surtout le gaz naturel, ou même le charbon. Étrangement, Bossel n’a pas, comme lui-même l’a admis, “considéré cette option, bien que l’hydrogène puisse être chimiquement synthétisé à relativement faible coût. »
Si Ulf Bossel n’a pas considéré l’utilisation du gaz naturel, c’est qu’il estimait que le futur était dans les énergies renouvelables, et non dans les énergies fossiles, comme il le dit lui-même dans son article de 2006.
 Or, tout au long de l’article The Drive, on parle de l’article de Bossel comme étant vieux de 13 ans et dépassé. Ne serait-ce pas l’idée de perpétuer l’utilisation des carburants fossiles, même pour produire l’hydrogène, qui est dépassée ?
Par ailleurs, dans un article du 21 janvier 2019 de Paul-Robert Raymond, dans le journal Le Soleil, on apprend que la première station d’approvisionnement en hydrogène au Québec, qui ouvrira ses portes sous peu à Québec, consomme 55 kWh d’électricité pour produire un kg d’hydrogène, par électrolyse. Et une voiture à hydrogène fait environ 100 km (63 miles) avec cette quantité, selon les données de l’EPA (Environmental Protection Agency), ci-dessous.

On a donc une consommation électrique de 55 kWh/100 km pour une voiture à hydrogène, ce qui est 3 fois plus élevé que la consommation d’une Tesla Model 3 avec la grosse batterie (16,3 kWh/100 km, pour une autonomie de 496 km, selon l’EPA).
Et ces chiffres sont des valeurs réelles de 2019. En fin de compte, Ulf Bossel avait obtenu, en 2006, le même facteur 3 qu’on observe aujourd’hui dans le concret, entre la consommation électrique d’une voiture à hydrogène versus celle d’une voiture électrique à batterie. Donc, il semble bien que son article d’il y a 13 ans n’est pas si dépassé que ça ! J’avais moi-même fait état de ce facteur 3 dans mon livre Rouler sans pétrole, en 2008. Voici la figure très explicite de mon livre qui l’illustre.

N’oublions pas que le développement durable est synonyme d’efficacité énergétique. Or, dépenser 3 fois plus d’énergie pour faire la même chose c’est loin d’être de l’efficacité énergétique, et ce n’est donc pas du développement durable. On ne peut gaspiller de la sorte de l’énergie renouvelable, si précieuse !
 
Les batteries sont trop lourdes et gaspillent de l’énergie ; ah oui !
Par la suite, l’article The Drive critique les batteries en disant que leur poids considérable gaspille de l’énergie. Voici le passage pertinent:
« Weight is the enemy of mileage, and trying to gain range by adding more battery quickly becomes a losing proposition as more and more energy is wasted dragging a heavy battery around. »
 soit, en français, « Le poids est l’ennemi du kilométrage, et essayer de gagner de l’autonomie en ajoutant plus de batterie devient rapidement une proposition perdante, alors que de plus en plus d’énergie est gaspillée pour transporter une batterie lourde.»
Pourtant, je viens de démontrer plus haut qu’une Tesla Model 3 de 496 km d’autonomie EPA consomme trois fois moins d’électricité qu’une Toyota Mirai, dont l’autonomie EPA est 499 km, si on produit l’hydrogène par électrolyse. Je crois qu’avant de parler du gaspillage d’énergie des batteries lourdes, les promoteurs des voitures à l’hydrogène devraient regarder dans leur cour, surtout que le poids des batteries diminue constamment pour une autonomie donnée (3 % à 5 % par année). Et, on devrait encore gagner un facteur 2 d’ici 2025, avec l’arrivée des batteries solides au lithium.
Juste après, l’auteur de l’article The Drive s’en prend à Ulf Bossel et son « vieil article ». Est-ce son opinion personnelle ou celle de M. Hirose qu’il retransmet ? Difficile à dire. Voici le paragraphe dénigrant où il fait de la désinformation et de la démagogie sans vergogne.
« Times and technologies have changed since Ulf Bossel wrote the paper, and he himself has long departed from the pure battery faith. Ulf Bossel is now owner of the Swiss Almus AG, which sells the UBOCELL, a small SOFC fuel cell that turns hydrogen into electricity. »
 soit, en français, « Les temps et les technologies ont changé depuis que Ulf Bossel a écrit l’article, et il a lui-même quitté depuis longtemps la foi en une pure batterie. Ulf Bossel est maintenant propriétaire de la Swiss Almus AG, qui vend l’UBOCELL, une petite pile à combustible SOFC qui transforme l’hydrogène en électricité. »
 Pour votre information, Ulf Bossel (photo ci-dessous) est un spécialiste des piles à combustible et il est normal qu’il travaille dans ce domaine. Sa compagnie, Almus AG, vend des petites piles à combustibles SOFC (en céramique, fonctionnant à 700 °C) de 100 Watt, servant de source d’alimentation 12 Volt portative non toxique pour diverses applications de niche, qui n’ont rien à voir avec un groupe de traction pour les véhicules automobiles.
 

Ulf Bossel
 
C’est scandaleux de voir quelqu’un dénigrer une personne intègre et de bonne foi comme M. Bossel, en sous-entendant qu’il a maintenant des intentions ou des opinions qui vont dans le sens des piles à combustible pour les transports, alors qu’il n’a jamais démenti son article de 2006. C’est carrément de la manipulation, sachant qu’à peu près personne ne va vérifier.
Et si l’article de Bossel est si vieux je que ça, j’aimerais bien savoir ce qui a tant changé dans les lois de la physique depuis 2006. Mais, ça, ni Schmitt ni Hirose n’en parlent. Ils se contentent de dire que c’est dépassé. Dans un de mes articles de 2016 sur l’hydrogène, je mentionne deux études étatsuniennes, une du National Renewable Energy Laboratory (2013) et une autre du Oak Ridge National Laboratory (2014) qui confirment que les choses n’ont pas changé. Il y a toujours des problèmes avec les véhicules à hydrogène, que ce soit au niveau des gaz à effet de serre avec la filière gaz naturel ou au niveau de l’inefficacité énergétique lorsqu’on considère l’électrolyse.
 
Les batteries se recyclent, pas les carburants fossiles  
L’attaque contre les batteries continue, dans l’article The Drive, en disant qu’elles vont épuiser les ressources minérales de la planète et en particulier le cobalt qui est extrait dans des conditions non éthiques pour une portion importante. Ce qu’il oublie de dire ici, c’est que les batteries sont recyclables et non le gaz naturel. Une fois le gaz naturel consommé pour produire de l’hydrogène c’est fini. Par ailleurs, aux États-Unis 2/3 de la production de gaz naturel provient de la fracturation hydraulique, une technologie controversée en raison des risques bien réels de contamination des nappes phréatiques, entre autres risques environnementaux. Les compagnies de gaz et de pétrole ont été exemptées de plusieurs lois de protection de l’eau et de l’air. Ça non plus ce n’est pas éthique !
Après avoir mentionné les ressources finies de cobalt et de lithium pour les batteries, l’auteur de l’article The Drive poursuit en disant qu’on ne manquera jamais d’hydrogène aussi longtemps qu’on aura de l’eau sur terre. Mais, en disant cela, il contredit M. Hirose qui argumente qu’on doit produire l’hydrogène avec du gaz naturel, afin d’éviter l’inefficacité de l’électrolyse de l’eau…
Revenons aux batteries. Bien sûr, il faut se préoccuper du cobalt. Déjà, BYD, le 2e plus gros fabricant de VÉ au monde, n’a pas de cobalt dans ses batteries, alors que Tesla, le 1e fabricant, en a très peu. Et, la prochaine génération de batterie, qui devrait sortir d’ici 3 à 6 ans, n’en aura pas (batteries solides au lithium, utilisant du soufre). Mais, n’oublions pas que les batteries au lithium sont recyclables et même qu’un consortium québécois, Recyclage Lithion, centré autour de la compagnie Seneca, entreprend de construire une usine pilote qui récupérera 95 % des matériaux, tel qu’annoncé le 1er novembre 2018.
 

 
Les vérités très dérangeantes sur l’hydrogène escamotées  
Parlons maintenant de ce qui n’est pas dit dans l’article The Drive.
Premièrement, dans l’article récent de Paul-Robert Raymond du journal Le Soleil, dont j’ai parlé plus haut, on apprend que le coût de la station de production et distribution d’hydrogène (50 pleins par jour), qui ouvrira ses portes à Québec en février 2019, est de 5,2 millions $ ! Or, le coût moyen d’une station de recharge rapide actuelle de 50 kW, pour les véhicules électriques, est de 60 000 $. On pourrait donc installer 86 bornes de recharge rapide pour le prix d’une seule pompe à hydrogène ! Ça c’est une vérité qui dérange !
Deuxièmement, même s’il n’y a pas de CO2 émis par une voiture à hydrogène au tuyau d’échappement, l’usine qui produit l’hydrogène en émet autant, sur son cycle de vie, qu’une voiture qui consommerait 5 à 6 litres/100 km d’essence, une autre vérité qui dérange. Et, cela a été démontré par plusieurs gros laboratoires gouvernementaux (voir, à ce sujet, mon article de 2016 intitulé « Les voitures à hydrogène pourraient nuire à l’électrification des transports », publié sur Roulezelectrique.com).
Force est donc de constater que des voitures hybrides rechargeables (VHR) comme la Chevrolet Volt (85 km électrique) ou la Honda Clarity PHEV (77 km électrique) émettent 6 à 10 fois moins de gaz à effet de serre (GES) qu’une voiture à hydrogène au Québec, lorsque celui-ci est produit à partir du gaz naturel (comme le propose M. Hirose pour éviter l’inefficacité de l’électrolyse). En effet, 85 % à 90 % du kilométrage d’une telle VHR va se faire en mode électrique, n’entrainant aucun GES au Québec. Le 10 % à 15 % restant va correspondre à une consommation d’environ 5,5 litre/100 km, soit une consommation d’essence moyenne annuelle variant entre 0,1 x 5,5 = 0,55 L/100 km et 0,15 x 5,5 = 0,82 L/100 km. Et, comme nous l’avons vu, les GES « émis » par une voiture à hydrogène, via l’usine qui produit l’hydrogène, sont équivalents à ceux d’une voiture à essence qui consommerait 5 à 6 L/100 km. La voiture à hydrogène émet donc 6 à 10 fois plus de GES qu’une voiture hybride rechargeable d’environ 80 km d’autonomie électrique, lorsqu’elles roulent au Québec ! Avec une batterie de 90 km à 100 km d’autonomie électrique pour la VHR ça serait un facteur 10 !
Mais, la GROSSE différence, c’est qu’une voiture hybride rechargeable n’a besoin d’aucune infrastructure pour faire le plein d’énergie. Une prise électrique à la maison ou au travail et les stations d’essence existantes suffisent, pour les longs trajets occasionnels. Sans compter qu’on peut faire le plein d’essence en 5 minutes avec une VHR et parcourir plus de 600 km, les deux avantages qu’on met de l’avant pour promouvoir les véhicules à hydrogène. Cherchez l’erreur !
Au Québec ça coûterait au bas mot 10 milliard $ pour implanter une infrastructure d’approvisionnement en hydrogène, de l’argent qu’on enlèverait au déploiement des véhicules électriques à batterie et des véhicules hybrides rechargeables. Soyons sérieux !
 
Une Mirai au prix d’une Corolla !
Maintenant qu’on connait le prix exorbitant des stations-services pour faire le plein d’hydrogène, on peut mieux apprécier le propos suivant de M. Hirose dans l’article The Drive :
« Professor Katsuhiko Hirose has been in charge of Toyota’s Fuel Cell system development, and he tells me why Musk is rightfully afraid of the fuel cell: Hydrogen Fuel cell vehicles will eventually be cheaper than gasoline-powered cars, opening the door to zero-emission transportation around the world »
 soit, en français, « Le Professeur Katsuhiko Hirose a été responsable du développement du système de piles à combustible de Toyota, et il me dit pourquoi Musk a légitimement peur de la pile à combustible : les véhicules à piles à combustible à hydrogène seront éventuellement moins chers que les voitures à essence, ouvrant la porte à un transport à zéro émission dans le monde »
 Là, je crois que M. Hirose a confondu rêve et réalité. J’imagine mal Elon Musk trembler dans ses culottes de peur des voitures à hydrogène, pas vous. Je suis d’accord avec M. Hirose pour dire que les voitures à hydrogène sont des merveilles technologiques et qu’elles ne polluent pas au lieu d’utilisation. Mais pour faire diminuer leur prix, qui se situe autour de 65 000 $ à 70 000 $ CAN, de moitié, il faudrait en vendre réellement beaucoup. Or, le problème ce n’est pas la voiture comme tel mais bien la production et la distribution de l’hydrogène, au niveau environnemental ET économique.
On vient de le voir, 5 M$ pour un poste d’approvisionnement en hydrogène. Et le prix de l’hydrogène sera toujours plus cher que l’essence et beaucoup plus cher que l’électricité. Si les gens achètent des voitures électriques présentement c’est qu’ils peuvent économiser de 10 000 $ à 20 000 $ en carburant et entretien et récupérer rapidement le surcoût à l’achat par rapport à une voiture à essence. Mais ce n’est pas possible avec une voiture à hydrogène présentement, surtout que le surcoût à l’achat est bien supérieur à celui d’une voiture électrique.
Qui va acheter une voiture à hydrogène à 70 000 $ avec des stations-services rarissimes et un prix de l’hydrogène supérieur à celui de l’essence ? Poser la question c’est y répondre. Pourquoi pensez-vous que c’est le gouvernement qui achète les 50 Mirai de Toyota ?
 
Je n’en croyais pas mes yeux !
À la fin de l’article The Drive, l’auteur cite un commentaire de M. Hirose qui va comme suit :
« but if we postpone decisions about matters like global warming, we steal the future of our children. As a company man, I should not say this,” he tells me, “but maybe you can. »
 soit, en français, « mais si nous reportons des décisions sur des matières comme le réchauffement climatique, nous volons l’avenir de nos enfants. Comme employé d’une compagnie, je ne devrais pas le dire, ” me dit-il,” mais peut-être vous pouvez. »
Or, ce qu’on vient de voir c’est que les voitures à hydrogène émettent bien plus de GES que les voitures électriques à batterie lorsqu’on utilise le reformage du gaz naturel pour produire l’hydrogène, et qu’elles consomment 3 fois plus d’électricité que les voitures électriques à batterie lorsqu’on utilise l’électrolyse de l’eau. Comment qualifier ces propos de M. Hirose à votre avis ? Dites-le-moi dans les commentaires.

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