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Pourquoi je suis en faveur d’un modèle concurrentiel pour l’autopartage en libre service

Depuis quelques semaines (quelques mois pour ceux qui suivent de près le dossier), des sources indiquent que le maire Coderre et les fonctionnaires travaillent à mettre en place un partenariat d’exclusivité avec l’entreprise Bolloré, l’entreprise qui a conçu et exploite le système Autolib à Paris.
 
Pour ceux qui n’utilisent pas les services actuels et qui sont en faveur de l’électrification, ça peut sembler une bonne nouvelle. Mais pour la plupart des intervenants qui sont au fait du dossier et qui sont en faveur de l’autopartage en libre service, c’est plutôt une nouvelle inquiétante. Voici pourquoi.
 
-Autolib n’est pas le meilleur système d’autopartage d’un point du vue de l’utilisateur
Autolib fonctionne exactement comme Bixi. Il faut absolument prendre et laisser l’auto dans une station car la batterie doit être branchée presque tout le temps.
Pourquoi? Comme la batterie doit être maintenue à 70 degrés, elle doit être chauffée constamment et consomme l’équivalent d’un séchoir à cheveux en permanence. Donc même si la batterie est très performante, elle se décharge assez rapidement si elle n’est pas branchée régulièrement.
Le résultat est que ça crée des situations frustrantes pour les utilisateurs. Il est facile d’imaginer des situations où un utilisateur est en retard à un rendez-vous car au lieu d’aller à son rendez-vous, il doit faire un détour (avec tous les risques de retards liés à la congestion que ça représente à Montréal) pour aller porter l’auto dans une borne.
On peut aussi penser à la contrainte pour des parents qui doivent aller porter la voiture à une station alors qu’ils n’ont pas personne pour surveiller les enfants à la maison. C’est une situation ironique car il est généralement facile de se garer à proximité de notre résidence avec le système VLS actuel.
Le système Autolib permet de réserver une place afin d’éviter de se déplacer à une borne pour rien. Mais encore là, j’ai souvent lu des témoignages comme quoi une place réservée était occupée par une auto thermique (ICED comme on dit). Il arrive aussi que la borne soit défectueuse, il n’est donc pas possible dans ces cas de terminer le trajet. C’est très problématique pour un utilisateur d’Autolib car il faut alors se déplacer vers une autre station. Et si c’est au centre-ville en semaine, le nombre de bornes libres risque d’être très rare!
C’est également la même chose pour trouver les véhicules au départ. Il n’est pas rare actuellement d’avoir une auto de disponible au coin de la rue. Avec le système Autolib, quelqu’un qui n’a pas de station à proximité devra systématiquement se déplacer pour aller chercher la voiture. Pas très pratique quand on a des paquets ou des enfants qui n’ont pas toujours le goût de marcher.
Le résultat de tout ça? Le système risque d’être beaucoup moins populaire, surtout si les coûts d’utilisation sont supérieurs en raison des coûts d’exploitation élevés (nombre de bornes, consommation électrique, mobilier urbain, etc). Donc, l’impact sur la réduction de la consommation de pétrole des Montréalais risque d’être moindre qu’avez le système actuel quand on prend en considération l’ensemble des modes de déplacements.
Quand je compare Autolib au système actuel, c’est à se demander si M. Coderre ne préfère pas Autolib en raison de la concurrence moins directe envers l’industrie du taxi. Ça lui permettrait donc de sortir de sa fâcheuse position actuelle. Il a en effet promis, en campagne électorale, de faire tout en son pouvoir pour protéger l’industrie du taxi. C’est plutôt ironique, car au final, les citoyens utilisent peu le taxi. Ça représente dans les faits moins de 1 % des trajets à Montréal.
-Autolib demande un ratio de bornes très élevé
Tel qu’expliqué précédemment, on comprend que le système de Autolib demande beaucoup de bornes pour permettre de brancher les autos pratiquement en permanence. Si on se fie au système d’Indianapolis, Bolloré va installer 2 bornes par autos déployées. Bon, peut-être que certaines bornes seront mises à la disposition du public, mais on peut considérer que la ratio est clairement supérieur à 1 borne par auto (disons 1,5 borne/auto) car il faut en permanence une borne au départ et une à l’arrivée.
À l’inverse, l’expérience de Communauto montre qu’une seule borne de niveau 2 (240 V) peut combler les besoins de 6 Nissan Leaf à recharge lente (3,3 kWh ou 7 heures). Avec l’arrivée de voitures qui se rechargent deux fois plus vite, on peut penser que ce ratio peut facilement passer le ratio de 10 autos par borne. Ce ratio pourra même dépasser le 1:20 avec l’arrivée des bornes rapides de niveau 3. Quand on sait que les bornes intelligentes de Add Energie coûtent environ 5 000 $ sinon plus une fois installées, ce type de ratio peut représenter des économies énormes pour électrifier la flotte d’autopartage à Montréal. Car ultimement, ce sont les utilisateurs qui vont payer la facture!
Ceux qui suivent le dossier des bornes à Montréal le savent. Installer des bornes à Montréal n’est pas une mince affaire; il faut souvent le faire sur le domaine public. Il faut excaver. Ça prend de nombreux plans et autorisations. C’est extrêmement coûteux : pour une borne sur rue, seulement pour les plans et devis, on parle facilement de 15 à 20 000 $ sans les coûts des travaux! Et en plus, il faut travailler avec la Commission des services électriques (voir l’article http://roulezelectrique.com/les-2-supercharger-a-montreal-pourquoi-ca-fonctionne-pas/ )!
Plus facile de partager le réseau avec les autres utilisateurs
Dans sa proposition, Bolloré va probablement offrir de mettre l’ensemble ou une partie des bornes accessibles au public. Par contre, la problématique demeure la même. Les Autolib branchées ne peuvent pas être déplacées. Or, dans le cas de la Leaf ou d’éventuelles Smart ED (Car2Go), il serait possible théoriquement de permettre aux propriétaires de véhicule électrique de déplacer les autos en libre service.  En effet, comme une simple carte RIFD est requise pour accéder à un VLS (on peut même déverrouiller les Car2Go avec son appareil mobile!), il serait même possible d’imaginer un système qui pourrait être accessible via les cartes du Circuit électrique. Les membres du Circuit électrique n’auraient qu’à activer la fonction VLS et accepter les conditions d’utilisation pour pouvoir accéder aux VLS et ainsi les déplacer le temps de recharger leur propre voiture. Ce système serait d’ailleurs très optimal car certains propriétaires pourraient être intéressés d’utiliser les VLS pendant la recharge de leur voiture. La beauté du VLS, c’est que même si le véhicule n’est pas chargé à 100 %, il peut tout de même être utilisé pour de courts trajets. Il suffirait donc de mettre en place des règles et dédommagements financiers. Ainsi, déplacer un VLS chargé à 100 % serait gratuit, mais peut-être que déplacer un VLS chargé seulement à 25 % coûterait 5 $. Le montant pourrait être régressif en fonction du niveau de charge.
Les bornes pourraient donc être utilisées de manières optimales. Présentement, les bornes du Circuit électrique et du Réseauver sont très peu utilisées. Mais si les bornes du réseau de Montréal pouvaient être utilisées à la fois par les VLS, les taxis, les flottes municipales et gouvernementales (et peut-être même par les corps policiers!), c’est évident que les bornes seraient beaucoup plus rentables.
Les utilisateurs d’autopartage veulent de la variété et des prix compétitifs
Les tarifs du service actuel sont très intéressants. Communauto offre des tarifs préférentiels très bas à ses abonnés. Car2Go fait souvent des promotions à 50 $ par jour le week-end. Bref, la dynamique de la concurrence fait son oeuvre. Pourquoi alors vouloir donner ce lucratif marché à un monopole privé?
Mais surtout, tous ceux qui s’intéressent de près à l’autopartage vous le diront, un des avantages de renoncer à la possession d’une auto et d’utiliser l’autopartage à la place, c’est de toujours utiliser une auto qui convient à nos déplacements. Quand on est 1 ou 2, on prend une Smart. Quand on se déplace à 3-4, on prend une Leaf ou une Prius C. Quand on fait un court déplacement, une Leaf chargée à 30 % peut faire l’affaire. Pour les déplacements plus long en hiver, on peut préférer la Prius C ou la Smart. Au fur et à mesure que l’autopartage va se développer, les options seront de plus en plus nombreuses. J’espère d’ailleurs voir la Nissan eNV-200 faire son apparition dans la flotte dans les prochaines années. Imaginez les possibilités en terme de covoiturage urbain spontané (un genre de croisement entre UberX et Car2Go), imaginez les avantages pour les commerces qui veulent faire des livraisons, pour les déplacements en famille, pour les utilisateurs qui veulent déplacer de gros paquets.
Même que dans ma flotte de VLS de rêve, il y a des Tesla pour les déplacements régionaux et intercité! En effet, avec l’arrivée du VLS à Québec en 2015, on peut commencer à penser à la mise en place de systèmes VLS intercité électriques. C’est déjà en place en Allemagne (voir BMW Drivenow et Car2Go Black).
Voir l’article Un réseau de Tesla au lieu du TGV ou du monorail
 
Personne n’a demandé une électrification à 100 % dans les consultations
Pour ceux qui veulent lire les différents mémoires de la consultation, ils sont ici.
Il est intéressant de noter qui ni le CNTA, ni Mobilité électrique Canada n’ont recommandé un monopole ou une électrification à 100 % de la flotte. Tout le monde semble s’entendre pour dire que le VLS est assez facile à électrifier mais qu’il doit l’être graduellement pour d’abord répondre aux besoins des utilisateurs (coût abordable et possibilité de faire des trajets longue distance).
 
La concurrence favorise l’innovation
Le gros problème avec un système d’autopartage unique, c’est que nous allons donner l’exclusivité à Bolloré pour plusieurs années (probablement 10 ans et peut-être même plus). J’imagine que Bolloré va améliorer son véhicule pendant cette période. Mais tout le monde sait bien que dans un contexte monopolistique, les incitatifs à l’innovation sont minimes. Présentement, la Bluecar offre une autonomie très impressionnante. Mais qu’en sera-t-il dans 2-3 ou 5 ans? Difficile de croire que la voiture sera aussi concurrentielle.
Et l’innovation dépasse largement l’aspect de l’électrification. Qu’en est-il de la conduite autonome? Est-ce que Bolloré fait de la R&D de ce côté? Personnellement, je n’ai rien vu en ce sens. Pourtant, tous les autres constructeurs travaillent là-dessus. Il y aura d’ailleurs plusieurs annonces en ce sens au CES de Las Vegas en janvier 2015. Ce type de technologie pourrait avoir un impact énorme sur les transports urbains.
Et c’est sans oublier toutes les innovations liées à la voiture connectée et les applications mobiles. L’exemple de Uber le montre bien. Il est difficile de prévoir même 5 ans à l’avance quelles seront les innovations qui seront les plus bénéfiques dans les transports.
Personnellement, je vois de plus en plus de synergies entre l’auto électrique, les véhicules en libre service, la voiture autonome et le covoiturage urbain. Tout cela sera impensable avec le système Bolloré basé en station.
Il faut donc laisser la concurrence faire son oeuvre.
 
L’essor du multimode et des application mobiles
Certains affirmeront peut-être que pour l’utilisateur, il est beaucoup plus simple d’avoir un seul système à la grandeur de la ville
La vision traditionnelle en transport est souvent basée sur le fait qu’un seul système est plus facile à contrôler et plus facile à comprendre pour les utilisateurs. Par contre, avec les nouvelles technologies, il sera de plus en plus facile de coordonner ensemble différentes entreprises en transport et rendre l’expérience simple pour les utilisateurs. Il y a de plus en plus d’applications multimodes pour faciliter les déplacements qui combinent les modes (auto, taxi, vélo, marche, transport collectif). La tendance de l’industrie est donc d’avoir des systèmes de planification et de transaction (paiement) unifiés pour tous les modes. On peut donc penser que bientôt, il y aura des apps qui vous permettront de payer tous les modes de transport en même temps, quel que soit le fournisseur de service.
 
Voici  quelques applications qui permettent de combiner les modes de transport et d’afficher plusieurs entreprises d’autopartage sur une même carte: The Transit app, Roadify, Ridescout (car2Go, Zipcar, etc), City mapper, etc.
 
Pas le véhicule le plus écologique.
Tel que mentionné au début, la Bluecar a la particularité de consommer beaucoup plus d’électricité que les autres autos électriques. Si ça représente la consommation d’un séchoir à cheveux à Paris, on peut se demander si cette consommation ne risque pas d’être plus élevée à Montréal en hiver. Bien entendu, ce n’est pas un si gros problème puisque notre électricité est très propre, mais comme nous devons souvent importer de l’énergie en période de pointe l’hiver, ça signifie donc que les Bluecar pollueront significativement plus que les autres autos électriques. Il est donc pertinent de calculer l’avantage écologique et économique réel de cette technologie avant d’y investir de dizaines de millions de dollars en fonds publics.
 
En conclusion : il faut développer l’autopartage avant tout! Même si tout le monde souhaite une électrification rapide de la flotte VLS, la majorité des intervenants des consultations sur le VLS s’entendaient pour dire que les avantages du VLS dépassaient largement ceux de l’électrification. En effet, à Montréal, l’auto individuelle est un gros problème. Elle cause de la congestion et elle occupe aussi beaucoup trop d’espace. Les autos stationnées sont en effet un problème en soi. Elles empêchent l’apaisement de la circulation (dégagement des intersections pour augmenter la visibilité), elles empêchent la mise en place de voies réservées, de pistes cyclables. Les stationnements augmentent aussi la valeur des terrains et font grimper dramatiquement le coût de projets immobiliers (un stationnement intérieur coûte environ 30 000 $!).
L’auto individuelle empêche donc l’utilisation efficace du territoire et la qualité de vie à Montréal. Les Montréalais ont la chance d’avoir accès à plusieurs modes déplacement très écologiques (métro, vélo, marche, bus), il faut donc être pragmatique dans le dossier du VLS et éviter de viser une électrification trop rapide et coûteuse qui freinerait l’adoption des services VLS.

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