Changements climatiquesPétrolePolitiquePollution atmosphériqueVoitures électriques

Jour de la Terre, IÉDM et changements climatiques

En ce Jour de la Terre, nous parlerons des solutions proposées par l’Institut Économique de Montréal pour lutter contre les changements climatiques. Comme cet organisme intervient souvent sur la place publique pour critiquer des mesures gouvernementales de lutte aux changements climatiques telles que la bourse du carbone ou les subventions aux voitures électriques, je me suis dit qu’il serait intéressant de tenter de comprendre si leurs solutions sont valables ou non.
Le Québec et le Canada, trop petits.
Selon eux, “Le Québec ne devrait pas lutter contre les changements climatiques à moins que la planète entière ne le fasse. De toute façon, s’imposer des objectifs ne sert à rien, puisque l’innovation technologique permettra de toute façon de réduire davantage nos GES, et plus rapidement.”(1)
Ainsi, selon l’IÉDM, le Canada et le Québec sont trop petits à l’échelle mondiale pour que nos actions en matière de lutte aux changements climatiques fassent une différence. Selon eux: “Replacer la quantité de GES émis par le Québec dans un contexte mondial nous oblige à constater que l’atteinte de ses cibles n’aurait pratiquement aucun effet sur le climat. Les émissions de GES canadiennes représentaient 1,6 % des émissions mondiales en 2013 (l’année la plus récente pour laquelle ces chiffres sont disponibles). Puisque le Québec émet environ 11 % des GES au Canada, on peut estimer que la province est responsable d’environ 0,18 % (18 centièmes de 1 %) des émissions mondiales. Cette proportion minuscule est probablement surestimée, puisque le pourcentage des émissions canadiennes sur le total mondial est en baisse depuis quelques années, tout comme la part québécoise dans le Canada, d’ailleurs.”(2)
Si on appliquait cette même logique à tous les pans de notre société, on pourrait cesser de faire notre part dans: la protection de l’environnement, le code de la sécurité routière, les écoles et les hôpitaux puisque l’avenir de notre société québécoise n’aura qu’une incidence insignifiante sur le reste de la planète.
Et que devrait alors faire le Québec pour lutter contre les GES?
Toujours selon l’Institut Économique de Montréal, “un premier pas serait de cesser de mettre de l’avant des politiques publiques inefficaces, voire nuisibles. On peut penser par exemple à la subvention à la cimenterie McInnis, par laquelle le gouvernement du Québec a contribué à la création du plus grand émetteur de GES au Québec; aux subventions à l’achat de véhicules électriques, qui coûtent près de 300 $ par tonne de GES non émise; au Fonds vert, qui réduit les émissions à un coût de plus de 2000 $ par tonne (à titre de comparaison, le prix du carbone à la bourse est présentement d’environ 20 $, et la taxe fédérale atteindra un sommet de 50 $ la tonne en 2022).”
Pour la cimenterie Mc Innis, je suis d’accord. En passant, cette subvention à la cimenterie McInnis vient justement d’une demande de gens d’affaires… qui exigeaient aussi que le BAPE ne “s’ingère pas” dans ce projet.
Pour ce qui est des “subventions” aux véhicules électriques qui seraient inefficaces au coût par tonne, j’ai déjà fait la démonstration que le gouvernement a reçu environ 2 fois plus de fonds via les coûts d’immatriculation supplémentaires pour les véhicules de forte cylindrée (environ $500 millions) qu’il n’en a déboursé en rabais pour véhicules électriques (environ $250 millions) entre 2012 et 2018. Ce programme ne lui a donc rien coûté et le coût par tonne de GES est du coup négatif.(3)Ne reste au gouvernement qu’à connecter le bonus et le malus afin d’en faire un programme fiscalement neutre. Ça devrait faire plaisir à nos amis de l’IÉDM, ça!
Le miracle… ou le mirage de l’innovation technologique?

Pour ce qui est donc de LA solution proposée par l’IÉDM pour lutter contre les changements climatiques, la voici: “Le reste reposera sur la transition énergétique, qui est bien engagée. Cela dit, celle-ci ne s’accomplira véritablement que lorsqu’elle sera accompagnée d’une transition technologique. Ces transitions prennent du temps. À titre d’exemple, le charbon, qu’on a commencé à utiliser de façon importante au milieu du XIXe siècle, n’a atteint son sommet dans le mix d’énergie mondiale que vers 1900 (environ 50 % du total), lorsque le pétrole avait déjà commencé à le remplacer. Plus de cent ans plus tard, le charbon n’a toujours pas disparu et sert à produire environ 25 % de l’énergie primaire. Le même phénomène est à l’œuvre pour le pétrole. L’avènement de nouvelles technologies qui émettent moins de GES est inévitable, mais il prendra un certain temps. En somme, le Québec peut bien faire de nobles efforts pour diminuer ses rejets de CO2, mais il est illusoire de penser que cela aura un impact significatif. La véritable solution passe avant tout par l’innovation technologique.
Autrement dit, selon l’IÉDM, on ne change rien à nos habitudes. Avec le temps, les innovations technologiques règleront tout.
Ça tombe bien, ce ne sont pas les innovations technologiques qui manquent!
Selon Ressources Naturelles Canada(4), “Les progrès technologiques réalisés dans le secteur des sables bitumineux ont permis de créer un plus grand nombre de pratiques éconergétiques et de réduire les émissions de GES provenant des sables bitumineux. Un des procédés les plus importants utilisés pour atteindre ce résultat est la cogénération. Il s’agit d’un procédé qui permet de produire simultanément de la vapeur et de l’électricité. En convertissant l’énergie et son sous-produit en électricité, qui serait autrement gaspillée, la cogénération a contribué de façon marquée à réduire de 30% les émissions de GES par baril dans les sables bitumineux depuis 1990.”
Pourquoi alors, si les émissions de GES par baril de pétrole issu des sables bitumineux ont diminué de 30% depuis 1990, les émissions totales de GES issues des sables bitumineux ont-elles augmenté de… 423% entre 1990 et 2017??? Oui, oui, il s’agit bel et bien d’une hausse de 423%. (5)

C’est simple. C’est parce que, pour citer Ressources Naturelles Canada, “Au cours de cette période, plus de la moitié de l’augmentation des émissions provenant de l’exploitation des sables bitumineux découle de la hausse de la production in situ. La réduction temporaire des émissions de GES entre 2007 et 2009 est surtout attribuable au ralentissement économique mondial qui a entraîné une diminution de la demande mondiale de produits pétroliers.
Entre 1990 et 2017, la production de pétrole brut a plus que doublé au Canada. Cette hausse est principalement attribuable à une augmentation rapide de la production de pétrole à partir des sables bitumineux, laquelle est beaucoup plus intensive en GES que la production à partir de sources conventionnelles (ce qui signifie qu’il y a plus de GES émis par mètres cubes de pétrole produit). Par conséquent, ce changement a eu d’importantes répercussions sur les émissions totales de GES de ce secteur.”
Autrement dit, les “innovations technologiques” n’ont été d’aucun secours pour diminuer les émissions de GES. Elles n’ont fait que très marginalement ralentir l’augmentation exponentielle des émissions de GES du pétrole des sables bitumineux parce que le gouvernement fédéral n’a imposé aucun plafond d’émission.
Il en va de même pour les multiples innovations technologiques dans le secteur des transports qui n’ont absolument pas freiné l’augmentation des émissions de GES des transports du Québec (+21,9% entre 1990 et 2016) et du Canada (+43% entre 1990 et 2017).
IÉDM: CONTRE la lutte aux GES, POUR le soutien aux pétrolières
Pendant que l’IÉDM critique ouvertement le soutien aux technologies vertes… même s’ils affirment que les solutions seront technologiques, son discours est fort différent lorsqu’il est question d’énergies fossiles.
Malgré de beaux discours, des gouvernements de partout dans le monde, dont le gouvernement du Canada, continuent à subventionner allègrement les énergies fossiles et donc à accélérer la crise climatique dans laquelle nous nous enfonçons.
En 2015, le Fonds Monétaire International avait évalué ce montant à $5 300 milliards annuellement.(6) Rien que ça.
Du côté canadien, nous ne sommes pas en reste. En 2018, nous avons collectivement payé un pipeline de $4,5 milliards(7),  octroyé $1,6 milliard en fonds d’aide aux entreprises des secteurs gaziers et pétroliers(8)… sans oublier les subventions récurrentes.
Ainsi,

  • Alors que Justin Trudeau avait promis de mettre fin aux subventions aux énergies fossiles en 2015, il ne l’a toujours pas fait.
  • Son gouvernement n’a ni plan, ni échéancier pour éliminer les subventions aux énergies fossiles. D’ailleurs, en 2017 le vérificateur général Michael Ferguson s’alarmait “de ne pas avoir eu accès à tous les documents dont il avait besoin pour faire son travail. Le ministère des Finances lui a, par exemple, refusé 243 pages de notes sur les mesures fiscales favorisant les combustibles fossiles et a largement caviardé les évaluations environnementales stratégiques sur le sujet, sous prétexte qu’il s’agissait de documents confidentiels du cabinet.”(9)
  • Lorsque le vérificateur général du Canada a tenté plus récemment d’avoir toute l’information sur le niveau de subventions aux énergies fossiles octroyé par le gouvernement canadien, il concluait dans son rapport d’avril 2019 que : “Dans l’ensemble, nous avons constaté que les évaluations réalisées par le ministère des Finances Canada pour recenser les subventions fiscales inefficaces aux combustibles fossiles étaient incomplètes, et que les conseils fournis au Ministre n’étaient pas fondés sur tous les renseignements pertinents et fiables.”(10)
  • De plus, à la fin de l’année dernière, un rapport dévoilait que Exportation et Développement Canada s’est vue attribuer un nouveau rôle depuis la crise économique de 2008: fournir de l’aide financière directe garantie par le gouvernement fédéral pour des activités intérieures d’entreprises canadiennes. Or,  il s’agit pourtant de l’agence officielle de crédit à l’exportation du gouvernement canadien dont le mandat est de soutenir et développer le commerce extérieur du Canada.

C’est ainsi qu’entre 2012 et 2017, EDC a octroyé une aide financière de $62 milliards aux entreprises oeuvrant dans le secteur du pétrole et du gaz VS $5 milliards pour les “écotechnologies”.(11)

Mais, plutôt que de critiquer le soutien financier du Canada aux énergies fossiles, l’IÉDM l’a plutôt défendu:
“Tout comme l’industrie minière, les investissements pétroliers nécessitent en effet d’importants capitaux de départs associés à de grands risques. Il s’écoule plusieurs années entre l’investissement initial et les profits qui, si tout se passe bien, suivent la production commerciale. Pour répondre à cette réalité, des programmes permettent aux entreprises qui développent les ressources naturelles de réduire les impôts qu’elles doivent payer à court terme et de les reporter à plus tard dans le cycle de production.
Il s’agit d’une mesure inspirée du gros bon sens. Les gouvernements reçoivent moins de recettes initialement, mais ces programmes assurent la rentabilité économique de certains projets qui n’auraient pas pu voir le jour autrement. Cela signifie de plus grandes rentrées fiscales lorsque ces projets sont finalement réalisés et qu’il y a création de richesse.”(12)
Selon l’IÉDM, appuyer financièrement le secteur pétrolier relève donc “du gros bon sens” car ce secteur est à grands risques, MAIS soutenir l’essor des énergies renouvelables ou des véhicules électriques (alors que de nombreuses PME qui oeuvrent dans le secteur des énergies renouvelables et l’électrification des transports n’ont pas le millième des moyens financiers des pétrolières) via diverses mesures fiscales ne tient pas la route?
Dois-je rappeler que les subventions aux compagnies pétrolières existent depuis plus de 100 ans(13) aux États-Unis, qu’en 2012 le président Obama a tenté d’y mettre fin et qu’il a toujours été bloqué par les Républicains?

Ainsi, malgré ses beaux discours en faveur du “libre-marché”, l’IÉDM milite pour que le gouvernement continue à appuyer les industries des énergies fossiles… au détriment des énergies renouvelables.

L’utopie du “libre-marché” comme solution

Le libre-marché a à ce jour lamentablement failli dans la lutte aux changements climatiques, comme l’ont déjà démontré de nombreux économistes, dont Sir Nicholas Stern(14), ancien vice-président senior de la Banque Mondiale qui nous disait il y a 13 ans déjà que le coût de notre inaction serait beaucoup plus élevé que l’action contre les changements climatiques.
En 2015, Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et actuel gouverneur de la Banque d’Angleterre affirmait que «Le poids de la preuve scientifique et la dynamique du système financier suggèrent qu’avec le temps, les changements climatiques menaceront les assises de la finance et la prospérité à long terme. Bien qu’il reste du temps pour agir, cette fenêtre est de plus en plus petite et finira par se refermer.»(15)
En 2018, le prix Nobel d’économie était d’ailleurs remis à 2 américains qui se penchent depuis des décennies sur les effets des changements climatiques et militent pour une taxe carbone. (16)
Affirmer que les innovations technologiques à elles seules réussiront à diminuer les émissions de GES de manière assez importante et rapide pour éviter la catastrophe relève de l’ignorance crasse… ou de l’imposture intellectuelle. N’importe quel scientifique ou économiste un tant soit peu rigoureux le comprend aisément.
Qu’il s’agisse d’énergies renouvelables, d’électrification des transports ou d’efficacité énergétique, des “accélérateurs” de transition énergétique sont incontournables: système de plafonnement et d’échange, bonus-malus, bourse du carbone, subventions, lois et règlements seront absolument indispensables pour que le virage se fasse assez rapidement.
De plus, des mesures audacieuses de soutien aux entreprises du Québec qui contribuent à la lutte aux changements climatiques devraient être implantées rapidement pour créer des emplois ici et donc faire du défi des changements climatiques une opportunité d’affaire. De nombreuses entreprises québécoises qui oeuvrent dans le secteur de l’électrification des transports en auraient bien besoin.
En terminant, une des manières les plus efficaces et les moins chères pour diminuer les GES serait de réglementer. Par exemple, si le gouvernement du Canada exige par règlement:

  • que les constructeurs automobiles ne vendent que des véhicules PHEV ou 100% électriques d’ici 2030,
  • que les compagnies gazières et pétrolières diminuent leurs GES de 50% d’ici 2030

Ça ne coûtera rien la tonne au gouvernement et fera diminuer les GES de façon réelle.
Mais je doute que l’IÉDM appuie de telles mesures… même si elles ne coûteraient rien.
En conclusion, derrière ses discours prônant la “rigueur économique” lorsqu’il est question de changements climatiques, il est clair que l’IÉDM ne fait pas son travail de façon rigoureuse… ou est carrément biaisé.
À vous de choisir.
P.S.: L’IÉDM est un organisme de bienfaisance enregistré conformément aux règles
canadiennes. Selon le gouvernement du Canada, “Un organisme de bienfaisance enregistré est exploité à des fins de bienfaisance et doit consacrer ses ressources à des activités de bienfaisance.L’enregistrement permet à l’organisme de bienfaisance de ne pas payer d’impôt sur le revenu et de remettre des reçus officiels à des fins fiscales.”(17)
Je ne sais pas pour vous, mais lorsque je songe à un organisme de bienfaisance (définition: Action de faire du bien dans un intérêt social.), l’IÉDM ne me vient pas en tête. Je dirais même plutôt le contraire. En fait, ce statut fait plutôt en sorte que ce “think tank” peut se permettre de recevoir des dons anonymes, de donner des reçus pour fins d’impôt et de ne pas en payer.
Bienfaisance, mon oeil.

 
Sources:
1: https://www.iedm.org/fr/81740-bourse-du-carbone-cher-paye-pour-peu-de-resultats

2: https://www.iedm.org/sites/default/files/web/pub_files/lepoint0119_fr.pdf
3: https://www.journaldemontreal.com/2019/02/13/vehicules-electriques-les-rabais-ont-coute-moins-cher-que-les-malus-ont-rapporte
4: https://www.rncan.gc.ca/energie/petrole-brut/18153
5: https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/indicateurs-environnementaux/emissions-gaz-effet-serre.html
6: https://www.imf.org/en/Publications/WP/Issues/2016/12/31/How-Large-Are-Global-Energy-Subsidies-42940
7: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1150195/ottawa-prix-pipeline-trans-mountain
8: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1142606/aide-financiere-federal-energie-canada
9: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1034042/verificateur-genetral-canada-combustibles-fossiles-plan-echeancier-subventions
10: http://www.oag-bvg.gc.ca/internet/Francais/parl_cesd_201904_03_f_43309.html?utm_source=All&utm_campaign=CdP+-+rapport+VG+2+avril+2019&utm_medium=email
11: http://equiterre.org/sites/fichiers/risquer_gros_-_oci.pdf
12: https://www.iedm.org/fr/48832-subventions-l-industrie-p-troli-re-les-critiques-exag-rent-
13: https://obamawhitehouse.archives.gov/blog/2012/03/29/five-reasons-repeal-subsidies-oil-companies
14: https://www.theguardian.com/environment/2016/nov/06/nicholas-stern-climate-change-review-10-years-on-interview-decisive-years-humanity
15: https://www.ledevoir.com/economie/451412/changements-climatiques-une-grave-menace-pour-la-stabilite-financiere-mondiale-dit-mark-carney
16: https://www.reuters.com/article/us-nobel-prize-economics/economics-of-climate-change-win-nobel-prize-for-u-s-duo-idUSKCN1MI0UN
17: https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/services/organismes-bienfaisance-dons/trousse-medias-organismes-bienfaisance/est-organisme-bienfaisance-enregistre.html
 
 
 

Imprimer cet article

Besoin d’aide avec votre achat?

Articles populaires

Chroniqueurs

Vous n’avez toujours pas de borne à votre domicile?

Vous aimerez aussi:

Nos partenaires